Jacques a dit :  » Vite, ce Centre d’excellence sportive ! »

Alexandre Charlier
Alexandre Charlier Journaliste sportif

Jacques Borlée, coach européen de l’année, plaide pour un déblocage rapide du dossier au sein du gouvernement wallon. Louvain-la-Neuve a sa préférence.

C’est humain, Jacques Borlée appréciera de ramasser les lauriers que la grande famille de l’athlétisme lui lancera, ce samedi 15 octobre, au pied de sa grande stature. Le petit plaisir personnel aura lieu à Tenerife.  » Entraîneur européen de l’année  » : cela en jette. Un prix décerné lors de  » l’European Athletic Awards Night  » par la très honorable Fédération européenne d’Athlétisme (EEA). Sur le podium et face au crépitement des flashes, Jacques Borlée se repassera le 400 mètres de fou de ses fils Kevin et Jonathan aux Mondiaux de Daegu (Corée du Sud). Au bout de l’effort : bronze pour le premier, 5e place pour le second. Un exploit énorme. Mais après le pétillement des bulles de champagne, le gourou d’une formidable famille bruxelloise reviendra vite à la réalité. A cette situation d’un sport belge, son organisation, qu’il aime taxer de  » communisme  » lors de ses innombrables sollicitations : colloques, exposés, tables rondes, visites ministérielles et scabinales. Il reprendra son bâton de pèlerin pour poursuivre sa mission d’agitateur des consciences, de catalyseur d’énergies, d’initiateur de projets d’envergure.  » C’est une obligation et une responsabilité sociales et je n’ai pas envie que Jacques Borlée ait raison seul dans son coin. « 

Un dossier lui tient particulièrement à c£ur : la construction d’un Centre sportif de haut niveau dans la Fédération Wallonie-Bruxelles.  » Un véritable Centre d’excellence multidisciplinaire au service de la société. Un projet de 70 millions d’euros, rendez-vous compte ! J’ai l’impression que le grand public, les médias et une grosse majorité du monde politique ne s’en soucient guère. La culture n’a pas ce problème… Est-ce si cher ? Non. Car il ne s’agira pas d’un endroit réservé à une élite de quelque 200 athlètes mais un lieu de vie ouvert à tout le monde. 50 000 sportifs visiteront le Centre chaque année. Plusieurs sports, entraîneurs, préparateurs, kinés, universitaires et autres spécialistes s’y côtoieront chaque jour. « 

Et puis cet avertissement :  » Savez-vous qu’à cause de la santé physique déficiente de notre population, la Sécurité sociale va nous péter à la gueule ( sic). Une personne sur 10 est obèse chez nous, avec des problèmes corollaires – souvent ignorés par les victimes – de risques cardiaques et de diabète. Par rapport aux enjeux et au challenge, il me paraît ridicule de pinailler sur un financement étalé sur trente-cinq ans.  »

Ce Centre d’excellence n’est-il pas un monstre du Loch Ness ? On l’annonce depuis des années ; initié sous Claude Eerdekens, détricoté par Michel Daerden et réactivé par l’actuel ministre des Sports André Antoine, mais on ne voit rien surgir. On nous avait promis une décision en juillet dernier. Les élections communales pointent le bout de leur crayon électronique avec un risque évident de gel d’une décision qui fera forcément grincer des dents au niveau local.

Trois villes restent en lice après étude d’un dossier examiné par un comité d’experts, qui a demandé des  » compléments d’informations  » en juillet 2011 à chacun. Liège, Louvain-la-Neuve et Mons étaient appelés à se présenter devant le gouvernement wallon ce jeudi 13 octobre. Le ministre Antoine a rappelé, tout récemment, qu’il n’y aurait qu’un et un seul Centre, là où il y avait risque de voir, pour des raisons politiques, le projet éclaté sur plusieurs sites. Cette piste n’est plus d’actualité.  » Une excellente décision à mon sens « , selon Jacques Borlée.

Le Vif/L’Express : Vous avez été consulté sur le sujet et vous ne cachez pas que Louvain-la-Neuve a vos faveurs ?

Jacques Borlée : Oui, et ma réflexion se base exclusivement sur ma vision en tant que sportif et entraîneur. Avant de choisir le lieu, il faut se mettre d’accord sur les objectifs et la conception même du Centre. La manière de fonctionner et le mode de gestion sont capitaux. On ne construit pas un château fort avec du sable ! Louvain-la-Neuve a remis un dossier solide, baptisé Apogia, et cautionné dans son volet financier par le bureau Ernst & Young. Sa principale force est son unité de lieu et sa position géographique centrale. S’inspirant d’infrastructures aux Etats-Unis, il s’insère au centre du campus. Au milieu de la vie quotidienne. Il a valeur d’exemple. Pour les sportifs et pour la société en général. Je suis un adepte de l’intelligence collective. Que les choses soient claires : je n’ai absolument rien contre Liège. Son drame est que sa position est excentrée. Et le site retenu est situé dans un bois.

Quel est le problème ?

Une question d’image. Ce Centre doit être visible. Susciter de l’émotion. Du rêve. Il ne faut pas sous-estimer cet aspect. Vous savez, les athlètes sont des gens qui ont besoin de reconnaissance. Ils s’entraînent le plus souvent seuls, repliés, à l’abri des regards. Ce n’est pas le cas du football, sport collectif, et du Standard de Liège en l’occurrence, qui bénéficie d’un superbe outil avec l’Académie Louis-Dreyfus, au c£ur du Sart-Tilman. Le choix de l’emplacement est fondamental : il faut produire du rêve. C’est capital. Quand j’entends que certains privilégient la piste du futur grand stade de football national sur le site de Schaerbeek à Bruxelles, je me dis qu’ils n’ont pas la connaissance du terrain et non pas intégré la problématique dans toutes ses dimensions. Psychologique, notamment. Ont-ils vu qu’un incinérateur jouxte le site suggéré ? Il ne faudra pas attendre longtemps pour que les footballeurs mettent la cause de quelques mauvais résultats sur le compte d’une respiration déficiente. Et votre stade sera mort dans sa perception aux yeux des sportifs et du public. Pour toujours. J’enfonce le clou : le sport de haut niveau est affaire d’excellence technologique, certes, mais aussi d’image.

Le relais 4 x 400 mètres, avec Jonathan et Kevin, a brillé à Daegu sous la vareuse tricolore noire-jaune-rouge et pas sous la casaque frappée du coq wallon : n’est-ce pas un rien antinomique par rapport à la création d’un centre  » communautaire  » ?

Pas du tout ; je soutiens également le Centre de haut niveau en Flandre. Mais il est clair qu’il faut, pour le sport de haut niveau, fédéraliser les matières. Ce n’est pas forcément se heurter à notre réalité institutionnelle. Beaucoup d’hommes et de femmes politiques en sont convaincus. Vous savez, mes amis flamands, dominent depuis cinquante ans le sport belge, mais, à l’échelle internationale, ils sont en déficit de  » création  » de champions depuis dix ans. C’est un problème structurel. Il faut unir nos forces. Nos compétences. Le sport, c’est de l’émotion. Et il faut la créer. L’entretenir. J’en reviens à la notion d’image. Ne pensez-vous pas que la perception de la  » francophonie  » belge doit beaucoup, ces derniers temps, aux Henin, Gilbert, Borlée et autres ? D’accord, je passe mon temps à encourager mes enfants et d’autres à tourner en rond. Ce n’est que du sport, du calme donc… Mais l’impact d’une performance sportive est sans égale et dépasse de loin la seule dimension sportive. Avez-vous mesuré l’engouement pour les Diables rouges ou l’équipe nationale de hockey ?

ALEXANDRE CHARLIER

 » Ce centre doit susciter de l’émotion, du rêve « 

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