La Belgique oui, mais autrement

Luc De Bruyckere et Jean-Pierre Delwart président les organisations patronales flamande (Voka) et wallonne (UWE). Ils ne sont pas vraiment étonnés des résultats des élections mais voient différemment l’avenir du paysage entrepreneurial des deux Régions. Entretien croisé.

Le Vif/ L’Express : Un raz de marée nationaliste en Flandre, socialiste en Wallonie. Comment vivez-vous cela ?

Luc De Bruyckere [Voka, Ter Beke (L’Ardennaise, Les Nutons…)] : Ce que l’électorat flamand a exprimé n’est que le résultat d’un courant profond existant depuis longtemps et qui s’est aggravé ces dernières années. Je ne crois pas que la Flandre veuille se séparer du reste du pays (85 % des Flamands y sont opposés) mais elle veut un changement profond. Je ne crois pas à la fin de la Belgique mais à l’avenir d’une nouvelle Belgique.

Jean-Pierre Delwart (UWE, Eurogentec) : Je crois que les électeurs du nord et du sud du pays ont voté en fonction de leurs préoccupations. Elles sont différentes. Nous devons absolument trouver un terrain d’entente rapidement. Aujourd’hui, il faut qu’un gouvernement soit formé le plus tôt possible afin d’éviter que notre image de marque soit davantage écornée. Il n’y a rien de pire que l’incertitude et l’immobilisme des trois dernières années.

A-t-on besoin d’une crise institutionnelle alors que la crise économique mondiale est loin d’être derrière nous ?

L.D.B : Beaucoup de pays prennent des mesures radicales pour assainir leurs finances publiques. On en est encore loin. La Flandre a décidé de revenir à un budget équilibré en 2011 alors que le fédéral table sur 2015. Pourquoi ? Les défis sont identiques en Flandre qu’ailleurs. La compétitivité belge a perdu 25 % de parts de marché en un quart de siècle. C’est en grande partie dû aux structures de notre pays. Elles sont tellement lourdes qu’on ne parvient plus à prendre les mesures qu’il convient. Il faut donc restructurer les institutions afin de pouvoir décider de notre avenir sur les grands défis : compétitivité, taux d’emploi, taux de chômage, déséquilibre budgétaire, dette.

J.P.D. : Il faut oser prendre des mesures courageuses et veiller à ne pas alourdir encore le poids du fonctionnement de l’Etat et des Régions. Tout transfert de compétences se traduit par des coûts importants.

La Flandre plaide pour une refonte de notre modèle social. La Wallonie doit-elle suivre ?

L.D.B. : Oui. Il faut adapter notre modèle à la réalité. Nous avons connu une prospérité importante par rapport à nos voisins. Aujourd’hui, nous la perdons. Une des raisons en est que notre modèle, basé sur l’industrialisation de l’économie, les grandes entreprises…, a volé en éclats sans qu’on s’y soit préparé. Notre modèle social n’est plus adapté à cette nouvelle réalité. Il faut le repenser pour retrouver le chemin de la prospérité. Nous devons le baser sur le principe de flexicurity (alliance de flexibilité et de sécurité), cher aux pays nordiques. Il permet d’améliorer le taux d’emploi qui est le premier pilier de soutien à notre sécurité sociale.

J.P.D : Je peux comprendre que les différences existant dans le paysage économique du nord et du sud du pays ne soient pas aisément compatibles avec un projet commun. Mais cela ne signifie pas que nous devions accepter tout et n’importe quoi. Cela étant, notre régime de protection sociale est très généreux et on doit se demander si on peut encore se l’offrir.

La régionalisation de certaines matières devrait-elle être renforcée ?

L.D.B. : Il y a une grande divergence entre les taux d’emploi flamand et wallon, sans parler de Bruxelles. Sans changement de modèle, on ne parviendra pas au taux d’emploi de 70 %, voire 75 %, prôné par l’Union européenne. Pour y arriver, le patronat flamand plaide pour une régionalisation du marché du travail, en matière d’activation et de sanction en particulier. Il faut organiser la solidarité autrement.

J.P.D. : Je ne pense pas que nous ayons besoin de plus de régionalisation. Cela alourdit inutilement les charges qui pèsent sur les entreprises. Que l’on régionalise des domaines  » localisables « , comme les politiques de remise au travail des chômeurs, soit. Mais à quoi sert-il de régionaliser aujourd’hui ce qui sera un jour ou l’autre géré par l’Europe ?

Ces derniers mois, on constate que les chiffres wallons tendent à s’améliorer, ce qui n’est pas nécessairement le cas de la Flandre. La  » suffisance  » flamande n’est-elle pas une arme à double tranchant ?

L.D.B. : La Wallonie va mieux, c’est vrai. Le plan Marshall donne des résultats. La Flandre a tout intérêt à avoir une Wallonie forte à côté d’elle, c’est notre voisin le plus proche. Mais il faut qu’on se mette d’accord sur une régionalisation accrue et un projet commun que les Régions mettraient sur pied ensemble. Il faut garder Bruxelles comme agglomération urbaine capitale et réaliser un  » réengineering  » de nos institutions. Les patrons flamands veulent une plus grande efficacité des structures régionales.

J.P.D. : L’important aujourd’hui est surtout de maintenir et renforcer notre compétitivité et notre attractivité. Les entreprises attendent la sécurité juridique et une charge administrative qui ne soit pas plus grande encore. L’investisseur étranger ne s’intéresse pas au fait que BHV soit scindé ou non ; il attend un cadre stable. En tant que Wallons, nous devons à présent mettre le turbo.

Les responsables politiques ne sont sans doute pas les seuls à devoir prendre leurs responsabilités.

L.D.B. : S’il faut une coalition forte et ambitieuse, the coalition of the brave, il faut aussi rassembler tous les gens courageux du monde de l’entreprise, des syndicats et de la presse pour parvenir à faire comprendre les enjeux du changement au plus grand nombre. Il faut restaurer la confiance, jeter des ponts, se parler. On ne se connaît plus. Il est impossible de se comprendre dans ces conditions.

J.P.D. : Il est temps de montrer ce que nous voulons et de tout mettre en £uvre pour éviter le chaos. Cela étant, nous devons faire attention au cadeau empoisonné que pourrait représenter le poste de Premier ministre. Je crois, par ailleurs, que les partis politiques doivent faire plus attention à ce qui se passe de l’autre côté de la frontière linguistique afin de mieux cerner les réalités.

Vous ne croyez pas en la scission du pays ?

L.D.B. : Non. Je n’aime d’ailleurs pas utiliser de tels termes, comme celui de confédéralisme par exemple. On a tenu des élections confédérales, c’est clair. Mais il faut discuter ensemble et se rassembler pour mettre en place un gouvernement stable et revoir la loi de financement qui aura pour conséquence une réforme institutionnelle. Par ailleurs, il faut renforcer le niveau régional afin d’homogénéiser les responsabilités en ce qui concerne notamment le marché du travail ou la fiscalité. Cela ne doit pas faire peur, à partir du moment où le socle reste commun.

J.P.D. : Il faudrait avant tout voir ce qu’on appelle socle commun. Je ne suis pas favorable à une régionalisation de l’impôt des sociétés. Les entreprises de services sont actives dans les différentes Régions : où devrait-on calculer l’impôt ? Nous ne pouvons nous lancer dans une concurrence fiscale. Ce serait dangereux et dommageable. Nos problématiques sont les mêmes. Toutefois, nos approches de solution sont différentes dans la mesure où un certain nombre de Flamands pensent qu’ils s’en sortiraient mieux seuls. Mais ils oublient le problème de Bruxelles et de son refinancement. Ce n’est pas négligeable. Il ne faut pas croire qu’on peut partir avec le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière.

PROPOS RECUEILLIS PAR DIDIER GROGNA

 » je ne pense pas que nous ayons besoin de plus de régionalisation  » j.-p. delwart

 » je ne crois pas que la flandre veuille se séparer du reste du pays  » luc de bruyckere

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