Internet Pigistes en batterie

Emmanuel Paquette Journaliste

Aux Etats-Unis, des  » fermes de contenus  » produisent des milliers d’articles par jour sur la Toile avec des rédacteurs du monde entier. Ce modèle arrive en Europe.

Bienvenue dans les fermes du Net ! Ici, ni poules, ni vaches, ni cochons. De ces nouvelles usines de la Toile sortent articles et vidéos produits à la chaîne. Non pas des sujets dictés par l’actualité mais parà Google. Dans ce monde merveilleux, il importe de répondre aux attentes des internautes et, bien sûr, de satisfaire les annonceurs.

Le principe est simple : en scrutant les requêtes des utilisateurs, des algorithmes recherchent si des réponses adéquates existent. Faute de quoi, des sociétés spécialisées, comme Demand Media ou Associated Content, se chargent de combler ce manque en commandant des articles à des étudiants, des blogueurs, des journalistes au chômage, tous payés à la pige. Ces contenus très pertinents pour les moteurs figurent en bonne place sur Google et créent du trafic, à moindres frais, sur des sites gratuits subsistant grâce à des publicités ciblées.

Ce modèle a déjà séduit des géants américains du Net engagés dans une course à l’audience. Le portail AOL a ainsi ouvert son service Seed en s’appuyant sur une batterie de 3 500 pigistes. De son côté, Associated Content peut compter sur 350 000 collaborateurs occasionnels.

A présent, ce phénomène débarque en Europe.  » Nous sommes très avancés, estime Luca Ascani, PDG de GoAdv, une société de médias en ligne franco-italienne présente sur huit marchés. Nous travaillons déjà avec plus de 1 000 contributeurs, qui nous fournissent en moyenne 15 000 contenus par mois, diffusés sur quelque 500 sites, comme Excite ou Better Deals. Et nous prévoyons d’élargir notre service.  » Cette entreprise dépense de 150 000 à 200 000 euros par mois pour rémunérer ses rédacteurs entre 3 et 30 euros l’article. Une misère ! Mais ne dites pas à Luca Ascani qu’il gère une ferme industrielle.  » Je n’aime pas cette terminologie, nous proposons de la qualité « , se défend-il. Cela ne l’empêche pas de noter ses contributeurs en fonction du nombre de lectures de leurs articles.

TF 1 tenté par l’aventure

 » Les médias traditionnels ne doivent pas craindre ces fermes de contenus, estime Frédéric Montagnon, fondateur de la société française OverBlog, qui fédère 1,5 million de blogs. Au contraire. Nous réalisons des fiches pratiques, des articles conseils, dont la pérennité est de cinq ans. Rien à voir avec le côté éphémère de l’actualité politique ou économique. Notre approche est donc complémentaire.  » Actuellement, cette société teste une  » place des experts  » dotée d’une trentaine de blogueurs régulièrement sollicités sur différentes thématiques. Chacun perçoit une rémunération fixe et une part variable, calculée d’après le nombre de leurs lecteurs. Des négociations ont aussi débuté avec TF 1 (actionnaire à 40 % d’OverBlog) pour alimenter les sites du groupe en s’inspirant des Etats-Unis, où le premier quotidien, USA Today, a passé un accord avec Demand Media pour ses pages voyages.

D’autres entreprises françaises lorgnent ce marché, comme Edit-Place qui a des pigistes en Inde, en Argentine et en France. Certains salariés de Cellcast Media sont, eux, basés à l’île Maurice. Le créneau est prometteur. Il faut dire que les fermes de contenus ont déjà fait le bonheur de leurs créateurs outre-Atlantique : Associated Content a été cédé pour près de 100 millions de dollars à Yahoo!, et Demand Media prépare son introduction en Bourse (valorisation attendue : 1,5 milliard de dollars !). Il va sans dire que les contributeurs, eux, ne touchent rien.

Emmanuel Paquette

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