LA CHRONIQUE : De la  » démocrature « 

(1) Démocratie ou démocrature û Visite avec un citoyen « , Jacques Litwak ; mise en scène : Marie Brandeleer, Editions La Kallah, Liège, 96 pages.

Ce n’est pas rien pour un citoyen d’écrire un livre « , note Jacques Litwak à la fin de son opuscule sur la crise de la démocratie représentative (1). De fait, voir une personnalité ordinaire se soucier de la chose publique au point de publier un manifeste réformateur plutôt radical est une péripétie suffisamment rare pour susciter autre chose que du désintérêt. Sa conclusion se présente d’ailleurs comme un appel lancé aux autres citoyens, aux médias, aux partis et même au roi : au terme de son analyse, l’auteur leur propose un vaste débat sur les maux qu’il dénonce et les solutions qu’il avance. Une suggestion légitime : l’espace public n’est jamais trop riche ni trop dynamique.

Que nous dit Litwak ? Que nous n’avons pas le choix ! Ni des candidats, ni des programmes. Les idées politiques, écrit-il, sont monopolisées par les partis régentés par quelques ténors qui règnent selon des stratégies étrangères à l’intérêt général. Bref, la démocratie est confisquée par les appareils politiques, les syndicats, la presse, aussi. Des réseaux comme les intercommunales ou les sociétés publiques, dit l’auteur, concentrent d’immenses pouvoirs hors de tout contrôle. Et comme les lieux de débats disparaissent et que les comptes nationaux sont illisibles, le citoyen, condamné au silence, s’endort, englué. L’arbitraire, prévient Litwak, est au bout de cette torpeur. Pis : elle ouvre la porte à la loi du plus fort et la dictature s’immisce dans la démocratie. C’est la  » démocrature « .

Pas trop nuancé tout ça. Taxer ce noir bilan de colère poujadiste serait cependant une méprise. Le ton de l’ouvrage n’est pas celui d’une profession en révolte contre un Etat jugé prédateur. Ce ne sont pas des intérêts catégoriels qu’il entend défendre, mais des valeurs républicaines comme la liberté et l’égalité. Le livre, de surcroît, a un clair accent de sincérité. Il fait part, même si c’est parfois avec maladresse, d’un vrai sentiment de dépossession, d’impuissance et de crainte. A ce titre, il exprime sans doute à sa façon une part du désarroi de cette  » Belgique d’en bas  » qui s’est reconnue dans la Marche blanche sans pour autant souscrire aux thèses frondeuses de certains de ses initiateurs.

Le projet, ici, n’est pas de bouleverser les structures de l’Etat, ni d’ébranler les institutions ; il est de tourner le dos à la langue de bois, de rendre au citoyen son pouvoir d’inventer des solutions aux problèmes de société et de choisir vraiment ceux qui seront chargés de les mettre en £uvre. Même s’il est discutable, un autre élément encore vaccine l’essai contre les errements des rébellions populistes : sa dénonciation du machisme en politique. Quand on fesse le député, on aime souvent enfermer la femme dans la cuisine. L’auteur, au contraire, appelle de ses v£ux une féminisation massive du personnel dirigeant qu’il juge formé à l’excès de mâles dominants enclins par nature à dévoyer les systèmes de pouvoir.

Pour le surplus, le lecteur découvrira les changements û parfois surprenants û échafaudés pour redonner du souffle au processus démocratique et lui permettre d’accoucher d’un authentique projet de société. Plan imaginaire de gouvernement idéal, ils composent, c’est vrai, une authentique utopie. Mais est-il interdit de rêver ? Non, ce qui gêne finalement le plus dans cet assaut indigné contre la  » démocrature  » est moins ce qu’il dit que ce qu’il tait : son silence sur le rôle du marché dans l’érosion de l’esprit critique au cours du dernier quart de siècle a quelque chose d’assourdissant…

jean sloover

Autre scrutin, service civil, nouvelle Constitution : un citoyen ordinaire propose un plan de gouvernement idéal…

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