Cécile de France, à la fois femme fatale, maîtresse et agent trouble dans Django (Reinhardt, incarné par Reda Kateb). © sdp

La belle saison de Cécile de France

L’actrice namuroise incarne tout en glamour et en mystère la maîtresse de Django Reinhardt dans Django, le film que consacre Etienne Comar au génial musicien.

Période faste pour Cécile de France qui, quelques mois après The Young Pope, la minisérie réalisée par Paolo Sorrentino pour HBO, est aujourd’hui à l’affiche de Django, le film que consacre Etienne Comar à Django Reinhardt, guitariste de génie et inventeur d’un style bientôt baptisé le jazz manouche. Si l’oeuvre se veut biographique (s’attachant plus particulièrement aux années d’Occupation, de 1943 à 1945), l’actrice namuroise y apporte une touche de fantaisie et de fiction dans le rôle de Louise de Klerk, tout à la fois femme fatale, maîtresse et agent trouble, identités multiples se parant à l’écran de glamour et de mystère.

 » Louise n’a jamais existé dans la vie de Django, précise la comédienne, rencontrée à l’occasion de la Berlinale, dont le film faisait l’ouverture, en février dernier. Lorsque je me suis inquiétée de la façon dont j’allais pouvoir la nourrir, Etienne Comar m’a offert le livre de Marc Lambron L’oeil du silence. C’est un témoignage sur la vie de Lee Miller, une femme en tous points fascinante, qui avait été mannequin à New York, avant d’arriver à Paris au début des années 1930, à l’âge de 22 ans. Elle voulait devenir photographe, et a rencontré Man Ray, dont elle fut le modèle, la muse et la maîtresse. Elle s’est retrouvée dans le tourbillon des nuits blanches de Montparnasse, des soirées avec Cocteau, Picasso, Max Ernst, Eluard et tous ces artistes de l’entre-deux-guerres, avant de devenir photographe de guerre elle-même. Lee Miller était intrépide et courageuse, mais aussi très libre : c’était une femme indépendante, portant des pantalons, voyageant et multipliant les amants. Si l’on considère l’époque dans laquelle elle vivait, elle représente l’émancipation à laquelle aspiraient les femmes et qu’incarnaient les stars.  »

Un destin éminemment romanesque donc, avec aussi ce qu’il fallait d’ambiguïté pour que l’actrice puisse s’y engouffrer :  » Elle avait une face sombre, et était très secrète. Et en même temps, elle présentait un mélange de vulnérabilité et de tristesse insondable. Je trouvais stimulant qu’on ait la sensation de ne pas la connaître exactement dans le cours de l’action, ni de savoir de quel côté elle se situe. C’est intéressant du point de vue de la fiction, et c’est aussi plus excitant à jouer.  »

Maîtriser le grand écart

Pour une comédienne à qui l’on associe le plus souvent l’adjectif solaire – voir ses films avec Cédric Klapisch, mais encore Le Gamin au vélo, des frères Dardenne, ou La Belle Saison, de Catherine Corsini -, un tel personnage offrait aussi l’opportunité d’exposer une autre facette de son talent. Sans qu’il y ait lieu, pour autant, de parler de plan de carrière.  » Ma passion, c’est jouer, et rien d’autre « , martèle Cécile de France, avant de préciser :  » Ce dont j’ai besoin, c’est un bon personnage couplé à une bonne histoire, et si le réalisateur est bon également, c’est encore mieux. Je suis difficile, et je refuse beaucoup de choses, m’en remettant à mon coeur et à mon instinct.  » Un placement avisé, si l’on considère ses choix qui l’ont vue se défier notamment de ces rôles de bobo que l’on avait tendance à lui proposer à satiété. A quoi elle préfère, dit-elle, des films qui ouvrent et élèvent l’esprit ; un cadre taillé sur mesure pour Django. » Je viens du théâtre, et je n’ai pas choisi le cinéma pour faire n’importe quoi. Je sais ce que je veux, mais aussi ce que je ne veux pas faire. […] Ce film aborde le destin des tziganes pendant la guerre, un sujet dont le cinéma ne parle pas et qui n’est que rarement abordé dans les livres d’histoire. C’est un honneur pour moi d’y être associée…  »

Sa vocation de comédienne, Cécile de France l’a découverte précocement. A 6 ans, précisément, à l’occasion d’une récitation de poésie.  » J’étais une enfant fort timide, très sage. J’avais préparé ma poésie avec ma mère, un texte de Maurice Carême et, en classe, quand l’instituteur a demandé qui voulait prendre la parole, je me suis levée, et j’ai fait un véritable spectacle devant la classe. A la fin, les autres élèves m’ont applaudie, et j’ai réalisé avoir trouvé ma place dans l’univers…  » Et une ligne dont elle n’allait plus déroger, qui la conduira à suivre l’enseignement de Jean-Paul Denizon, ancien assistant de Peter Brook, avant de rejoindre l’école de la rue Blanche, à Paris, formation pas étrangère, suggère-t-elle, à l’impression de naturel qu’elle projette à l’écran. De celle-ci, le cinéma a su faire bon usage, qui l’a encore distribuée chez Xavier Giannoli (Quand j’étais chanteur), Claude Miller (Un secret), Eric Rochant (Möbius) et jusqu’à Clint Eastwood (Hereafter).

C’est dire aussi si elle a dû apprendre à maîtriser la technique du grand écart, disposition portée à son apogée lorsqu’elle enchaîna, en 2011, les films du filiforme Américain puis des frères Dardenne.  » Clint Eastwood ne fait pas de répétitions et ne tourne qu’une prise, tandis que chez les Dardenne, on a deux mois de répétitions, après quoi ils font encore une vingtaine de prises, c’est donc l’exact opposé. Mon boulot, c’est d’être prête à travailler de la sorte. Pouvoir exercer ma faculté d’adaptation me passionne, sans que je privilégie l’une ou l’autre méthode, d’ailleurs : répéter deux mois, comme au théâtre, permet de chercher dans une direction, puis d’essayer autre chose. On sait avoir du temps, ce qui est confortable. Mais quand on ne fait qu’une prise, il y a ce sentiment que c’est maintenant ou jamais, avec l’adrénaline qui va de pair. Et cela renvoie aussi à l’expérience théâtrale, parce que sur scène, il faut être bon dans le moment. Je ne peux pas préférer une façon de procéder à l’autre, sans quoi je m’exposerais à être malheureuse ; en tant que comédiens, nous devons être capables de tout.  » Philosophie ne lui ayant, en tout état de cause, pas trop mal réussi. Et qu’elle a mise à l’épreuve récemment de la caméra de Carine Tardieu, la réalisatrice de Du vent pour mes mollets, pour Otez-moi d’un doute, une comédie dramatique où elle a pour partenaire François Damiens, et qui lui vaudra d’arpenter la Croisette dans quelques jours, le film étant sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs. En attendant ses retrouvailles annoncées, à date indéterminée, avec Paolo Sorrentino, pour une saison 2 de The Young Pope dont on se délecte rien qu’à y penser…

Critique de Django et entretiens avec Etienne Comar et Reda Kateb dans Focus Vif, par ailleurs.

Par Jean-François Pluijgers

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