Issue fatale. Vraiment ?

En quelques mois, la mort subite a foudroyé plusieurs sportifs de haut niveau. Un constat inquiétant. Un mauvais coup pour le culte de l’exercice physique ?

Il est entré sur le terrain sous les acclamations, comme d’habitude. Non que Marc-Vivien Foe fût une star internationale, mais en tant que titulaire de l’équipe nationale camerounaise, le footballeur n’était pas un quidam non plus. Ce jour-là, donc, il a trotté comme de coutume jusqu’au centre du terrain, s’est échauffé selon les règles, aligné aux côtés de ses coéquipiers, imbibé qu’il était de la rage de vaincre distillée par les supporters, jusqu’à ce que retentisse le coup d’envoi. Puis il a couru. Beaucoup. Comme à chaque match. Touché quelques fois la balle. Et soudain, il s’est effondré. Mort.

Le décès en direct de ce jeune athlète, le 26 juin 2003, avait choqué les esprits. Survenu en pleine action, emportant un corps enhardi contre l’adversité par l’entraînement physique, et sans qu’aucun signe avant-coureur l’annonce, il illustrait l’incroyable fragilité de la vie et, comme s’il en était, l’injustice de la mort. Dans la foulée, le public allait apprendre l’existence d’un fléau, jusque-là connu presque exclusivement des médecins et des familles concernées : la mort subite des sportifs. Ou comment la jeunesse, l’hygiène de vie et l’exercice ne protègent pas toujours des arrêts cardiaques inexpliqués. Perturbant.

D’autant plus que, depuis ce tragique épisode, les décès inopinés de sportifs à succès se sont succédé : il y a eu la mort du coureur italien Denis Zanette, de l’attaquant hongrois Miklos Feher, du basketteur letton Raimond Junikis, du cycliste belge Johan Sermon, le 14 février dernier, et, le lendemain, de l’Italien Marco Pantani, le vainqueur du doublé Giro-Tour de France, en 1998.

L’amalgame est facile – ils étaient tous jeunes, talentueux, (re)connus – malgré les différences – importantes – des circonstances. Tentante est également la tendance à accuser inconsidérément la propension des sportifs de haut niveau à utiliser l’un ou l’autre produit dopant interdit, agissant directement sur le c£ur. Ce raccourci ne résiste cependant pas à quelques évidences : d’une part, les autopsies, aux résultats assez discrets il est vrai, n’ont pas toujours révélé des traces de drogues dans le corps des sportifs ainsi disparus et, d’autre part, cette maudite mort subite semble toucher également, sous toutes les latitudes, des sportifs amateurs, inconnus et modérés dans leurs ambitons. Des scientifiques français estiment l’incidence de la mort subite sur les terrains de sport à 1 sur 20 000 pratiquants, soit 1 000 à 1 200 morts par an dans l’Hexagone. D’autres statistiques font état d’une incidence nettement moindre. Il n’empêche, le problème ne peut être négligé.

Dans la toute grande majorité des cas (95 %, indiquent certains), les médecins invoquent l’existence préalable et non détectée de dysfonctionnements cardiaques. Ne portant pas à conséquence dans la vie quotidienne, ces derniers peuvent se révéler fatals lors d’efforts physiques intenses.  » En dehors des myocardites, des cardiopathies congénitales, des anomalies des coronaires et du syndrome de Marfan, indique le British Medical Journal, la cause la plus fréquente de mort subite chez des sujets jeunes, apparemment en bonne santé et quelquefois sportifs est la cardiomyopathie hypertrophique. Le décès survient souvent pendant ou à la suite d’un effort physique.  »

Faut-il craindre, dès lors, pour la vie de tout jeune sportif, au moment de l’inscrire dans le club de son choix ? La prudence s’impose, mais ne doit pas mener à la phobie.  » Identifier les sujets à risque est essentiel « , continue le journal médical britannique. Si les antécédents familiaux constituent un premier indice, des symptômes tels que des douleurs thoraciques, des vertiges, voire des pertes de conscience de brève durée, ne doivent pas être ignorés. Par ailleurs, le test d’aptitude permet généralement de poser un diagnostic sûr.

 » En Belgique, les fédérations sportives l’exigent pour tout participant à une compétition, sauf en football, explique le Dr Pascal Oger, spécialisé en médecine du sport. Souvent, cependant, les gens le considèrent comme une simple formalité sans se rendre compte de son importance. Or il est rare que les problèmes existants ne soient pas détectés lors de ces examens.  » De même, l’état médical établi lors de ce test ne donne aucune garantie pour l’avenir.  » Les parents de jeunes sportifs ne doivent pas oublier de rester attentifs à l’évolution de leur enfant, s’il pratique un sport. Il se peut que des troubles apparaissent au cours des entraînements, même si le test d’aptitude s’était révélé impeccable quelques mois plus tôt.  » Ces risques ne devraient cependant pas dissuader les ardeurs sportives ou faire renoncer des jeunes ou moins jeunes à la pratique d’une discipline sportive qu’on aime, car le sport reste bénéfique pour la santé.  » L’homme a été transformé en animal sédentaire, continue le Dr Oger. Or il n’en est pas un. Il m’arrive souvent de prescrire des séances de sport, comme la natation ou le jogging, pour résoudre des problèmes de santé, tels que les maux de dos. Et les résultats prouvent que cette méthode, appliquée partout dans le monde, est efficace. Mais, en Belgique, les gens rechignent souvent à bouger, malgré les initiatives soutenues, pour des raisons économiques évidentes, par les pouvoirs publics. En effet, la pratique régulière d’un sport d’endurance réduit le risque de maladies et, donc, la consommation de médicaments et les dépenses médicales à l’échelle nationale.  »

Lorsqu’un problème grave est détecté lors d’un examen clinique, le patient se voit quand même parfois conseiller de réduire sinon de cesser son activité sportive, malgré les risques de frustration et de déprime qu’une telle abstinence peut provoquer chez un passionné.

Les sportifs de haut niveau, d’ailleurs, pour qui ces sentiments sont exacerbés, évitent parfois de suivre ce conseil.  » Suite à des pressions dans le processus décisionnel concernant des athlètes de très haut niveau, précise Sylvie Demoune, cardiologue au CHU de Toulouse, dans une conférence sur la cardiologie et le sport, certains pratiquants atteints de maladies cardio-vasculaires ont été autorisés à participer à des compétitions, quelquefois avec l’aide de traitements tels que des drogues antiarythmiques, des pacemakers ou la disponibilité d’un défibrillateur externe.  » Face à cette décision, comme lors de la prise de substances dopantes, les adultes, même jeunes, agissent en toute conscience.  » Les anabolisants provoquent des hyper- trophies cardiaques et des tumeurs. Il faut le répéter aux jeunes « , conseille le Dr Oger.

A plusieurs reprises au cours de sa carrière, Marco Pantani a subi des sanctions sportives pour cause d’hématocrite (taux de globules rouges) supérieur aux 50 % autorisés. Or, le champion italien recourait souvent aux conseils du Dr Conconi, célèbre pour avoir délivré les premières prescriptions d’EPO (érythropoïétine). Le doute persiste donc toujours quant à la prise de substances dopantes par le Pirate et, le cas échéant, quant à l’incidence de ces drogues sur la mort du champion italien.

Alors que les recherches sur la mort subite des sportifs continuent, de nouvelles voix médicales se font entendre. Elles tendent à assimiler la pratique intensive d’un sport de haut niveau à une drogue, dont le corps deviendait dépendant, au point de ne pas supporter l’abstinence.  » Quand vous faites régulièrement du sport, vous développez des endorphines, qui donnent une sensation de bien-être. Il faut cependant se méfier des conclusions hâtives. Les statistiques manquent dans ce domaine, pour confirmer ou infirmer une plus grande assuétude aux drogues chez les sportifs qu’au sein d’un autre échantillon de la population « , observe le Dr Oger. D’après d’autres sources, il ne serait d’ailleurs pas rare de voir d’anciens athlètes plonger dans l’enfer de la drogue après avoir quitté le circuit de la compétition. Certains antidépresseurs ont pourtant des effets toxiques sur le c£ur, surtout si celui-ci a été mis à rude épreuve, par exemple suite à l’usage de produits dopants. D’autres présentent le risque d’induire des crises épileptiques. Jamais, en tout cas, ils ne remplacent les bienfaits d’une activité sportive. Chez l’homme comme chez la femme.

Quelles que soient les causes invoquées pour tous les cas cités de mort subite, force est de constater que les femmes semblent largement épargnées. Sur la liste des morts subites ayant frappé les jeunes ou relativement jeunes athlètes connus, seule Florence Griffith-Jones, la sprinteuse américaine décédée à 39 ans, fait exception. Quelle conclusion en tirer ?  » Dans ce domaine aussi, les statistiques font défaut, estime Pascal Oger. Il se peut que les hommes soient simplement plus nombreux à pratiquer les sports de haute compétition « . l

Carline Taymans

Des sportifs cardiaques en traitement ont été autorisés à participer à des compétitions

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