» Je ne mets jamais ma vie entre parenthèses ! « 

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Celui que ses amis d’enfance appelaient Dixit a un avis sur tout ou presque. En voici quelques-uns…

LeVif/L’Express : Avec 500 000 spectateurs rien qu’en Belgique francophone, Podium bat des records d’audience. Quel effet ce triomphe a-t-il sur vous ?

Benoît Poelvoorde : On se dit qu’il sera difficile de faire mieux ! Mais je n’assume pas tout seul. Dans ce succès, il y a Claude François, le film de Yann Moix, le moment, des circonstances qui forment un ensemble dont je fais partie. C’est là qu’il faut être vigilant et ne pas croire une seconde que 500 000 personnes se sont déplacées juste pour voir votre gueule ! Ce n’est pas un one-man-show. C’est un film dans lequel je joue, avec d’autres comédiens. Il y a plein de paramètres, la promotion que nous avons faite a son importance aussi… Mais je suis tout de même fier ! Je suis heureux aussi d’avoir réussi un film populaire, sans pour autant qu’il soit outrageusement  » pute « , sans vulgarité, sans m’écarter de la logique que je suis dans mes choix depuis mes premiers films.

Quand vous vous dites  » difficile de faire mieux « , cela signifie-t-il qu’il est important pour vous de progresser, comme un artisan qui tend à se perfectionner ?

Je ne parle pas en termes de chiffres. Je pense simplement qu’il est indispensable de savoir ce qu’on a déjà fait pour ne pas se contenter de le refaire. Or il se trouve que je ne me considère pas comme un acteur complet, parce qu’il y a des choses que je ne sais pas faire. Et, après une réussite, publique et personnelle, comme Podium, il est un peu effrayant de se dire qu’il va falloir trouver autre chose qui me fasse autant, si pas plus envie, quelque chose que je n’ai pas encore fait. Car je ne ferai jamais un Podium 2, un Boulet 2, je ne reprendrai pas Manatane, ou alors dans de toutes autres conditions…

Une démarche totalement consciente, ou reste-t-il une part d’instinctif ?

Oui, il reste de cela, bien sûr. En fait, je ne me rends pas compte de ce que je fais au moment où je le fais. Un ami me faisait remarquer, à propos de Podium, que je n’avais jamais laissé transparaître, pendant que j’y travaillais, l’importance que ce rôle et ce film pouvaient avoir pour moi. Je n’en parlais même pas ! Alors quand je dis que je vais devoir faire attention, j’ai tout faux ! Je repartirai sur un projet sans bien en mesurer l’impact. C’est probablement mieux comme ça…

Acceptez-vous l’idée qu’il existe en vous – comme le dit Cédric Kahn à propos de Darroussin qu’il vient de diriger dans Feux rouges –  » un potentiel non encore exploré  » ?

C’est un peu comme de dire qu’il y a des femmes qui vous révèlent. Encore faut-il être disponible à ces révélations… Ma femme me faisait observer l’autre jour que j’avais peut-être bien grandi (vieilli ?), puisque j’avais accepté de jouer dans le prochain film de Nicole Garcia. Un projet que j’aurais évidemment refusé voici seulement deux ans. Je me serais dit :  » Ce n’est pas ma famille, c’est une réalisatrice que j’admire, mais elle est trop sérieuse, le personnage est un homme normal aux prises avec les difficultés de la vie, sans aucun comique…  » Peut-être Podium m’a-t-il donné confiance pour oser tenter des choses qu’avant j’aurais trouvé trop éloignées de moi. Il y a progrès, donc ! Mais je n’aurai jamais le culte de la performance, cette obsession qu’ont certains d’aller au-delà de mes limites. Je suis obnubilé par le syndrome de Peter, par l’idée de vouloir sauter trop loin et de tomber dans le précipice. J’ai une part de moi qui est assez lâche, qui me pousse à rester tranquillement sur le bord de la falaise, et une autre qui comprend bien que ne pas chercher à aller un peu plus loin est bête. Car c’est le fait de ne pas se répéter qui fait le sel d’un acteur.

Vous n’avez, jusqu’ici, jamais interprété de personnage introverti. Tous vos rôles supposent une certaine mise en spectacle.

C’est vrai. Même celui du Vélo de Ghislain Lambert, sans doute le moins extraverti de tous, se mettait en spectacle en pédalant et en… perdant, il prenait de la drogue, il tombait, il y avait une dimension comique, presque burlesque. J’aimerais bien jouer l’introversion, un jour. Au fond, c’est ce qu’il y a de plus facile à faire. C’est comme dans un repas : un type qui ne dit rien, il a une chance sur deux de ne pas être con. S’il cause, le pourcentage diminue… Je ne suis pas du tout impressionné par les acteurs introvertis. Ils ne se donnent pas grand mal.

Vous êtes de toute façon dans la grande tradition des comiques. L’acteur comique donne, il n’attend pas que le réalisateur leur  » vole  » quoi que ce soit, comme aiment le dire certains acteurs fameux.

Je ne crois pas trop à cette idée de  » voler  » quelque chose aux acteurs. C’est une idée qu’on entend beaucoup dans la bouche d’actrices qui ont avec leur métier un rapport hystérique, qui se félicitent qu’un réalisateur leur ait  » pris  » des choses, dans la douleur souvent. Je ne crois pas qu’un réalisateur doive me prendre quoi que ce soit, et encore moins dans la douleur !

Vous avez été très présent sur les plateaux de télévision durant la promotion de Podium. Mais là où l’on voit tant de vos collègues se forcer, ou sortir des propos calculés à l’avance, vous apparaissez, dans ces circonstances, heureux d’être là, et le plus naturel du monde.

Mais c’est la vérité ! J’ai du plaisir à y aller, dans ces émissions de télé. C’est comme pour un repas. Je ne vais pas aller manger chez les gens si ça ne me fait pas plaisir. Je crois qu’il faut arriver dans la vie à cette liberté qui permet de dire, même à un ami :  » Je ne viendrai pas chez toi en ce moment, tu dois le comprendre.  » Les émissions de télé, c’est un peu la même chose. Je ne pense pas aux téléspectateurs comme à une masse informe, ou à une catégorie plus ou moins précise selon l’émission. Je m’adresse simplement à la personne sur le plateau qui m’a invité et je lui parle comme je lui parlerais s’il m’avait invité chez lui à dîner. Parfois j’ai un peu peur, comme à certains soupers dont on peut craindre qu’ils tournent mal. J’ai le plus souvent du plaisir, et si je ne pense pas pouvoir en éprouver, alors je n’y vais pas. Je ne comprends pas ceux qui vont dans une émission à regret ! Quant au naturel que j’ai, c’est le mien, je l’emmène partout où je vais et je ne vais pas aller m’emmerder quelque part sous prétexte que j’ai quelque chose à vendre. D’ailleurs, tout le monde sait que j’aime aller sur les plateaux hors des périodes de promo que ce soit en radio ou en télévision. Au risque qu’on en ait marre de m’entendre, à la longue…

Pour beaucoup d’artistes, la promo, les interviews, c’est  » la vie entre parenthèses « . Si l’on ajoute que les tournages le sont aussi pour pas mal d’entre eux, ce qu’ils appellent la  » vraie vie  » se réduit à peu de chose…

C’est tellement juste ! Moi, tout ça, c’est aussi ma vie, la vraie. Au total, j’ai passé presque plus de temps à parler de ce que j’ai fait qu’à effectivement le faire ! J’ai entendu une interview de Jacques Villeret qui disait que le théâtre, le cinéma lui avaient beaucoup pris dans la vie, y compris de l’amour qu’il n’avait pas su dès lors donner à d’autres. C’est assez juste. J’en suis conscient : ma femme est presque toujours présente à mes côtés, en tournage ou en promo. Je ne veux pas scinder mon existence. Le seul risque, c’est de s’ennuyer. Il m’arrive de me dire :  » Bon. On va pas en chier une pendule !  » Notamment sur certains plateaux, quand on en vient à des questions du genre  » Et vous vivez toujours à Namur ? » ou  » Vous aimez votre femme ? ». Là, il m’arrive de couper.  » Je vis où je suis né, et oui, j’aime ma femme.  » Mais c’est tellement basique, pas intéressant !

On voit tellement d’interviews où un interviewé se force à répondre à une question que l’intervieweur se force à lui poser…

Pour un lecteur qui se forcera ensuite à le lire ! C’est le système poussé à l’absurde. Cela dit, je me force rarement. Je suis plutôt bon client. J’aime bien donner mon avis sur tout ! Quand j’étais gamin, Rémy Belvaux m’appelait Dixit. J’avais une théorie, un avis sur tout, et je le donnais volontiers. Aujourd’hui, j’ai cette chance inouïe de faire un métier où on me le demande, mon avis ! Je me garde bien de le donner sur les choses graves, mais si on me demande mon avis sur l’eau chaude, je serai ravi de le donner. Quel que soit le sujet, je trouverai bien une image qui m’amuse. C’est une caractéristique de ma personnalité.

On a vu des abus dans le genre. Comme quand nombre d’acteurs allaient pérorer sur les sujets politiques et sociaux dans une émission comme 7 sur 7 à la télévision.

Oui, mais ça, je ne l’aurais jamais fait ! On m’a proposé dix fois d’aller commenter l’actualité. J’ai toujours refusé. Il y a des gens bien plus compétents que moi pour le faire. Je veux bien évoquer tout ce qui relève de la vie courante (comme l’eau chaude !), mais je ne vais pas me mettre dans une situation militante, sur un problème sérieux. Regardez ce qui arrive à Dieudonné. Ce que je lui reprocherais d’abord, sans même polémiquer avec lui sur le fond, c’est d’avoir pris la télévision pour un lieu de pensée. Ce qu’elle n’est en aucun cas ! C’est idiot de penser que, dans un contexte où l’expression est à ce point codifiée, on va pouvoir énoncer des opinions extrêmes et être compris. J’en reviens aux repas. Je ne déteste rien de plus que ces moments où, vers 2 heures du matin, quand on est tous bourrés, quelqu’un se met à soulever un sujet grave :  » Tiens, parlons du problème israélo-palestinien !  » Et on se fait chier avec un con, qui a amené un sujet qui énerve, oppose… D’autant plus qu’on a bu. Un plateau de télé crée une tension, un énervement comparables à ceux provoqués par l’alcool de fin de repas. Il accentue les prises de position exacerbées, tout en diminuant le discernement. Le lendemain d’un souper qui a tourné comme ça, on se dit :  » Qu’est-ce que je suis encore allé raconter ? !  » Mais ça va, c’était juste un souper. Alors que la télé, le lendemain, tout le monde en parle. Car il y avait plein de monde, pas stressé, dans un calme relatif, et qui a entendu vos propos épouvantablement dépourvus de nuance… Des propos qui vont ensuite être rediffusés sans cesse, avec le syndrome du zapping et de la télé qui recycle en permanence. Car nous sommes en pleine culture de la formule choc, de l’extrait sorti de son contexte.

Votre culture préférée est nettement plus posée, puisqu’elle vous emmène vers la littérature, où les idées ont le temps et l’espace pour s’exprimer en nuances…

J’ai en effet toujours aimé lire. Je me verrais bien un jour ouvrir une librairie, ou plutôt un café littéraire, comme il y en a, par exemple, à Vienne, et où l’on pourrait venir parler d’un livre, échanger des idées. Je le ferais en dilettante, je ne vendrais que des livres que j’aime. Et je servirais du sherry…

Quels auteurs placeriez-vous en vitrine ?

Mes livres préférés ? Oh cela change tout le temps, au fil des lectures. Là je suis en train de lire La Découverte de la lenteur, de Sten Nadolny, un bouquin extraordinaire, qu’il faudrait adapter au cinéma ! Sinon je mettrais en vitrine Le Quatuor d’Alexandrie, de Lawrence Durrell, qui m’a bouleversé, Léon Bloy, bien sûr, La Conjuration des imbéciles, de John Kennedy Toole. Et, pour les classiques, Flaubert évidemment, et puis Adolphe, de Benjamin Constant. J’en ai tant lu, c’est boulimique chez moi. Et mes choix varient en fonction de ce que je vis. On ne lit pas les mêmes livres, ni de la même façon, à des moments différents de notre existence…

Vous avez un rapport intime avec les mots, le langage ?

Oui, le langage est une chose merveilleuse, sa maîtrise et sa culture peuvent l’être aussi. Même s’il ne faut pas confondre culture et intelligence, ou encore moins justesse. Il y a plein de sales cons cultivés, alors qu’on trouve chez des gens qui n’ont rien de  » littérateurs  » ou d’intellectuels des trésors d’éloquence. Je songe, par exemple, à Gino Russo, dont le discours venu du c£ur a toujours trouvé les mots justes pour exprimer ce qu’il ressentait et voulait faire ressentir…

Vous aimez parler de vous-même ?

Ce n’est pas mon sujet favori, mais c’est, en général, ce qu’on me demande de faire. Je ne me dérobe jamais. Et comme je parle beaucoup, je suis devenu en quelque sorte le chroniqueur de ma propre vie… Avec ce que cela suppose de recul somme toute assez sain. Parler de soi oblige à une certaine distance et c’est bien. Sauf qu’au bout d’un moment, à force de parler de soi, cela devient complètement désincarné, cela dépasse la limite de l’équilibre. Autant il est nécessaire de parler de soi (on ne ferait pas, sans ça, tant de thérapies !), autant on ne saurait être à ce point content de soi-même. Moi, quand ça devient trop, comme après la promo de Podium, je me sens envahi par un sentiment de honte. Pas d’avoir livré des secrets, mais d’avoir trop parlé de moi. C’est mon syndrome post-médiatique. Je me dis alors qu’un peu de discrétion ne me ferait pas de mal !

Entretien : L. D.

Louis Danvers

ôBenoît Poelvoorde descend-il de Louis de Funès ? D’Achille Talon pour la loufoquerie érudite ? De Jules Maigret pour ce goût prononcé pour les bistrots et les poêles en faïence ?

La Belgique nous gâte. Vraiment

Libération, France »

ôCe Belge venu d’un autre monde qui sait changer le ridicule en burlesque et donner une emphase irrésistible à l’absurdité

Le Figaro, France »

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