JO Chinoiseries olympiques

Le passage chaotique de la flamme des Jeux déplaît aux dirigeants de Pékin, mais aussi aux membres du CIO. Face à la liberté d’expression, ils partagent le même embarras.

Vivement le 28 avril, que la flamme olympique arrive à Pyongyang !  » Voilà, sans doute, l’une des idées qui ont traversé l’esprit des dirigeants chinois à la découverte des images télévisées désastreuses du passage de la torche olympique, sous les huées, à Londres, le 6 avril, puis à Paris, le lendemain, avant San Francisco, le 9… Dans la dictature stalinienne de Corée du Nord, en effet, les sympathisants du Tibet et les défenseurs des droits de l’homme en Chine seront plus rares ! L’ennui, c’est que les membres du Comité international olympique (CIO) semblent partager le point de vue de Pékin.

Le parcours parisien de la torche, au début de la semaine, a été marqué par des incidents à répétition. Mise à l’abri à deux reprises dans un autobus de sécurité, la flamme a même été éteinte  » pour des raisons techniques « . Dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, enfin, une quarantaine de députés français ont manifesté, ceints de leur écharpe tricolore.

De tout cela, les Chinois eux-mêmes ne sauront rien, ou presque. Coupée de toute source d’information indépendante – Internet étant soigneusement censuré, y compris les boîtes e-mails – la population semble même saisie par une vague de nationalisme, encouragée par les autorités. Sur la Toile, les forums de discussion diffusent des messages pleins de haine envers le dalaï-lama, leader spirituel du Tibet. Exemple de cette prose :  » Je suggère que le gouvernement détruise ce genre d’individus et mette un terme à ces événements, écrit un internaute. Il ne faut avoir aucune indulgence. « 

Limiter le passage de la flamme

Que le désordre autour de la flamme n’ait pas plu à Pékin, on s’en serait douté. Mais il a contrarié aussi le CIO, dont la commission exécutive s’est réunie en Chine du 9 au 11 avril. Le Comité s’interroge sur la grave question de savoir si, après les Jeux de Pékin, le passage de la flamme ne devrait pas être limité au pays organisateur.  » Ces manifestations sont un abus contre la torche olympique, qui est le symbole de la bonne volonté, de la paix, de la compréhension et de l’excellence dans le sport « , a déclaré Kevan Gosper, un ancien sportif australien qui, à 74 ans, est vice-président de la commission de coordination des Jeux au CIO.

Faut-il mettre les pieds dans le plat ? Il y a, dans l’olympisme, quelque chose de fondamentalement antidémocratique. Et peu d’institutions internationales fonctionnent de manière aussi peu pluraliste que le CIO, constitué, pour l’essentiel, de grands notables cooptés et irrévocables. A l’image du baron Pierre de Coubertin, fondateur des Olympiades de l’ère moderne, les membres du CIO sont spontanément hostiles aux débats de fond, qui, dans leur esprit, aboutissent à diviser les hommes. Mieux vaut communier, lors de grandes cérémonies incantatoires, dans  » l’esprit du sport « .

Pour la propagande, le  » voyage de l’harmonie « 

On vit les conséquences de cette naïveté lors des Jeux de Berlin, en 1936. Interrogé sur la persécution des juifs par les nazis, le comte belge Henri de Baillet-Latour, président du Comité olympique d’alors, affirma sobrement :  » Le CIO n’entre pas dans de tels détails. « 

De ce point de vue, le régime de Pékin et le Comité olympique sont sur une ligne identique : ils n’aiment ni les surprises, ni les mouvements de foule spontanés, ni, en dernière analyse, la liberté d’expression. Sur un site officiel, en Chine, les internautes ont été invités à commenter le  » voyage de l’harmonie  » de la flamme. Baptisée  » Allumer la passion, partager le rêve « , cette campagne de propagande a reçu en une seule journée le soutien de 5 000 internautes enthousiastes. Pierre de Coubertin aurait-il désapprouvé ? l

Marc Epstein,avec Séverine Bardon (à Pékin)

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