la chronique de jean sloover Show devant !

(1) La Marchandisation de la politique. Du débat à la communication. Labor, 95 pages.

(2) La télévision dont vous êtes le héros, Le Grand Miroir, 73 pages.

Il a raison, Gabriel Thoveron, de charger la télé, sabre au clair ! (1). C’est vrai qu’elle n’est plus l’outil d’éduction populaire épatant qu’elle était jadis, avant l’invasion (barbare) de la pub. C’est vrai qu’en mélangeant les genres, en faisant de la politique une marchandise (2), elle est passée de la pédagogie à la démagogie. C’est vrai qu’elle ne sert plus à nous éclairer, mais à nous divertir. A nous détourner de l’ennui du quotidien, et, surtout, à nous faire consommer toujours plus. C’est vrai que, au petit écran, témoins et micros-trottoirs remplacent les experts et que l’information cherche dorénavant à susciter des émotions plutôt qu’à faciliter la compréhension.

Thoveron met aussi dans le mille lorsqu’il dénonce le simulacre des talkshows. Lorsqu’il rappelle qu’ils ne contribuent pas au débat démocratique. Ni à la démocratie tout court, d’ailleurs, puisque le fait de mettre la vie privée sur la place publique n’est en rien û bien au contraire û un progrès de la liberté ou de l’égalité. La tyrannie de la transparence est une tyrannie tout court :  » Le catholicisme a créé le confessionnal, le stalinisme a inventé l’autocritique, la télévision fait la synthèse de ces pratiques, les développe, les projette dans des millions de foyers « , suggère légitimement Thoveron. Exact : les participants à ce genre d’émissions ne sont pas là pour s’exprimer, mais pour tenir un rôle. Bien vu : ce qu’ils disent ne l’est pas par hasard. Et ce qui, de leurs interventions, est porté à la connaissance du public est minutieusement choisi.

L’assaut de l’auteur contre la télé-réalité et ses studios concentrationnaires, aussi, sonne juste. Les incarcérations provisoires du genre Loft Story non plus, ne disent pas le vrai : réalisateurs et scénaristes veillent au grain. Le grain, en l’espèce, c’est la fabrication d’histoires prérequises à partir d’un résumé manipulateur des événements du jour survenus fortuitement entre les membres du huis clos. Triés sur le volet par des psy, ces heureux élus û souvent recrutés dans des milieux interlo- pes û ne le sont d’ailleurs que parce qu’ils incarnent certains stéréotypes porteurs. Là encore, donc, les dés sont pipés. Les résultats des fameux votes par téléphone des téléspectateurs sont trafiqués par les animateurs qui disposent parfois d’un droit de veto… Correct : les héros de la Star Ac’ sont des denrées périssables qui ignorent la date de leur péremption !

Tout cela est furieusement de notre temps, de cette époque étrange qui nous traverse tous, conclut l’auteur. De fait. A l’heure où les technologies dites nouvelles permettent de nous suivre à la trace nuit et jour et où chacun accepte sans broncher d’être ainsi filmé, fiché, traqué, l’indiscrétion cesse d’être un vilain défaut et le voyeurisme, un vice rédhibitoire. Juste : la loi de la jungle que valorisent des émissions comme Le Maillon faible est bien le calque de cette société néolibérale où chacun se doit de vendre chèrement sa peau.

Toute cette perspicacité n’a cependant rien d’inédit : d’autres analyses de la même eau ont depuis belle lurette crucifié le  » nouveau paysage audiovisuel  » et dénoncé leurs fumisteries. On aimerait dès lors que les sociologues nous disent désormais d’autres choses des médias. Qu’ils nous fassent, entre autres, savoir ce que deviennent, à l’âge adulte, comme travailleurs et citoyens, les générations formatées par la télé poubelle. Ou qu’ils nous expliquent pourquoi nous la plébiscitons, si massivement, semble-t-il…

La télévision nous éclairait. Désormais, elle nous illusionne…

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