La coalition s’effrite

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Washington craint le sauve-qui-peut après les retraits espagnol, hondurien et dominicain. Ces défections dans la coalition surviennent alors que l’Irak est à nouveau le théâtre d’attaques en série. Comment vont réagir les Américains ? Quel est le jeu de l’Iran ? L’ONU pourra-t-elle gérer la transition politique ?

La coalition est forte et sa résolution est solide.  » Tel est le message martelé par Washington qui a minimisé, cette semaine, les défections de ses alliés en Irak. A la suite du retrait espagnol, le Honduras et la République dominicaine ont annoncé à leur tour le rapatriement de leur contingent. Mais le secrétaire d’Etat américain Colin Powell veut croire qu’il a obtenu des engagements de solidarité de  » presque tous les pays présents dans la coalition « . Le Portugal, la Slovaquie, la Bulgarie et d’autres ont, certes, réaffirmé publiquement leur soutien. Mais le Salvador se retirera en juillet et la Pologne et l’Ukraine ont exclu de participer à des opérations offensives. De son côté, la Thaïlande indique qu’elle rappellera ses 450 soldats si elle subit des pertes. Une déclaration pour le moins maladroite, qui fait peser une menace supplémentaire sur ce contingent.

Madrid a déjà commencé à retirer ses hommes, au grand dam des Américains. La défection de cet allié européen intervient en effet à un moment délicat, où le Pentagone est obligé de prolonger la durée de rotation de ses troupes pour faire face à une insurrection sur plusieurs fronts. Ainsi, en dépit d’un accord de cessez-le-feu, la situation reste tendue à Fallouja, le bastion de la guérilla sunnite assiégé depuis près de trois semaines par les marines. Par ailleurs, la plus haute autorité religieuse chiite, la marjaiya, a prévenu les forces américaines qu’une offensive contre les villes saintes de Kerbala et Nadjaf, où est retranché le dirigeant radical Moqtada al-Sadr, pourrait entraîner un embrasement général en zone chiite. Près de Bagdad, un immense pénitencier géré par la coalition a été la cible d’obus de mortier, qui ont fait 22 morts et une centaine de blessés parmi les prisonniers. Et, plus au sud, à Bassorah, la ville portuaire sous contrôle britannique, des attentats contre des postes de la police ont fait quelque 70 morts, dont de nombreux enfants.

La coalition en péril ?

Militairement, le départ annoncé des 1 432 hommes du corps expéditionnaire espagnol, des 368 Honduriens et des 302 Dominicains n’est pas un défi insurmontable pour la coalition.  » Ils peuvent être remplacés en peu de temps « , assure le général américain Kimmitt, chef adjoint des opérations en Irak. Plusieurs pays seraient prêts à envoyer des renforts, dont la Corée du Sud. D’autres, comme la Pologne, ne souhaitent augmenter ni le nombre de leurs soldats ni la durée de leur séjour. Et l’Italie exclut que ses troupes prennent en charge les secteurs délaissés par les Espagnols.

Le retrait de ces derniers devrait prendre entre quarante et soixante jours. En principe, cela laisse aux Américains le temps de se retourner. Mais c’est surtout sur le plan politique que la décision du nouveau gouvernement socialiste espagnol constitue un revers pour la coalition. L’annonce faite par Madrid pèse sur l’opinion publique dans les pays engagés aux côtés des Etats-Unis. Elle fournit des arguments à ceux qui réclament la fin de l’occupation de l’Irak. Moqtada al-Sadr l’a bien compris : il a appelé ses partisans à cesser leurs attaques contre les troupes espagnoles.

Quel rôle pour l’Iran ?

L’appel d’al-Sadr survient alors que les autorités de Téhéran ont dépêché en Irak une délégation officielle, invitée par les Britanniques. Objectif : essayer de calmer le jeu entre l’instigateur de la révolte chiite et la coalition. Les Iraniens ne sont évidemment pas mécontents de voir ainsi reconnu par Londres et Washington le poids de leur pays dans la région. Mais leur inquiétude n’est pas feinte. La peur d’une  » libanisation  » de l’Irak et ses conséquences sur l’Iran a réconcilié, de manière ponctuelle, conservateurs et réformistes iraniens. Téhéran était d’autant plus enclin à accepter cette médiation, approuvée du bout des lèvres par les Américains, que ses alliés irakiens y participent.

Le Dawa, le plus ancien parti chiite irakien, y est déjà engagé. Tout comme l’Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak (Asrii), elle aussi dans l’orbite du régime iranien. Et la Marjaiya, sans être inféodée à Téhéran mais sans lui être hostile non plus, pèse aussi de tout son poids pour aboutir à une solution négociée. Tous sont hostiles à Moqtada, le trublion indésirable pour l’Iran comme pour les Etats-Unis. Si la mission diplomatique iranienne réussit à circonscrire le brasier chiite, Téhéran peut envisager une négociation plus globale avec les Américains.

Trop tard pour l’ONU ?

Cette entrée en scène de l’Iran a été rendue possible par le rapprochement de Washington avec l’ONU. Face à la dégradation de la situation sur le terrain, Bush a changé de cap. Pour la première fois, le président américain a approuvé l’idée de voir les Nations unies se charger de la transition politique en Irak. Les Américains se considéraient comme seuls maîtres à bord dans ce pays. Ils invitent à présent l’ONU à prendre la place de copilote. Une attention qui vise surtout à obtenir, sous impulsion britannique, le vote d’une résolution du Conseil de sécurité pour avaliser le transfert de souveraineté aux Irakiens, le 30 juin. Washington pense créer ainsi les conditions d’un retour de l’ONU sur place et compte en outre sur un renfort de troupes internationales.

Concrètement, le plan imaginé par l’envoyé spécial de l’ONU, le diplomate algérien Lakhdar Brahimi, propose de mettre fin, d’ici à juin, à l’actuel Conseil de gouvernement irakien mis en place par les Américains. Discrédité, il serait remplacé par un gouvernement intérimaire, formé sous la supervision des Nations unies, en collaboration avec le Conseil de gouvernement actuel, la coalition et, pour lui assurer plus de légitimité, un groupe de juges irakiens.

Reste à voir si les Américains, qui ont toujours dit, en privé, qu’ils entendaient garder le contrôle sur la politique en Irak, vont accepter de lâcher prise. Le sort d’Ahmed Chalabi est notamment en jeu. Le chef du Congrès national irakien et membre du Conseil de gouvernement est très proche des néoconservateurs américains qui le verraient bien à la tête du nouvel Irak. Mais sa légitimité reste très faible et Brahimi souhaite le marginaliser. Par ailleurs, Paul Bremer, l’administrateur américain en Irak, doit passer la main le 30 juin. Mais Bush vient de mettre en selle un nouvel homme fort : John Negroponte, l’ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU, nommé ambassadeur à Bagdad.

Les tractations autour du plan Brahimi sont donc loin d’être achevées. D’autant que cette  » feuille de route « , jugée par beaucoup irréaliste, inspire peu d’enthousiasme parmi les faucons du Pentagone.

Olivier Rogeau

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