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L’ histoire en marche

Du triomphe de la réalisatrice chinoise Chloé Zhao pour l’étincelant Nomadland aux prix remportés par Daniel Kaluuya pour Judas and the Black Messiah et Youn Yuh-Jung pour Minari, la 93e cérémonie des Oscars a été placée sous le signe de la diversité.

Exceptionnellement délocalisée pour cause de pandémie du Dolby Theatre de Hollywood à la gare de Union Station, à downtown L.A., la 93e cérémonie des Oscars était appelée à sortir de l’ordinaire. Dans la forme, bien sûr, le temps d’une soirée d’une sobriété inhabituelle, mais par son palmarès également, placé sous le signe de la diversité. Une tendance que laissait entrevoir la sélection, les circonstances sanitaires et la fermeture des salles pendant une bonne partie de la période considérée, avec pour conséquence une présence réduite de films de studios, ayant laissé le champ libre aux « indépendants », au premier rang desquels Nomadland, de la Chinoise Chloé Zhao (lire aussi son portrait page 6). Mais aussi aux plateformes, avec pas moins de 35 nominations pour la seule Netflix – un record.

Les Oscars 2021 résonnent avec l’actualité de l’Amérique, que ce soit celle des déclassés de Nomadland ou celle des tensions raciales.

A l’autopsie, seul Nomadland a confirmé son statut de favori, remportant trois Oscars, dont les plus convoités, à ceux du meilleur film et de la meilleure réalisatrice étant venu s’ajouter celui de la meilleure actrice pour Frances McDormand. Cela, alors que Netflix échouait à répéter la performance de Roma, sacré meilleur film en 2019, le géant du streaming remportant certes sept statuettes, mais aucune d’un rayonnement comparable. Et ce ne sont pas les deux Oscars techniques glanés par Mank sur dix nominations qui changeront grand-chose à l’affaire, David Fincher apparaissant une fois encore comme le grand oublié de la soirée – une « habitude » dans le chef du réalisateur de The Social Network, souvent nommé mais jamais récompensé.

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Chloé Zhao écrit l’histoire

Attendu, le triomphe de Nomadland n’a rien d’anodin. Avant tout, parce qu’il consacre un grand film, l’un des plus beaux que l’on ait vu ces derniers mois. La cinéaste chinoise Chloé Zhao, installée de longue date aux Etats-Unis où elle a tourné ses trois longs métrages, y plonge au coeur des failles d’une contrée rendue exsangue par le libéralisme sauvage, sur les traces d’une femme que la crise conduit à rejoindre le flot des nomades qui sillonnent désormais la route de l’envers du rêve américain. Une réalité dont la réalisatrice tire une oeuvre singulièrement inspirante, tout en écrivant l’histoire, puisqu’elle est la seconde femme seulement à remporter l’Oscar du meilleur réalisateur en plus de celui du meilleur film, onze ans après que Kathryn Bigelow avait réussi pareil doublé pour Démineurs. C’est presque pour la forme que l’on mentionnera encore qu’elle est aussi la première cinéaste non blanche à être couronnée ; le signe, en tout état de cause, que les Oscars sont bel et bien engagés sur la voie du changement et de la diversité, fût-ce en slow motion, Chloé Zhao succédant au palmarès à un autre Asiatique, le Coréen Bong Joon-ho.

Une tendance qu’ont également confirmée les prix saluant les comédiens. Si sa prestation dans Nomadland a valu à Frances McDormand un troisième Oscar, tandis que Anthony Hopkins l’emportait dans la catégorie meilleur acteur pour The Father, l’actrice Youn Yuh-jung a, pour sa part, obtenu l’Oscar du meilleur second rôle féminin pour sa composition dans Minari, de Lee Isaac Chung. Une première pour une comédienne coréenne, et un symbole, dans un pays qui connaît une recrudescence du racisme antiasiatique. Impossible par ailleurs de ne pas voir dans Judas and the Black Messiah, de Shaka King, pour lequel Daniel Kaluuya emporte l’Oscar du meilleur second rôle, l’écho du mouvement Black Lives Matter, puisque l’acteur y campe Fred Hampton, charismatique leader du Black Panther Party assassiné par le FBI en 1969. Manière de signifier que si on a pu leur faire le reproche, par le passé, d’apparaître coupés de la réalité, les Oscars 2021 s’étaient faits forts de résonner pour leur part avec l’actualité de l’Amérique, que ce soit celle des déclassés de Nomadland ou celle des tensions raciales.

Frances McDormand et Youn Yuh-jung, respectivement meilleure actrice et meilleur second rôle féminin. Anthony Hopkins est sacré meilleur acteur tandis que le film belge The Sound of Metal repart avec deux statuettes.
Frances McDormand et Youn Yuh-jung, respectivement meilleure actrice et meilleur second rôle féminin. Anthony Hopkins est sacré meilleur acteur tandis que le film belge The Sound of Metal repart avec deux statuettes.© RUTERS

Enfin, on s’en voudrait de ne pas ponctuer ce tour d’horizon par un cocorico, la coproduction belge The Sound of Metal repartant avec deux statuettes, pour le son et le montage. Ni sans relayer Frances McDormand qui, recevant son trophée de la meilleure actrice, y est allée d’un vibrant appel: « Je vous demande de bien vouloir aller voir notre film sur le plus grand écran possible et un jour, très bientôt, d’emmener toutes celles et tous ceux que vous aimez au cinéma, côte à côte, dans la pénombre d’une salle pour regarder tous les films qui ont été présentés ce soir. » On ne saurait mieux dire…

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