Jeux dangereux

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

George Clooney fait d’épatants débuts derrière la caméra avec Confessions of a Dangerous Mind, singulier portrait d’un homme à la double vie : vedette du petit écran et tueur pour la CIA !

On ne saura probablement jamais si Chuck Barris fut vraiment, comme il le prétend, tout à la fois producteur d’émissions de jeux télévisés à succès et tueur  » au noir  » pour la CIA. La face visible du personnage est connue des téléspectateurs des années 1960 et 1970, où les émissions racoleuses créées par Barris obtinrent une excellente audience. La face cachée fut révélée par le principal intéressé dans un livre choc, écrit en 1982, où notre homme affirme avoir mis à profit les déplacements en Europe occasionnés par l’émission The Dating Game pour perpétrer une trentaine de meurtres commandés par les services secrets américains ! Authentique ou inventée, la  » confession  » de Chuck Barris avait de quoi inspirer le jeune, talentueux et passablement tordu Charlie Kaufman, scénariste de Being John Malko- vich et auteur/personnage du – tout juste sorti – Adaptation (lire Le Vif/L’Express du 7 mars). Moins prévisible est la présence marquante, derrière la caméra, d’un réalisateur débutant mais déjà célèbre : George Clooney.

Pour celui-ci, désireux depuis quelque temps déjà de se frotter à la mise en scène, Confessions of a Dangerous Mind représentait une belle occasion d’exercer son sens de la structure (avec une matière de départ largement  » éclatée « ) et de la direction d’acteurs (avec une distribution comprenant Sam Rockwell dans le rôle principal, mais aussi Julia Roberts, Drew Barrymore, Rutger Hauer, Matt Damon et… Clooney lui-même). C’était aussi, pour lui, l’occasion d’exprimer le sens de l’humour à froid et décalé que l’acteur aime pratiquer dans la vie et qui trouve dans le film un prolongement festif. Car Clooney fait un régal de la singulière histoire qu’il se pique de nous narrer. Sous son autorité déjà spectaculaire de réalisateur au potentiel évident, Confessions of a Dangerous Mind devient comme un grand jeu certes dangereux, où l’humour se fait volontiers très noir, mais où le maître mot reste de bout en bout celui de plaisir.

Une folie contrôlée

Si sa première réalisation flirte allègrement avec les sombres délires de son inspirateur et personnage central, si la narration s’y fait parfois sauvage et si l’action s’y débride de façon roborative, Clooney n’a pas pour autant travaillé dans l’improvisation joyeuse qu’on pourrait imaginer.  » Je suis un débutant, je n’ai pas l’aisance confondante d’un Soderbergh qui peut arriver sur le plateau de tournage, le matin, et se mettre à chercher ce qu’il va bien pouvoir faire « , s’exclame le beau George, qui poursuit :  » Moi, si j’avais agi ainsi, les acteurs auraient eu vite fait de conclure que je n’y connais rien et m’auraient probablement envoyé balader !  » C’est donc muni d’un découpage détaillé, avec les plans dessinés d’avance (le fameux  » storyboard « ), que l’acteur devenu réalisateur a tourné Confessions of a Dangerous Mind.  » Pour autant, je n’ai pas voulu faire un film fermé, qui donne au spectateur toutes les réponses qu’il attend, reprend Clooney. J’aime l’idée qu’au contraire celui ou celle qui sort de la salle après le générique final ait plein de questions qui lui trottent par la tête. Ce n’est pas très américain (mes compatriotes aiment qu’on leur parle en termes réducteurs, en vérités sans nuance), mais c’est ma manière de voir les choses…  »

George Clooney ne cache pas son admiration pour les films des années 1960 et 1970,  » la meilleure période du cinéma américain, la plus créative, la plus riche, la plus intéressante et la plus libre, celle où les films posaient des questions et se foutaient d’apporter des réponses « . L’action de Confessions of a Dangerous Mind se déroulant justement durant les deux décennies précitées, le film permet à son réalisateur de rendre un vibrant hommage aux metteurs en scène de cette époque admirée. L’hommage épatant d’un élève digne de ses glorieux aînés, et dont on attendra impatiemment les prochaines aventures derrière la caméra.

Louis Danvers

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