Irak : les vrais responsables

Les photos montrant des prisonniers irakiens torturés et humiliés ont profondément choqué les opinions publiques. Les responsables politiques et militaires américains se sont empressés d’affirmer que ces actes inhumains sont des incidents isolés non représentatifs de la majorité des militaires américains, porteurs de nobles valeurs.

La question n’est pas de savoir si ces actes sont compatibles avec les valeurs américaines. Il serait ridicule de juger tout un peuple sur le comportement d’une partie de son armée, surtout dans une situation de guerre. La question n’est pas de savoir si les soldats ont agi de leur propre initiative ou si des ordres émanant de leur hiérarchie les ont contraints. Mais doit-on chercher les responsabilités uniquement au niveau de l’armée, que ce soient ses chefs militaires ou civils ? L’exigence de la démission de M. Rumsfeld par certains sénateurs démocrates s’inscrit dans cette logique. Cette démarche ne permet pourtant pas de révéler qui sont les responsables réels de cette situation dans sa globalité. Sortons donc de cette logique réductionniste et essayons de porter le débat à un niveau plus global, en intégrant tous les aspects du problème.

Aujourd’hui, l’important est plutôt de désigner les vrais responsables qui ont, par leurs décisions et choix politiques, conduit à cette guerre. Car il est insuffisant d’accuser quelques militaires américains de ne pas respecter les conventions de Genève et de les traduire devant la justice alors que toute cette guerre, depuis son début, a été le résultat d’une décision illégale. C’était la décision de l’administration Bush, confortée et soutenue par le Congrès américain, mais elle était en flagrant délit de violation du droit international. La responsabilité première est donc portée par l’administration politique américaine. Pourquoi celle-ci demanderait-elle à ses soldats de respecter les conventions internationales alors qu’elle-même n’a pas respecté le droit international lorsqu’elle a déclaré cette guerre ? Imagineriez-vous un chef de bande hors la loi demander à ses hommes de respecter la loi ? S’il faut traduire en justice des militaires américains pour non-respect du droit international, alors, selon cette même logique, il faut traduire toute l’administration Bush. C’est cela le fond du problème. L’administration américaine est ici devant une situation qui dépasse de loin les limites du ridicule, et n’a sans doute pas d’équivalent dans l’histoire. Résolument, et cela se confirme de jour en jour, les Etats-Unis sont entrés dans un tournant tragique de leur histoire, par la faute de l’actuelle administration républicaine.

Ce que ce scandale rappelle, c’est que la guerre est une sale affaire. Elle n’a jamais été, ne peut être et ne sera jamais propre. Le président Bush l’ignorait-il lorsqu’il a décidé d’engager les hostilités sous le prétexte d’apporter la démocratie aux Irakiens ? Dans l’esprit d’un soldat américain, la vie et la dignité d’un Irakien peuvent-elles avoir plus de valeur que pour les hommes au sommet du pouvoir, qui ne prêtent guère attention aux souffrances des  » ennemis  » ?

Le président Bush n’a-t-il pas qualifié l’Irak de pays appartenant à l' » axe du Mal  » ? Les résistants irakiens ne sont-ils pas qualifiés tous les jours de terroristes ? Cette guerre n’est-elle pas présentée, par le pouvoir américain et les medias peu scrupuleux, comme une guerre contre le terrorisme, s’inscrivant dans le cadre d’une légitime défense suite aux attentats du 11 septembre 2001 ? Cette vision, fausse, mais alimentée par les responsables politiques américains au plus haut niveau, où l’Irakien représente le mal et le terrorisme, n’influe-t-elle pas sur la perception qu’ont les militaires américains des prisonniers irakiens ? Car ce qui frappe en premier lieu dans les photos publiées, c’est l’humiliation, la réduction au niveau bestial et la torture morale, plus encore que la torture physique. Ces faits démontrent qu’aux yeux de leur tortionnaires les prisonniers irakiens n’ont plus une dimension humaine.

Ces responsables se rendent-ils compte que, malgré les sommes colossales engagées dans cette guerre, malgré la puissance inouïe de leur armée, malgré leur domination économique et médiatique mondiale, leur bilan dans ce pays déjà ravagé est catastrophique et apporte au grand jour la preuve éclatante de leur échec politique et militaire ? La seule et unique chance qui reste aux responsables américains pour s’en sortir, c’est d’organiser le départ programmé de leur armée, selon un calendrier précis, et de permettre aux Nations unies de reprendre en main intégralement le sort de ce pays. Il en va aujourd’hui de la crédibilité des Etats-Unis en tant que nation démocratique et respectueuse des droits de l’homme.

* Président de l’association Action et réflexions citoyennes.

Les textes de la rubrique Idées n’engagent pas la rédaction.

Par Abdelatif Elouahabi,

Pourquoi les soldats américains respecteraient-ils le droit international alors que les dirigeants des Etats-Unis ne le font pas ?

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