Jos Van Immerseel et l’illusion fantastique

Flanqué de ses musiciens d’Anima Eterna, le chef anversois Jos Van Immerseel vient de revisiter la Symphonie fantastique, de Berlioz, dans un enregistrement surprenant. Conviction revendiquée : le choix de la meilleure instrumentation d’époque, avec effectif orchestral réduit.

Le Vif/L’Express : Il est toujours risqué de s’attaquer à un monument comme la Symphonie fantastique. Est-ce pour évoquer ce péril que le visuel de votre CD exhibe un squelette menaçant d’un gibbon ?

Jos Van Immerseel : Le singe a des allures humaines mais il ne l’est pas. Et puis il s’agit d’un squelette dansant. Ce paradoxe est au c£ur de la Symphonie fantastique. Celle-ci représente un sommet de l’art de l’illusion.

Votre rigueur instrumentale ne risque-t-elle pas de créer un effet d’austérité en contradiction avec le titre même de l’£uvre ?

L’effectif réduit d’instruments d’époque apporte un allégement et une transparence sonore considérables. Il permet aussi une mise en valeur acérée des timbres. Et puis que d’exagérations antérieures ! La finesse et l’ordre rythmique n’empêchent pas l’expressivité. Ils la déplacent simplement, tout en refusant une effervescence trop brute. Si nous avons choisi des instruments français datant de 1830-1840, cela ne signifie pas qu’on se limite. Au contraire, l’option des instruments d’époque signifie flexibilité. Songez plutôt : mon clarinettiste doit choisir entre les 18 instruments dont il dispose…

Il est vrai que vous renouez par là avec certains choix du compositeur : lorsqu’il se produisait en Allemagne, il optait pour un orchestre réduit, contrairement à ce qu’il pratiquait dans ses concerts géants en France. Comment expliquez-vous cette différence ?

Dans le Paris du xixe siècle, tout devait être grandiose, disproportionné. Personne n’aurait osé se produire avec un petit orchestre, faute de paraître mesquin, ridicule. Et on connaît la tendance mégalomaniaque de Berlioz. Autre explication plus personnelle : à l’époque, on trouvait en Allemagne des musiciens de bien meilleur niveau qu’en France. Si deux répétitions suffisaient à Francfort, il en fallait vingt à Paris pour obtenir le même résultat. En portant l’orchestre à une centaine de musiciens, Berlioz camouflait le manque de qualité par le nombre… Ce grand effectif servait de cache-misère, plus qu’il ne reposait sur la conviction du chef.

C’est aussi plus complexe de gérer une telle masse orchestrale, non ?

Détrompez-vous ! Pour un chef, c’est 100 fois plus facile de diriger un méga-orchestre qu’un effectif réduit. Le grand orchestre ressemble à un train qui s’ébranle et prend sa vitesse ; une fois la masse lancée, le chef n’a plus qu’à la suivre. Ce qui n’empêche pas certains de jouer le jeu du maestro qui décide tout à bout de baguette : de la frime ! C’est un leurre romantique. Il y a tant d’imposteurs qui dirigent non pas l’orchestre mais le public… Avec un petit ensemble, chaque musicien reçoit un rôle précis et est donc très attentif. Le moindre doute, la moindre hésitation du chef se paient cash : elle crée immédiatement un flottement chez les musiciens.

Et la musique contemporaine ? Vous verra-t-on au festival Ars musica ?

J’ai pris mes distances face à la musique contemporaine. Pourtant, j’en ai moi-même joué. Mais j’ai peu à peu découvert ce curieux paradoxe : que la musique ancienne est souvent plus nouvelle que la musique contemporaine. Et même, un Debussy est souvent plus moderne que certains compositeurs actuels. Je pense qu’il y a quelque chose de neuf à découvrir dans la musique ancienne, plus que dans la nouvelle…

Symphonie fantastique, Le Carnaval romain (ouverture). Anima Eterna, Jos Van Immerseel, un CD Zig-Zag Territoire, dist. HM.

ENTRETIEN : PHILIPPE MARION

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