Jeux de séduction

On ne traîne pas. On réfléchit.  » La Région wallonne, actionnaire à hauteur de 2,4 % du sidérurgiste européen Arcelor, ne décidera qu’en avril ou en mai si elle conserve ses titres, ou si elle les cède à Mittal Steel, le conglomérat parti à l’assaut d’Arcelor. Financièrement, elle n’y gagnerait pas autant qu’on pourrait le croire. En  » couvrant  » une partie de ses actions en juillet 2005, la Région s’est mise à l’abri de risques à la baisse mais elle s’est aussi privée de leur actuelle prise de valeur. En revanche, ce serait tout bénéfice pour elle si la phase à chaud liégeoise était sauvée de la condamnation, comme l’homme d’affaires indo-britannique en a habilement évoqué la possibilité…

Les autorités belges – les gouvernements fédéral, wallon et flamand collaborent sur ce dossier – procéderont néanmoins à une analyse rationnelle des projets respectifs des deux protagonistes. Leurs effets sur la production, l’emploi, les investissements et la recherche seront passés à la loupe, avec l’aide d’une banque d’affaires. Point. De ce côté de la frontière, nulle trace de patriotisme économique ni de cris d’orfraie…

Cette attitude détonne dans le concert des protestations qui se sont fait entendre depuis le début de l’offensive. Le Luxembourg, premier actionnaire d’Arcelor avec 5,6 % des parts, est opposé à l’OPA. Son gouvernement vient opportunément de déposer un projet de loi visant à mieux encadrer les offres publiques d’achat. L’Espagne – le 2e actionnaire du groupe est l’homme d’affaires espagnol José Maria Aristrain, avec 3,5 % du capital – n’est pas favorable au projet non plus.

La France, qui avait adopté d’emblée le même ton offusqué, a tenté de faire discrètement marche arrière. Passer pour protectionniste pourrait lui être préjudiciable, à l’heure où tous les pays du monde se disputent la faveur des investisseurs.  » Ce sont les faiblesses de l’offre de Mittal Steel qui expliquent nos réserves, a assuré le ministre français de l’Economie, Thierry Breton. Il n’est pas question de nous protéger ou de faire de la discrimination à l’égard d’un grand pays émergent respecté.  » En visite à Londres, le ministre indien du Commerce et de l’Industrie, Kamal Nath, avait habilement glissé que l’Inde suivait  » de près les commentaires qu’inspire l’offre de Mittal Steel et les réactions du gouvernement français « . Le président Jacques Chirac doit justement se rendre bientôt en Inde…

Dans les rangs du personnel, le ton change peu à peu. Guy Dollé, le patron d’Arcelor, n’est pas un ange.  » Nous serons en permanence en diminution d’emplois « , déclarait-il, en août dernier. Les ouvriers du haut-fourneau liégeois, condamné par Arcelor, sont bien placés pour le savoir… Lakshmi Mittal n’est pas davantage un diable. Certains de ses choix industriels ont été couronnés de succès, y compris sur le plan social. Guy Dollé n’est pas sorti grandi non plus des conférences de presse où certains de ses propos flirtaient avec les limites de la xénophobie.

Mais ce n’est pas sur le terrain politique, social ou humain que le combat se conclura. Depuis le 27 janvier, les marchés se frottent les mains : le titre Arcelor a gagné 30 % ! Les analystes apprécient la logique industrielle du rapprochement. La décision finale est entre les mains des seuls actionnaires, dont une minorité s’est, pour l’instant, dite hostile à l’offre. Or Mittal Steel ne se satisfera pas de moins de 50,1 % des parts.

La direction d’Arcelor s’efforce donc de convaincre les autres actionnaires, les gérants de fonds d’investissement et les petits porteurs. Ce qui ne l’empêche pas d’envisager une contre- offensive, comme le rachat de son concurrent américain US Steel ou une augmentation de capital.

L’offre publique d’achat pourrait commencer, au plus tôt, dans le courant du mois de mars. Le projet de prospectus vient d’être déposé auprès des autorités financières belges et luxembourgeoises. Suspense.

Laurence van Ruymbeke

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