Kadhafi Orages et mirages

A la tribune de l’ONU comme à la tête de l’Union africaine, on craint ses foucades. Et on le ménage. De menaces en promesses, il ne cesse de jouer de sa capacité de nuisance.

L’homme a peut-être renoncé au terrorisme, mais il persiste à jouer les grenades dégoupillées. Le raid new-yorkais de Muammar Kadhafi a hanté les nuits des pontes onusiens. Leur cauchemar ? Que le  » Guide  » enfile son boubou chamarré d’imprécateur et, piétinant le protocole, assène à la faveur de la 64e session de l’Assemblée générale de l’ONU – sous présidence libyenne – une de ses harangues torrentielles. Lui qui, en quarante ans de règne, n’avait jamais daigné paraître à la tribune du  » machin « à

 » Il a fait de l’Union africaine sa chose « 

 » Ce type est fou !  » L’abrupt verdict émane d’un haut dignitaire de l’Union africaine (UA), que préside depuis février l’imperator bédouin. Dément, Kadhafi ? Pas si sûr. Fantasque, déroutant, irascible, certes. Mais ses tenues excentriques, ses colères théâtrales et ses lubies géopolitiques, qui doivent moins à Maurice Duverger qu’à Salvador Dali, masquent une implacable cohérence, gage de sa longévité. L’ancien officier putschiste, tombeur en 1969 du roi Idriss, peut bien récuser le concept même d’Etat : depuis le trépas du Gabonais Omar Bongo, il détient le titre de doyen des chefs d’Etat du continent, voire de la planète pour peu que l’on écarte du palmarès Elizabeth II d’Angleterre. Or, la puissance de l’appareil répressif n’explique pas tout. Tenir quatre décennies durant la barre de la galère libyenne requiert un art consommé des équilibres tribaux. S’il privilégie les siens, Kadhafi le funambule a su concéder aux caïds d’autres clans divers leviers, puisant dans la rente pétrolière de quoi huiler les rouages du système. C’est ainsi que furent anéanties au fil des ans les dissidences monarchiste, islamiste et démocrate.

Sur l’échiquier mondial, la logique du forcené fait aussi ses preuves. Paria repenti, l’ami Muammar s’est offert à vil prix, dès 2003, un brevet de respectabilité. Il lui a suffi alors d’endosser la responsabilité de deux carnages – le Boeing de la Pan Am en 1988, puis le DC-10 d’UTA l’année suivante, soit 440 assassinats – et de renoncer à son arsenal de destruction massive, au demeurant embryonnaire. Voilà comment le mécène favori des poseurs de bombes de tout poil devint l’allié de l’Occident sur le front de l’antiterrorisme. Le prodigieux pactole énergétique libyen – or noir et gaz – fera le reste. D’autant que ce Machiavel saharien joue à merveille des réserves accumulées – près de 100 milliards d’euros – mais aussi de la souplesse d’échine d’Européens hypnotisés par les promesses de contrats mirifiques. La palme en revient à l’Italie, ex-puissance coloniale, Londres et Paris se partageant un accessit.

C’est qu’au jeu du bonneteau le Guide de la  » Grande Jamahiriya (« République des masses ») arabe libyenne populaire et socialiste  » excelle : il encaisse les concessions cash et paie ses contreparties à crédit ou en fausse monnaie. Des exemples ? Au choix, le marchandage associé à la libération des infirmières bulgares, le retour au pays du cerveau présumé de l’attentat de Lockerbie ou l’humiliant marché de dupes imposé à la Suisse (voir l’encadré page 82).

Les ravages de la  » méthode Kadhafi « , mélange de largesses et de menaces, n’épargnent nullement ses  » frères africains « .  » Il a fait de l’UA sa chose « , soupire un diplomate chevronné, exposé aux foucades et aux diktats du timonier de la Jamahiriya. Dans la coulisse, on peste en silence.  » La trouille et la hantise des caisses vides « , grince cet initié. Gare à ceux qui osent contester au grand jour l’instauration à la cravache d' » Etats-Unis d’Afrique « , dotés d’un exécutif souverain. Telle est l’obsession du  » roi des rois  » du continent, adoubé en juillet en son fief de Syrte par une poignée de chefs coutumiers, sous le regard consterné de ses pairs. Seuls l’Ouganda, l’Afrique du Sud, le Nigeria et quelques francs-tireurs réprouvent cette chimère, quitte à déchaîner les foudres du Guide.  » Méfie-toi ! aurait lancé celui-ci à un réfractaire. J’ai déjà eu la tête de [l’ex-président sud-africain] Thabo Mbeki.  » L’Ougandais Yoweri Museveni impute d’ailleurs à Kadhafi la rébellion tribale qui a ensanglanté voilà peu Kampala. Une certitude : Sa Majesté Muammar Ier foule aux pieds le credo de l’UA. Il a tour à tour interdit aux pays membres de coopérer avec la Cour pénale internationale, béni les putschistes mauritaniens et désavoué la limitation du nombre de mandats présidentiels comme le suffrage universel. Normal : Kadhafi l’Africain ne veut entendre qu’une seule voix : la sienne.

VINCENT HUGEUX

il ne veut entendre qu’une voix : la sienne

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