» J’arrête. Je ne veux plus jouer « 

Désolé, mais cet entretien n’est pas très drôle. Pourtant l’animal, connu pour ses excès et ses saillies drolatiques, aime faire rire et on s’attendait à quelques piques bien acérées contre le conformisme ambiant. Rassurez-vous : il y en a. Mais Benoît Poelvoorde, vite monté sur les marches de la popularité, entre le cultissime C’est arrivé près de chez vous et sa géniale interprétation du sosie de Claude François dans Podium, a traversé trop de sables mouvants pour continuer à faire le pitre sur commande. Dans L’Autre Dumas, qui sortira dans les salles en mars et sera présenté au tout prochain Festival de Berlin, il joue le nègre de l’auteur des Trois Mousquetaires. Un homme de l’ombre. Rongé par le besoin de reconnaissance, mais admiratif d’un talent qu’il n’a pas. Drôle d’effet miroir en vérité pour un comédien qui, aujourd’hui, mille fois reconnu, aspire à la retenue. Benoît Poelvoorde aime son chien, ce qui ne l’empêche pas d’être très lucide sur lui-même.

Le Vif/L’Express : Après avoir vu L’Autre Dumas, certains diront encore :  » Poelvoorde est très bien dès qu’il est sobre.  » Vous n’en avez pas marre de ce genre de remarques ?

Benoît Poelvoorde : Hormis dans Astérix aux Jeux olympiques, j’ai franchement le sentiment d’avoir toujours été un acteur sobre. La sobriété, ce n’est pas le silence. La sobriété, c’est refuser les effets et ne jamais jouer à l’acteur. Je me souviens d’un texte de Richard Brautigan, que j’adore, décrivant la nuque d’un chauffeur de taxi. En regardant sa nuque, Brautigan comprend quand le bonhomme est énervé, fâché ou triste. La sobriété, à mes yeux, c’est exactement cela. Cette nuque ne parle pas et elle est beaucoup plus expressive que je ne pourrais l’être en déclamant un texte. En revanche, moi, Benoît, j’adore le rire et j’adore l’excès.

La réflexion vient peut-être du fait que, en dehors des films, à la télé notamment, vous avez une façon très voyante, si l’on peut dire, d’apostropher les gens ou d’intervenir dans une discussion.

Oui, c’est vrai. J’ai même souvent été un bon client pour des émissions qui avaient besoin d’être secouées de l’intérieur. Après, j’ai eu ma période dépressive. Maintenant, je traverse un moment dont on dit qu’il est  » une recherche de sobriété « . Tout ça, c’est du pipeau. Je suis juste le même empruntant des chemins différents. En fait, c’est surtout la vitesse de la marche qui change.

D’accord. Mais c’est quand même vous qui la choisissez, cette vitesse, non ?

Pas du tout. J’ai toujours fait confiance au hasard. Je n’ai jamais eu aucun plan de carrière. J’observe juste les fluctuations des remarques à mon égard. Je me tiens à carreau depuis un moment, parce que j’ai été assez dégoûté des interviews et du discours qui tourne à vide.

Choses dont vous avez profité !

Et cela m’a énormément amusé. Il y avait l’adrénaline des plateaux télé, le défi d’en faire encore un peu plus que la fois précédente. Et puis, je m’en suis lassé. La maturité, j’imagine. L’acteur, moi en tout cas, se construit un système de défense, parce que le milieu est très agressif. Parfois, il m’est arrivé d’être mal pendant une journée et, en analysant ce qui se passait, je m’apercevais que la cause de mon état était due à de la jalousie idiote vis-à-vis d’un acteur que je n’aimais pas, mais que la profession reconnaissait. J’ai beau faire le malin, je suis longtemps resté sensible à ce genre de sentiments très primaires. Avec le temps, je crois avoir appris à m’en détacher. Je me réfugie beaucoup dans les livres et, en même temps, je n’y trouve jamais ma place. Je crois sincèrement être condamné à rester un homme de cirque. Cela ne me gêne pas, d’ailleurs. Mais là, par exemple, je suis en train de m’écouter parler. Et je m’étonne moi-même de ce que je dis. Au début, je me trouve brillant et une heure après je dis :  » Quel est le type qui a dit cette connerie ? ! « 

Non, parce que cette idée ferait de moi un calculateur. Et je ne le suis pas. On peut me reprocher beaucoup de choses, mais pas celle-là. C’est sans doute dommage. Je serais plus équilibré si je calculais. Arrivé à un certain âge, je pourrais jouer la carte du mystère et du silence. Ce serait peut-être plus avantageux pour moi, parce que je dis tellement de conneries !à J’ai essayé d’être silencieux, je ne peux pas. J’adore parler. J’adore discuter. Mais je préfère la discussion à l’interview. Une interview serait censée révéler la face cachée de l’interviewé. Franchement, je me demande bien quelle pourrait être la face cachée de Benoît Poelvoorde ! Il y a des gens qui sont attentifs à la trace qu’ils veulent laisser ou qu’ils laissent, de fait. Pas moi.

Vous trouvez donc vain l’exercice que nous faisons actuellement ?

Non, car il est nécessaire à l’information, prise dans son ensemble. Mais j’aurai dit quoi au bout de deux heures ? Quelle vérité ? Il n’y en a pas.

Le fait même que vous vous posiez des questions sur l’intérêt supposé, ou pas, d’un entretien, dit quelque chose de vous. Peut-être la frustration qu’on ne sache pas qui vous êtes vraiment ?

Pas du tout. A mes yeux, l’acteur est un anthropologue, conscient de l’univers médiatique et capable, donc, de dire ce que l’on a envie d’entendre. Je ne m’exprime pas de la même façon pour L’Humanité ou pour Le Vif/L’Express. C’est comme une autocensure semi-consciente. J’agis et je parle en fonction de ce que je peux connaître de vous quand je vois la veste que vous portez ou les cheveux que vous avez – et qu’il faudrait d’ailleurs aller faire couper. Ajouté au fait que l’on se connaît déjà un peu. J’ai beau m’être exclu de cette société du spectacle voilà trois ans, j’y suis toujours sensible.

Pourquoi trois ans ? A l’époque de votre dépression ?

J’avais dit que je ne parlerais plus de la choseà

Pourquoi ?

Je n’aime pas en parler, car on tombe forcément dans le simplisme. Tout le monde est en rupture à un moment ou à un autre. Une réussite ne peut être mesurée qu’à l’aune d’un échec probable. Lorsque j’en parle, j’attends la remarque en forme de cliché :  » Et là, vous avez rebondià  » Non. Jamais. On ne rebondit pas. On stagne. Mais en l’acceptant. La dépression, c’est un appel à l’aide.

Qui a été médiatisé !

C’est le terrorisme de la communication. J’ai été pris à mon propre jeu. Ceux qui m’ont aidé à être heureux se sont servis de mon malheur. Mais je n’en veux à personne.

Que voulait faire le petit Benoît ?

Flic. J’adorais l’idée d’enquêter. De savoir. De chercher. De comprendre. Puis est venu le dessin. Ayant toujours aimé les mises en scène, je dessinais de grandes batailles, avec les croix contre les points. Ensuite est arrivé le rock. J’ai été un mauvais batteur, mais cette musique a bercé ma vie. J’étais quelqu’un de très introverti et de très élitiste. Je n’ai jamais aimé le peace and love. J’adorais les Jam. Le rock brut. La virtuosité. A 18 ans, je m’habillais bien, alors que mes potes portaient des cheveux longs, et je ne supportais pas de dormir sous la tente.

Quelle carrière envisagiez-vous ?

Je ne me suis jamais posé la question. J’ai vécu avec une femme qui me disait que je n’avais pas d’ambition. C’est vrai. Je n’en ai aucune. J’ai eu du bol toute ma vie. Lorsque j’ai joué dans C’est arrivé près de chez vous, j’ai fait l’acteur par hasard. Le film correspondait exactement à l’ambiance dont je parlais. Il disait :  » On n’aime rien.  » Mais sans être méprisant. Notre anarchisme, c’était de se réclamer de rien. Une seule ligne de conduite : se marrer.

Mais le film est sélectionné au Festival de Cannes et devient culte…

On a été surpris, non que les gens rient, mais qu’ils discutent de l’ambition du film. On était pris au sérieux sans jamais avoir voulu l’être. Après C’est arrivé près de chez vous, j’ai reçu des dizaines de propositions, que j’ai toutes refusées. Puis ma femme m’a dit que j’avais un don et que je devais m’en servir. J’ai alors joué dans Les Randonneurs et j’ai compris le système : on me payait cher pour aller me promener en Corse avec des filles. On me payait même les jours où je ne faisais rien. Je me suis dit que ce métier était une arnaque et que le truc n’allait pas durer.

Pourquoi a-t-il duré ? Vous êtes-vous pris au jeu ?

Le choc, ça a été Podium. En Belgique, le film a provoqué un raz de marée. Il a fait plus d’entrées que Titanic. Jusqu’alors, j’avais eu des succès mitigés et connu la reconnaissance des amis. Après Podium, je ne pouvais plus aller nulle part sans qu’on m’interpelle. J’ai pété un plomb. Et j’ai commencé à avoir peur. Pourtant, j’ai toujours prétendu pouvoir contourner l’obstacle. Mais j’ai tout gardé pour moi. J’étais heureux avec les autres, malheureux avec moi-même. Je me mentais. J’allais doucement dans le mur. Les journaux qui parlent aux gens simplifieront en disant :  » La grosse tête, la drogue, l’alcoolà  » Alors que j’étais juste confronté à mes propres contradictions. J’avais tout et, pourtant, je culpabilisais. Je m’écroulais. Sans doute par manque de recul sur ce que je vivais.

Peut-être aussi par besoin : la dépression n’était-elle pas votre seule porte de sortie possible ?

Non, parce queà [longue pause]. Oui, peut-être par besoin. Par instinct de survie.

Comment choisissez-vous vos films ?

Pour le plaisir. Je n’ai plus besoin de travailler. J’ai assez d’argent, une vie modeste et des exigences de pauvre. Pour L’Autre Dumas, je voulais tourner à nouveau avec Gérard Depardieu. Plus exactement, lui donner la réplique. Et vivre à ses côtés. Ce que j’aime le plus pendant un tournage, ce sont les moments entre les prises. On devrait taxer les acteurs sur ces moments de bonheur-là.

Vous allez encore alimenter l’idée selon laquelle les acteurs sont payés à ne rien faireà

Je persiste et je signe : les acteurs ne foutent rien. Les génies sont paresseux, les crâneurs sont fainéants. Je n’accepte pas d’un comédien qu’il me dise qu’il en a bavé. Jamais. Et ce n’est pas de la démagogie. C’est quoi ces conneries du personnage qui sort de toi ou qui entre en toi ? ! On a l’impression que ces acteurs-là ont honte de venir avec leur bite et leur couteau. Il faut un coach pour apprendre à fumer une clope ? ! Je ne dis pas que tout le monde peut faire ce métier, je dis qu’il y a de la mauvaise conscience. C’est le syndrome de l’imposture. Comme François Cluzet, je revendique la désinvolture. Que l’on soit clair : je parle des acteurs de cinéma, pas de théâtre. Comédien de théâtre, c’est un vrai métier. Je sais ce que c’est. J’ai fait du one-man-show il y a une quinzaine d’années. Et je ne le ferai plus. J’ai un grand respect pour eux. Ayons l’honnêteté de dire que nous faisons un métier de fainéant et qu’on sera punis.

Punis de quoi ?

Je ne peux pas avoir la vie que j’ai sans être puni, à un moment ou à un autre. Je précise que j’ai été élevé par les jésuites.

Votre dépression n’a-t-elle pas déjà été une punition ?

Non, elle m’a amené à me rendre compte que j’étais plus con que je ne l’imaginais. Donc, je serai puni et j’irai en enfer. Mais, ce ne sera pas forcément une punition, en fait. J’y retrouverai tous les gens que je connais, et il y aura de très jolies filles. Alors qu’au paradis, il y a s£ur Sourire !

Mais vous n’êtes pas croyant !

J’ai été élevé ainsi. Ma mère, elle, a la foi absolue. Un jour, elle m’a dit :  » Tu sais quel est ton problème ? Tu ne crois en rien.  » Je ne m’attendais pas à ça de la part de ma mère, parce qu’elle ne dit jamais rien contre moi. C’était vrai. Et j’ai pleuré. Mais, du coup, je m’attends à toutes les trahisons. Je ne crois pas en moi. Je crois en mon chien. Le matin, il est toujours content de me voir. Quand j’étais mal, ce chien m’a sauvé la vie. Vraiment. J’ai encore deux films à faire et après je monte une crèche avec des animaux.

Comment cela, deux films ?

J’arrête. Je ne veux plus jouer.

Vous me dites ça comme ça, au bout de deux heures, l’air de rien !

C’est ce qui fait le sel d’un entretien. Je vais encore tourner dans le film de Dany [Boon] et dans celui d’Anne Fontaine.

Tous les acteurs du monde disent un jour ou l’autre qu’ils arrêtent de jouer et ils n’arrêtent jamais.

Croyez-moi, c’est vrai. Mais je continuerai à écrire ou à produire. Vous savez, il y a trois sortes de comédiens : ceux qui ne le seront en fait jamais ; les moyens, comme moi ; et les génies. Génie, je n’y arriverai pas. Mais je crois avoir bien fait mon travail.

Propos recueillis par éric libiot photos : patrick Swirc pour LE VIF/l’express

 » Je persiste et je signe : les acteurs de cinéma ne foutent rien « 

 » Après Podium, j’étais heureux avec les autres, malheureux avec moi-même « 

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