Joyaux d’art et d’Histoire
Héritant des chefs-d’oeuvre amassés par les rois de France, le Louvre n’a cessé d’enrichir son patrimoine depuis la Révolution. Pour offrir au visiteur du musée l’une des collections les plus universelles au monde.
Sculptures La gloire des formes
C’est l’une des plus belles vitrines du musée. Depuis les travaux du Grand Louvre, le département des Sculptures expose les pièces les plus prestigieuses de sa collection française dans les cours Marly et Puget, au coeur de l’aile Richelieu. Les deux plus grandes salles du musée, inondées par la lumière traversant les verrières de Pei, constituent » un merveilleux poumon » pour le Louvre, selon Geneviève Bresc-Bautier, la directrice du département des Sculptures. Un écrin mettant notamment à l’honneur les pièces qui ornaient jadis les jardins des châteaux construits par Louis XIV, Versailles et Marly.
Or, ces sculptures ne faisaient pas partie des collections originelles du musée du Louvre à sa création en 1793. Saisies à la Révolution, en même temps que celles de certains aristocrates émigrés, les statues des collections royales sont d’abord partagées entre le Musée des Monuments français (créé dans l’ancien couvent des Petits-Augustins, qui abrite aujourd’hui l’Ecole des beaux-arts), à Paris, et le Musée spécial de l’école française, aménagé au sein du château de Versailles. C’est à la Restauration, lorsqu’on ferme ces deux musées, que ces statues prennent la direction du Louvre. Eclipsée par les merveilles de la statuaire antique, la sculpture » moderne » y occupe d’abord une place modeste. Jusqu’à ce que l’on commence à mieux mesurer son importance, au milieu du XIXe siècle. C’est ainsi qu’en 1848 est lancé le projet de réunir au Louvre tout le décor statuaire des résidences du Roi-Soleil. Projet auquel le département des Sculptures continue de travailler : l’année dernière, deux statues provenant du parc de Marly, Méléagre tuant le cerf et Méléagre tuant le sanglier, signées Nicolas Coustou, ont pris place non loin des célèbres Chevaux de Marly. Une acquisition dont Geneviève Bresc-Bautier se dit » très fière » : » Ces deux chasseurs qui se répondent constituent un groupe très dynamique, d’une grande valeur artistique. »
Mais le Louvre ne possède pas seulement la plus belle collection de sculpture française au monde. Au fil des acquisitions, il a aussi su constituer des séries de référence concernant notamment l’Italie et les pays du Nord.
Objets d’art Le summum du raffinement
L’apparence est trompeuse : si le département des Objets d’art n’est constitué officiellement qu’en 1893, les 20 000 objets précieux qui le composent ont été accumulés entre le Moyen Age et 1850. Véritable caverne d’Ali-Baba, il recèle des trésors que le visiteur pressé aurait tort de manquer. Jannic Durand, lui, connaît l’histoire de chacun. Spécialiste d’art médiéval et byzantin, le conservateur du patrimoine nommé à la tête du département l’an passé, après avoir fait toute sa carrière au Louvre, est incapable de livrer le carré d’as de ses préférences. » Demandez à une mère de choisir entre ses enfants… « , dit-il joliment. La diversité, constitutive de cette collection, est en effet impressionnante : émaux, orfèvreries, tapisseries, gemmes, meubles, verreries, trésors d’Eglise… La grande aventure des arts décoratifs remonte ici le temps, depuis les riches collections royales, jusqu’à la chute du Second Empire (et l’éphémère création du Musée des Souverains) en passant par les confiscations de la Révolution.
Certains objets en disent plus long qu’un manuel d’histoire, comme le sceptre de Charles V – sceptre des rois de France – , surmonté de la statuette en or de Charlemagne, véritable outil de légitimation politique des Valois ; d’autres rappellent les passions raffinées des rois de France, comme celle de Louis XIV pour les pierres dures, exposées dans la somptueuse galerie d’Apollon – vases, coupes, aiguières en cristal de roche, lapis-lazuli, onyx… Marie-Antoinette était, certes, beaucoup trop dépensière… mais quel magnifique mobilier elle laisse ! Les versements successifs du mobilier national au Louvre, les achats inspirés – comme le bouclier et le casque de Charles IX, un des rares témoignages des armes de luxe de la Renaissance française -, les dons des grands collectionneurs du XIXe et du début du XXe siècle et enfin, la politique d’acquisition du musée font l’incroyable richesse de ces salles qu’on peut souvent visiter en toute tranquillité…
Peintures Une collection encyclopédique
C’est le roi des départements du Louvre, et le département des rois : François Ier et Louis XIV ont notamment joué un rôle décisif dans la constitution de cette incroyable collection de chefs-d’oeuvre, aujourd’hui riche d’environ 9 000 toiles, dont un tiers sont exposées.
Ainsi, les collections royales sont déjà d’une très grande richesse lors de leur transfert au Louvre sous la Révolution, durant laquelle, une fois déclarées » bien national « , elles sont exposées dans la Grande Galerie. Au vainqueur de Marignan revient le mérite d’avoir formé le noyau de la richissime collection italienne : ainsi François Ier achète-t-il évidemment des toiles de Léonard de Vinci, dont La Joconde, mais aussi des oeuvres de Raphaël et de Titien. Quant à Louis XIV, grand promoteur des divers talents de son royaume, il se concentre sur l’école française, achète des Poussin, des Lorrain, des Le Brun. Une école qui constitue aujourd’hui la colonne vertébrale des collections du Louvre, offrant un panorama exhaustif des plus belles réussites de l’art français, de la fin du Moyen Age à 1848.
Troisième point fort du département, la collection flamande et hollandaise se développe pour sa part surtout au XIXe siècle, au fil des acquisitions et des dons – comme celui, colossal, du docteur La Caze, qui offre au musée près de 600 toiles en 1869. » Le Louvre possède aujourd’hui la plus belle collection d’art flamand en dehors des Pays-Bas, estime Vincent Pomarède, le directeur du département des Peintures. Exposée dans l’aile Richelieu, elle reste malheureusement méconnue du public, qui va d’abord dans l’aile Denon pour voir La Joconde et les grandes toiles françaises, et ne visite que trop rarement les salles consacrées aux autres écoles. »
Fidèle à une tradition remontant à 1793, le département présente en effet ses toiles par écoles, plutôt que d’effectuer des rapprochements chronologiques. Au risque que l’illustre réputation des peintures italiennes et françaises n’éclipse en partie les collections espagnole, anglaise, scandinave, et même, depuis que les conservateurs du Louvre ont commencé à s’y intéresser dans les années 1960, américaine.
Arts graphiques Un univers feutré et délicat
Dans l’aile élégante et discrète du Pavillon de Flore, le département des Arts graphiques est un microcosme régi par des règles strictes – silence, respect, délicatesse – tout entières dédiées à la préservation d’un patrimoine rare… mais fragile. Le visiteur, dûment accrédité, doit montrer patte blanche.
Près de 150 000 dessins, 40 000 gravures, 15 000 planches de cuivre dont on tire des estampes sont ici répertoriées et conservées. Ce fonds exceptionnel s’offre aux mille visiteurs annuels qui viennent le consulter – des étudiants, des artistes, des amateurs, des enseignants, des professionnels, de toutes nationalités. Huit tables, seize places maximum, ambiance plutôt monastique.
Cette collection, la plus importante au monde, est le fruit d’acquisitions successives. Le cabinet des dessins est d’abord formé du magistral achat de la collection Jabach par Louis XIV. Ce banquier allemand, fin connaisseur, fait entrer dans le patrimoine royal l’un des plus importants cabinets de l’époque, avec des oeuvres italiennes majeures des XVIe et XVIIe siècles (des Raphaël, des Michel-Ange, des séries du Primatice, des Carrache…). Mais aussi des dessins rares des Allemands Cranach, Holbein ou Dürer – dont cette fameuse Vue du Val d’Arco qui fait partie des must. Les Flamands ne sont pas en reste, avec les nombreux Rubens. La collection s’enrichit lors des grandes ventes mais aussi des saisies des biens des émigrés, puis grâce aux acquisitions majeures du XIXe qui font entrer les Pisanello ou les pastels et aquarelles de la donation Moreau-Nélaton.
Le deuxième pilier des Arts graphiques est constitué de la collection Rothschild et de son fonds d’estampes, remarquablement conservées. Un don majeur, qui apporte au musée 3 000 dessins, 43 000 gravures et 500 livres illustrés – on y trouve aussi bien des oeuvres de Rembrandt que des artistes contemporains. Enfin, la chalcographie et son trésor de planches gravées perpétuent une tradition qui remonte à l’Académie royale. La commercialisation des tirages permet, chaque année, de lancer de nouvelles commandes à des artistes contemporains. » C’est un fonds vivant « , résume Xavier Salmon, nommé l’an dernier à la tête du département après avoir été directeur du patrimoine et des collections du château de Fontainebleau.
Trois expositions par an, de trois mois chacune, au milieu des salles de peintures françaises ou italiennes : c’est peu, pour le grand public. Passé ce délai, les oeuvres risqueraient d’être dégradées par la lumière. Seul moyen pour admirer ces chefs-d’oeuvre : faire partie des » initiés » qui viennent les consulter. Mais que voir, parmi tant de merveilles ? Le Portrait d’Isabelle d’Este, de Léonard de Vinci, L’Extrême-onction, de Poussin, Le Baptême du Christ, de Rubens, Le Dessin préparatoire pour la Vierge à l’enfant, de Raphaël… et tant d’autres ! Attention : les vitrines ornées de points rouges signalent des oeuvres qu’on n’aura le droit de contempler qu’une fois dans sa vie… D’autres ne sortent jamais de leurs boîtes, comme les albums. Xavier Salmon fait une exception pour Le Vif/L’Express. Il nous ouvre le très rare Voyage au Maroc de Delacroix. » Ce voyage est un choc pour l’artiste, explique-t-il. Il est ébloui par les couleurs et les blancheurs. Ses croquis sont très précieux car on n’a pratiquement aucune vue du Maroc, à cette époque. »
Spécialiste du dessin français du XVIIIe siècle, Xavier Salmon nous fait aussi découvrir une feuille d’étude de Watteau – sa » petite madeleine » à lui… » C’est une des oeuvres qui a décidé de ma carrière « , explique-t-il en se rappelant avec enthousiasme ses années à l’Ecole du Louvre. » Watteau manie les trois crayons, la sanguine, la pierre noire et la craie blanche pour restituer la carnation. » Tendres couleurs des joues, rondeur des visages, poses gracieuses… Une pièce délicieuse parmi les 100 000 dessins français que recèle cette bibliothèque borgésienne des Arts graphiques.
Dans notre numéro du 22 août : Un Louvre méconnu.
Par Charles Giol et Caroline Brun
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