LA BELGIQUE N’EST PAS ÉPARGNÉE

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Le petit monde de la restauration belge est, lui aussi, taraudé par le stress. De quoi pousser les chefs à rechercher le réconfort dans l’alcool et la drogue ? Officiellement, non. Quand on prend la température auprès des plus en vue, ils promettent la bouche en coeur que  » tout va très bien, merci de poser la question « . Bien sûr, il y a des dérapages mais  » ce sont des cas isolés « , assure-t-on. Ainsi de Peter Goossens, chef flamand 3-étoiles, installé au sommet de la gastronomie nationale, qui a fait un burnout retentissant. Un cocktail de stress et d’alcool auquel les mauvaises langues n’hésitent pas à ajouter un soupçon de cocaïne. Toujours est-il que l’homme s’en est sorti et a renoué avec l’excellence.

L’un des rares à ne pas user de la langue de bois est Yvan Roque. Le président de la Fédération Horeca de Bruxelles monte au créneau pour soutenir son secteur tout en reconnaissant que le problème de la consommation d’alcool et de drogue est réel. Bien conscient du fléau, le porte-parole des restaurateurs bruxellois voit dans la technologie une solution :  » Il existe des aberrations dans les cuisines. Parmi celles-ci, les taques coup-de-feu. Elles produisent une chaleur qui vous assèche les poumons à 70 %. Vous pouvez boire toute l’eau que vous voulez, cela ne vous désaltérera pas. Seul l’alcool, avec le sucre qu’il contient, procure un soulagement. Il n’y a aucun doute, ces taques contribuent à l’alcoolisme qui se perpétue depuis des années en cuisine. Il est crucial que les chefs les fassent disparaître au profit de plaques à induction.  »

Quand on sonde les commis et autres plongeurs en cuisine, le son de cloche est différent, plus sombre.  » C’est l’ancienne génération qui avait des soucis d’alcool, explique un sommelier bruxellois. Aujourd’hui, on trouve surtout de la cocaïne en cuisine et de l’herbe en salle. Les premiers sont dopés au fantasme de toute-puissance, avec comme effet secondaire de pouvoir tenir tout un service sans ressentir la faim, ni la soif… Tandis que les seconds fument de l’herbe pour aborder la clientèle en toute décontraction. Malheureusement, certains sont parfois totalement déconnectés.  »

Un autre professionnel détaille cette répartition infernale des paradis artificiels :  » Les chefs sont superspeedés avec la cocaïne, les serveurs, eux, bossent à leur rythme. Cela donne naissance à des retards incompréhensibles entre une demande et la réaction attendue. Un chef peut ainsi attendre le sel qu’il a demandé pendant cinq secondes, exactement le genre de scénario qui rend un cocaïnomane fou.  »

Généralement bien gérée, la consommation de cocaïne chez certains peut engendrer des problèmes économiques. Un plongeur ayant passé plusieurs années dans une enseigne en vue en témoigne :  » Le chef sniffait de la neige à chaque service, 7 jours sur 7. Cela a commencé à lui poser des soucis financiers. A 50 euros le gramme, ça fait cher. Il a dû se résoudre à faire un break de plusieurs mois pour décrocher.  »

Un chef de partie, ayant travaillé dans plusieurs maisons en Belgique et à l’étranger, confirme le succès croissant de la  » cc « .  » Le problème c’est le rythme de vie, souligne-t-il. Quand vous terminez un service, vous êtes sur les nerfs, impossible d’aller se coucher, alors vous faites la fête avec vos collègues. Votre vie sociale n’a rien à voir avec celle des autres personnes. Au départ, vous tenez grâce à l’alcool et vous vous en contentez, vous vous dites « pas question de passer à la coke ». Seulement, au fil du temps, vous êtes de plus en plus crevé, sur les genoux. Alors vous sniffez de temps en temps avant le service et c’est magique : vous retrouvez une énergie de dingue. A la fin, sans vous poudrer le nez, vous êtes agressif et déprimé… du coup, vous faites le plein pour ne jamais redescendre.  »

Pour un vieux routard de la restauration bruxelloise, le phénomène n’a rien de nouveau. Ayant oeuvré en salle dans de nombreuses brasseries, il raconte :  » Il y a vingt ans, j’étais responsable de salle d’un restaurant qui existe toujours en centre-ville. Le personnel arrivait déjà défoncé à l’ecstasy. Autre temps, autres moeurs ! Aujourd’hui, c’est l’herbe et la cocaïne. Ce qui ne varie pas, en revanche, c’est le cocktail qui permet cela. A savoir, souvent des gamins peu formés qui gagnent bien leur vie et font la fête après le boulot pour évacuer le stress d’un boulot pas facile. Une partie de l’argent qu’ils gagnent est au noir, ils le dépensent sans laisser de traces… et consument leur vie par les deux bouts. « 

Michel Verlinden

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