Islamistes marocains : terroristes ou pas ?

Le Groupe islamique combattant marocain (GICM) avait déjà une antenne en Belgique quand des suspects des attentats de Casablanca et de Madrid y ont trouvé refuge. Procès-test pour la nouvelle législation antiterroriste

La première trace écrite de l’existence du Groupe islamique combattant marocain (GICM) apparaît en Belgique, en 1998, dans l’appartement d’Ixelles où s’était retranché Farid Mellouk. Ce Français d’origine algérienne faisait partie du Groupe islamique armé (GIA) algérien, responsable des attentats de 1995 en France. Depuis, le GICM a semé la mort et la désolation à Riyad (12 mai 2003), Casablanca (16 mai 2003) et Madrid (11 mars 2004). Le mythe de la non-violence du mouvement islamiste marocain a été enterré avec les cadavres de ses victimes (près de 300 morts).

D’après le Département d’Etat américain, ce groupe aurait été fondé au début des années 1990, à l’instigation d’anciens  » Afghans  » marocains, tissant sa toile en Afrique du Nord, en Europe et même au Canada, où il immerge ses  » cellules dormantes « . Le GICM veut instaurer un régime islamiste au Maroc, avec la bénédiction d’Al-Qaeda, qui l’a adoubé après le 11 -Septembre pour se venger, dit-on, d’un Etat marocain trop proche des Américains. Le GICM a été idéologiquement inspiré par Mohamed El Guerbouzi, un réfugié marocain qui vit à Londres depuis plus de vingt ans sans être inquiété – ce dont s’indigne Pierre Hendrickx, président du tribunal correctionnel de Bruxelles. Soupçonné d’être derrière les attentats de Madrid et de Casablanca, Abou Moussab al-Zarqaoui est, en tant qu' » émir  » d’Irak, le principal  » bénéficiaire  » des enrôlés marocains. L’arrestation récente, à Casablanca et à Rabat, de 17 terroristes présumés, dont le Belgo-Marocain Mohamed Reha, révèle la vigueur de ce recrutement islamiste. D’après la police marocaine, le GICM posséderait un organigramme bien structuré. Mais de trace formelle du groupe, il n’y a guère. Ainsi, les attentats de Madrid ont été revendiqués par  » Abou Doujana l’Afghan, groupe Ansar, Al-Qaeda en Europe « . Par commodité, le label  » GICM  » désigne donc la mouvance maghrébine du djihad international, tissée de liens familiaux étroits.

Ce qui est reproché aux 13 membres présumés du GICM, dont seulement 8 sont présents derrière les vitres blindées du palais de justice de Bruxelles, apparaît de prime abord bien vague.  » Des contacts, des liens, de la sympathie avec des personnes liées à la mouvance terroriste, est-ce véritablement suffisant pour considérer qu’elles participent à une organisation terroriste ? » s’interroge un avocat de la défense. Aucun projet précis d’attentat, aucune arme ou explosif saisis, même si, à Maaseik (Limbourg) ou à Bruxelles, un détecteur de métaux, des plans de déclenchement d’une bombe par GSM, du matériel de faussaire, de la littérature islamiste ou des cassettes de Ben Laden ont été trouvés. Cependant, les nombreuses photos et rapports de la Sûreté de l’Etat, les écoutes téléphoniques de la police fédérale, les informations d’Interpol et des services de renseignement étrangers, notamment marocains, donnent un contenu inquiétant à cette  » sympathie « .

Les inculpés auraient été en contact ou auraient hébergé des personnes directement impliquées dans les attentats de Casablanca et de Madrid. Certains étaient proches de la branche néerlandaise du  » groupe de Hofstad « , dont l’un des membres, Mohammed Bouyeri, a été condamné à la prison à vie pour l’assassinat du cinéaste hollandais Theo Van Gogh. Extradé par la Belgique vers l’Espagne au printemps dernier, l’un de ces  » contacts « , Youssef Belhadj, s’était rendu à Madrid une semaine avant les attentats, où il aurait tourné les vidéos revendiquant le carnage. Son cousin Mohammed, directement impliqué dans les attentats madrilènes, est toujours en fuite, après avoir été interpellé à deux reprises sur le territoire belge. Malgré le mandat d’arrêt international lancé contre lui, il a été relâché par une police fédérale ignorante de sa véritable identité, les policiers espagnols n’ayant pas transmis les empreintes digitales dont ils disposaient. D’autres suspects de Madrid auxquels la justice belge s’est intéressée se trouvent actuellement en prison en Espagne. Leur affaire a été techniquement disjointe de celle des 13 de Bruxelles, mais ils forment un même réseau qui étend ses ramifications dans plusieurs pays européens. Avec sa profusion de noms et de prénoms arabes souvent doublés d' » alias « , le procès de Bruxelles ne peut être envisagé, au niveau documentaire, que comme une partie d’un puzzle plus vaste. Le tribunal, lui, doit juger des hommes et individualiser les peines éventuelles.

Des prévenus amnésiques

Les prévenus ont entre 24 et 42 ans. Ils étaient en séjour légal – les quatre plus jeunes sont nés en Belgique – ou illégal. Onze sur treize sont de nationalité marocaine, les deux autres ont la double nationalité. Pour la première fois, en Belgique, un dossier  » terroriste  » met en avant une forte participation marocaine. Tous les experts avaient souligné ce risque. En 1996, puis en 2003 et 2004, les procès étaient dirigés contre des mouvances internationalistes issues du djihad afghan, dominées successivement par des Algériens et des Tunisiens. L’instruction d’audience a permis de présenter les quatre prévenus qui sont poursuivis comme dirigeants d’un groupe terroriste ( lire l’encadré ci-dessous). Abdelkader Hakimi a roulé sa bosse en Algérie, Libye, Turquie, Bosnie, Arabie saoudite, Malaisie et Afrique australe, après une condamnation à mort encourue dans son pays, en 1985, pour activisme islamique et trafic d’armes. Des détenus du GICM, en France et au Maroc, l’accusent d’avoir été leur responsable européen chargé des questions de sécurité : c’est un expert en falsification et codage. Il aurait présidé une réunion destinée à  » coordonner des actions futures  » du groupe, à Maas-eik, au domicile d’un autre inculpé, Khalid Bouloudo. Celui-ci hébergeait alors Hassan El Haski, un homme dangereux recherché dans le cadre des attentats de Madrid. Le prévenu Lahoussine El Haski est le frère de ce suspect madrilène caché à Maaseik. Ancien combattant en Tchétchénie, désigné comme le  » responsable théologique  » du groupe, El Haski a été réclamé tardivement par l’Arabie saoudite en raison de son implication possible dans l’attentat de Riyad, en 2003. Quant à Moustafa Loulani, il était très proche d’un autre acteur des attentats de Madrid, Abdelkadim Akoudad, détenu en Espagne. Chez sa s£ur, à Bruxelles, on a retrouvé un testament. Il s’apprêtait, semble-t-il, à s’embaucher comme kamikaze en Irak. Enfin, Abdallah Ouabour reconnaît avoir accueilli chez lui, à Maaseik, des membres du GICM actuellement détenus en France, qui le désignent comme un des leurs. Hakimi, El Haski, Loulani, Ouabour : des  » durs « , endoctrinés et formés à la lutte armée dans les camps syriens, pakistanais et afghans d’Al-Qaeda, bien qu’ils s’en défendent. Abdelkader Hakimi a tout juste reconnu à l’audience être un  » sympathisant  » du GICM. Pour le reste, ils opposent leurs dénégations sans vraisemblance et leurs trous de mémoire aux questions du tribunal. Le parquet fédéral devrait commencer à requérir le 1er décembre.

Marie-Cécile Royen

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