La belle, la brute e t le diamant

Naomi Campbell a-t-elle reçu une pierre précieuse en cadeau du criminel de guerre libérien Charles Taylor ? La réponse intéresse le Tribunal international pour la Sierra Leone. Qui pourrait convoquer le top-modèle à la barre malgré son refus de témoigner.

Tous les avocats le disent : Naomi Campbell est une  » bonne cliente « . Abonnée aux esclandres, le top-modèle britannique a fait l’objet d’une dizaine de plaintes et écumé presque autant de tribunaux correctionnels, à raison d’une comparution en moyenne tous les deux ans. Il semble que la vie de multimillionnaire engendre le stress : la star a déjà insulté ou agressé – à l’aide de téléphones portables incrustés de diamants, parfois – une ribambelle de plaignants aux profils les plus divers : femmes de ménage, serveuses, coiffeuses, chauffeurs, assistantes, mannequins, policiers, sans oublier un pilote de ligne de British Airways. Si son comportement lui a déjà valu d’être poursuivie en justice, la reine des défilés n’avait jamais été appelée à la barre d’un Tribunal international. Tout arrive.

Le mois dernier, un chapitre inédit de cette saga judiciaire s’est ouvert à La Haye (Pays-Bas) sous le regard contrarié de chroniqueurs mondains du monde entier, soudain obligés de s’intéresser à la guerre civile en Sierra Leone, un drame qui manque singulièrement de glamour. Entre 1991 et 2002, ce petit pays d’Afrique de l’Ouest (6 millions d’âmes) a été le théâtre d’une guerre sanglante pour le contrôle de ses mines de diamants. Bilan : 100 000 à 200 000 morts, 2 millions de déplacés et des milliers de mutilés, sauvagement amputés par les combattants du Front révolutionnaire uni de Foday Sankoh. Décédé en prison en 2003, ce seigneur de guerre mystique était soutenu en sous-main par Charles Taylor, qui deviendra ensuite président du Liberia voisin.

Taylor est considéré comme le cerveau d’une  » guerre des diamants  » qui a inspiré un film, Blood Diamond, sorti en salle il y a quatre ans, avec Leonardo DiCaprio. Arrêté en 2006, puis transféré à La Haye, il est jugé depuis janvier 2008 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, qui siège sous l’égide des Nations unies.

Or, le 20 mai dernier, les procureurs de cette cour spéciale ont réclamé aux juges la convocation et l’audition de Naomi Campbell. Son témoignage est  » crucial « , selon l’accusation, pour faire éclater la vérité au procès de l’un des plus grands criminels vivants du continent africain. Les 11 chefs d’inculpation qui pèsent sur Charles Taylor parlent d’eux-mêmes :  » actes de terrorisme « ,  » assassinats « ,  » viols « ,  » pillages « ,  » recrutement d’enfants soldats « ,  » esclavage sexuel « à

Mais que vient donc faire l’égérie de Louis Vuitton et de Dolce & Gabbana dans cette galère ? Pour comprendre, il faut remonter près de treize ans en arrière. Le 26 septembre 1997, Naomi Campbell se trouve à Pretoria, capitale de l’Afrique du Sud, à l’invitation de Nelson Mandela. Après une traversée du pays à bord du luxueux Blue Train, qui relie Le Cap à Pretoria, le top-modèle participe, à la résidence présidentielle, à un dîner mondain dont les invités sont également hébergés pour la nuit. La liste des convives ressemble à un casting de rêve. Accompagnée de son agent, Carole White, miss Campbell rejoint à table la seconde épouse de Nelson Mandela, Graça Machel, la comédienne Mia Farrow (Gatsby le Magnifique, Hannah et ses s£urs), l’acteur Tony Leung ( In the Mood for Love), le compositeur Quincy Jones (alors producteur de Michael Jackson) et sa compagne Lisette Derouaux, ainsi que le richissime Pakistanais et star du cricket Imran Khan, accompagné de son épouse Jemima (fille du milliardaire décédé Jimmy Gold-smith, ex-propriétaire de L’Express). Sans oublier, last but not least, Charles Taylor, fraîchement et démocratiquement élu président du Liberia. Après les agapes, arrosées de vin blanc sud-africain, chacun, encore ébloui par la beauté de Naomi, remonte dans sa chambre.

Mia Farrow raconte la suite du séjour :  » Le lendemain matin, confie-t-elle à la chaîne américaine ABC, alors que les autres invités, mes enfants et moi nous nous trouvions à la table du petit déjeuner, Naomi Campbell nous a narré une histoire inoubliable. Elle nous a dit avoir été réveillée dans la nuit par deux ou trois hommes venus frapper à sa porte pour lui offrir un énorme diamant de la part de Charles Taylor. Nous étions soufflés. Moi, je me suis dit : « Waou ! Quelle vie incroyable que celle de Naomi Campbell ; des tas d’hommes lui offrent sans doute des tas de diamantsà »  » Selon l’ex-femme de Woody Allen, désormais militante humanitaire active en Afrique, Naomi aurait ajouté qu’elle donnerait la pierre précieuse à la Fondation pour l’enfance de Nelson Mandela. Celle-ci n’a aucune trace d’un tel don.

Le 13 mai dernier, les procureurs de La Haye ont engrangé un autre témoignage accablant, celui de Carole White. L’ex-agente de Naomi Campbell se souvient d’avoir entendu Charles Taylor exprimer son intention d’offrir des diamants à Naomi. Surtout, elle a vu de ses propres yeux un groupe d’hommes donner une gemme translucide à la Panthère noire, de la part de Taylor.

Ces récits démolissent la ligne de défense de l’accusé. Ce dernier affirme qu’il n’a jamais possédé le moindre diamant, hormis quelques bijoux de famille. Par conséquent, selon lui, il est impossible qu’il ait pu se livrer à un quelconque trafic d’armes financé par des diamants et à destination de la Sierra Leone, comme il en est accusé.

On touche ici à un point essentiel du dossier : la visite de Charles Taylor à Nelson Mandela n’était en effet que la première étape d’une tournée africaine dont les escales suivantes l’ont conduit en Libye, puis au Burkina. Or, au début d’octobre 1997, quelques jours seulement après le  » dîner des célébrités « , il est établi qu’un important chargement d’armes et de munitions destinées aux alliés sierra-léonais de Charles Taylor a été livré en secret sur l’aérodrome de Magburaka, en Sierra Leone. Ce cargo provenait du Burkina et, auparavant, semble-t-il, de Libye. Parti du Liberia avec des diamants dans ses valises, l’accusé Taylor, subjugué par la beauté du top-modèle, lui en aurait offert un. Selon l’accusation, les autres pierres auraient servi à finaliser une transaction portant sur un trafic d’armes.

Reste à obtenir le témoignage du principal témoin. Seule Naomi Campbell est en position de prouver de manière irréfutable que, contrairement à ses dénégations, Taylor voyageait bien avec des pierres précieuses. Depuis plusieurs mois, les procureurs de La Haye multiplient donc les tentatives de prise de contact avec elle, par mail ou par téléphone. Ses conseillers juridiques font savoir qu’elle refuse de coopérer avec la justice internationale.

En avril dernier, enfin, la star s’exprime à sa manière sur le sujet.  » Je n’ai pas reçu de diamants et je ne vais pas parler de cela avec vous « , déclare-t-elle, laconique, alors qu’une journaliste de la chaîne américaine ABC la presse de questions en marge d’un défilé de mode. Après quoi, elle met fin à l’interview. Se lève. Et balance un uppercut à la caméra.

Quelques jours plus tard, le 3 mai, elle évoque la question devant des millions de téléspectateurs, de manière posée et sans nier, cette fois, l’existence d’un cadeau.  » Je ne veux pas être mêlée au procès de cet homme qui a fait des choses terribles « , explique-t-elle sur le plateau de l’animatrice Oprah Winfrey. Et de se justifier :  » Je ne veux pas mettre ma famille en danger.  » Une prise de parole maladroite qui laisse supposer que Naomi Campbell disposerait bel et bien d’informations susceptibles d’intéresser la justice.  » Elle n’aurait pas de raison d’avoir peur pour sa famille si elle ne disposait d’aucune information impliquant l’accusé « , soulignent les procureurs dans un argumentaire adressé à la présidente de la cour.

Il revient maintenant aux juges de statuer sur deux points. D’une part, les magistrats doivent convoquer (ou non) Mia Farrow, Carole White et Naomi Campbell à la barre des témoins. D’autre part, le cas échéant, ils devront émettre une  » injonction d’apparaître devant le Tribunal  » visant Naomi Campell.  » Les juges devraient se prononcer avant la fin de l’été « , précise Solomon Moriba, porte-parole du Tribunal spécial pour la Sierra Leone.

Pour sa part, Terry Munyard, l’un des défenseurs de Charles Taylor, minimise l’importance de  » l’affaire Campbell  » :  » Il est regrettable, ironise l’avocat britannique, qu’un procès dont beaucoup ignoraient jusqu’à l’existence soit porté à la connaissance du public en raison d’un aspect secondaire du dossier, lié à un personnage hollywoodien sans aucun rapport avec la guerre civile sierra-léonaise.  » Surtout, selon lui, le témoignage du top-modèle ne ferait pas avancer la justice :  » Même si Mlle Campbell reconnaissait avoir reçu un diamant en cadeau, cela n’établirait en rien l’implication de l’accusé dans un trafic d’armes. « 

Pendant que magistrats et avocats affûtent leurs arguments, la meilleure copine de Kate Moss poursuit sa vie de jet-setteuse, volant d’un palace à l’autre et de Rio de Janeiro – sa ville préférée – à Moscou – lieu de résidence de son boyfriend. Deux ports d’attache situés loin, très loin, des charniers de la Sierra Leone. A. G.

AXEL GYLDÉN

Les autres pierres auraient servi à un trafic d’armes

 » je ne veux pas mettre ma famille en danger « , explique naomi

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