» Il y a plus de courbes dans la communication de la N-VA qu’à Francorchamps ! «
Le président du CD&V veut rétablir la confiance perdue en prenant ses responsabilités au fédéral. » Cela commence à livrer des résultats « , assure-t-il, en fustigeant les slogans faciles et néolibéraux des nationalistes flamands. Entretien exclusif.
S’il est bien un élément-clé de la stabilité du gouvernement fédéral d’Elio Di Rupo, c’est le CD&V, deuxième parti de Flandre. Les chrétiens-démocrates constituent un facteur stabilisateur au nord du pays. Et un moteur politique depuis leur décision de rompre avec la N-VA. Le parti a pris le risque de mener à bien une réforme de l’Etat et de gérer le pays en des temps difficiles. Devenu président à 36 ans, en 2010, Wouter Beke a imposé son autorité à force d’accords conclus et de réflexions doctrinaires. Ce docteur en sciences politiques, qui fut auparavant chercheur à la KUL, fait preuve d’une humilité à toute épreuve face aux poids lourds que sont devenus Kris Peeters et Pieter De Crem depuis le départ des Leterme, Van Rompuy et autres Dehaene. Détendu à l’issue de la première réunion avec le sommet de son parti au retour des vacances, il répond aux questions du Vif/L’Express. Ce sera l’unique longue interview de sa rentrée politique.
Le Vif/L’Express : C’est une rentrée politique contrastée pour le gouvernement fédéral entre les dossiers délicats à gérer en termes d’image – les nominations politiques des top managers, le financement des partis… – et des sondages positifs après les réformes bouclées avant l’été…
Wouter Beke : Quand je suis devenu président de parti, j’avais déclaré de façon imagée que la confiance était partie par conteneurs entiers et que nous devrions la ramener avec des brouettes. J’avais expliqué que je ne pensais pas que l’on pourrait évacuer en cinq minutes ou même en quelques semaines tout ce qui s’était passé. Je n’ai jamais cru que l’on pourrait inverser les tendances des sondages par l’un ou l’autre effet choc. Nous devions d’abord réaliser un certain nombre de choses pour y arriver : conclure un accord communautaire et scinder l’arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde, remettre le pays sur les rails budgétaires et accomplir les réformes nécessaires. Et enfin, d’un point de vue politique politicienne, gagner les élections communales. C’est ce travail qui est en cours.
Cela n’entraîne certainement pas des résultats spectaculaires. Mais avant les élections communales, des sondages nous créditaient de 13 ou 14 %. Nous avons obtenu 28 % aux communales et 21,5 % aux provinciales, dont on dit qu’elles sont le reflet des fédérales. Mais le plus important, c’est la réalisation de notre programme, ce qui n’avait pas été possible entre 2007 et 2010. Ce gouvernement a enfin concrétisé des revendications exprimées par le parlement flamand en 1999 ! Il a diminué le déficit de 21,5 milliards en demandant des efforts à tout le monde, aux familles, aux entreprises, mais en veillant en premier lieu à réduire les dépenses de l’appareil d’Etat. Cela commence à livrer des résultats.
Des experts disent qu’il n’y a pas eu suffisamment de réformes structurelles. La N-VA estime que tout va mal en Belgique. Sera-t-il aisé convaincre la population flamande ?
Le plus important pour y arriver, ce sera de poursuivre après 2014 le train de réformes que nous avons mis sur les rails.
Dans quels domaines ?
Nous avons déjà réalisé une réforme des pensions mais ce ne sera certainement pas la dernière. Nous devons aller vers une plus grande responsabilisation dans le domaine de la sécurité sociale. Nous devons contribuer à une meilleure adéquation entre l’offre et la demande sur le marché du travail. Et enfin, nous devons réaliser une réforme fiscale afin de remédier au problème du coût du travail. Pour mener tout cela à bien, nous aurons besoin d’un climat politique stable. Et d’ici aux élections, déjà, le gouvernement doit encore conclure un pacte de compétitivité. Un défi majeur.
La N-VA estime également que l’enjeu socio-économique est urgent et se dit prête à contribuer aux réformes après 2014…
Ce parti dit beaucoup de choses. Il y a plus de courbes dans la communication de la N-VA que sur le circuit de Spa-Francorchamps !
La clé, c’est une reprise de la croissance économique ?
Ce qui est important, surtout, c’est le retour de la confiance des entreprises et des consommateurs. Nous avons un certain nombre de problèmes objectifs comme un coût du travail trop élevé. Mais nous avons aussi un problème subjectif : les gens ont peur de l’avenir et ne sont pas prêts à investir. Regardez à quel point notre épargne est gigantesque !
Le politique peut y faire quelque chose ?
Nous pouvons mettre un certain nombre de mécanismes en place mais l’essentiel est que les gens aient le sentiment qu’il y a des perspectives d’avenir.
Serait-il possible de prendre des décisions sectorielles en matière de coût du travail pour soutenir certains secteurs, comme le propose le SP.A Johan Vande Lanotte ?
Une diminution linéaire du coût du travail serait terriblement onéreuse. Il y a effectivement des secteurs davantage sous pression en raison de la concurrence des pays avoisinants. Il faut y travailler. Je viens du Limbourg, où nous avons vu cela avec Ford Genk. Mais il y a des problèmes similaires en Wallonie. Ce n’est pas un dossier communautaire ni même idéologique. Tout le monde a intérêt à préparer l’avenir, les socialistes, les libéraux, voire même les nationalistes » à la Bracke « . Ce doit être notre priorité absolue.
Votre ministre des Finances, Koen Geens, avait évoqué la possibilité d’utiliser une partie de l’argent de l’épargne pour relancer l’économie. Possible ?
L’emprunt populaire est un des instruments pour y arriver, de même que des incitants fiscaux. Tout doit être adapté au contexte. Mais le plus important, je l’ai dit, c’est la confiance. En 2010, Barack Obama a déclaré dans son » State of the union » : » The problem of the USA is not the deficit of the budget, but the deficit of trust » ( » Le probleme des Etats-Unis n’est pas le déficit du budget, c’est le déficit de confiance « ). Il n’avait pas tort.
Comment aller à l’encontre d’un tel sentiment subjectif ?
Tout le monde en est responsable. Le monde politique est là pour chercher des solutions, pas pour créer des problèmes. C’est pour cela que nous avons décidé de négocier en 2011, afin d’éviter un blocage complet. Les syndicats ont aussi leurs responsabilités : ils ne doivent pas seulement écouter leur base actuelle mais aussi songer aux emplois qui pourraient être créés. Le patronat aussi : il ne doit pas voir que les obstacles mais profiter des opportunités. Nous devons oser prendre des risques dans cette société.
La N-VA a entamé un road show pour expliquer concrètement combien les problèmes restent importants dans notre pays, de la dette aux dépenses publiques… C’est une vision négative ?
Il est évident qu’on peut améliorer des choses. Nous avons une dette historiquement élevée, nous devons préparer le coût du vieillissement et réduire encore les dépenses publiques… C’est notamment la conséquence du sauvetage des banques. La nécessité de nationaliser Fortis ne figurait pas au programme de mon parti en 2007. Nous avons dû le faire pour ne pas laisser notre économie s’écrouler.
Il est facile de dresser une liste des problèmes mais la vraie question aujourd’hui, c’est de savoir ce que l’on fait. Concrètement, et pas dans un flou artistique.
Le confédéralisme prôné par la N-VA, c’est du flou artistique ?
Nous, nous partons d’un confédéralisme positif. Les entités fédérées doivent être le moteur de ce pays et c’est ce que permet la sixième réforme de l’Etat. Elio Di Rupo l’a dit : le centre de gravité s’est déplacé vers les Régions et Communautés. Toute la politique industrielle ou le marché de l’emploi se trouve désormais à ce niveau. Pour soutenir cette responsabilisation, nous aurons besoin d’une législature entière pour réformer les pensions et la fiscalité afin de réduire le coût du travail.
La N-VA fait une erreur en demandant une nouvelle réforme de l’Etat ?
Je ne sais pas où la N-VA veut aller ni comment elle veut y aller. C’est à elle le dire. C’est un parti démocratique comme les autres avec lequel nous travaillons au niveau flamand et dans de nombreuses communes. En 2010 et 2011, si cela n’avait tenu qu’à moi, il y aurait eu un gouvernement fédéral avec la N-VA et même sous sa direction. Ce sont eux qui ont refusé, c’est leur responsabilité. Si sa priorité en 2014 est bien le socio-économique et qu’elle reçoit un mandat en ce sens, pour moi, c’est un parti comme les autres.
La confiance entre les partis flamands et francophones est-elle restaurée ?
Ce ne fut pas simple. Nos priorités à chacun, c’est de défendre l’intérêt de notre Communauté. Mais nous avons par exemple obtenu la scission de BHV sans élargissement de Bruxelles, sans capacité pour la Communauté française d’intervenir dans la périphérie… Tous les partenaires respecteront l’accord. Et ce que je trouve positif, c’est la responsabilisation de Bruxelles et de la Wallonie, où l’on accepte de relever le défi du redressement. Que ce soit clair : je préfère avoir un voisin riche qu’un voisin pauvre. J’entends même Rudy Demotte parler désormais de » nationalisme wallon « , je lui laisse la responsabilité de ses mots…
Nous sommes un parti flamand, qui s’est battu pour notre autonomie. J’entends souvent dire que la Flandre est » de droite « , mais nous sommes une des rares régions européennes où l’on a réduit la pauvreté malgré la crise. Il ne faut pas nous donner de leçon en la matière.
Pourrez-vous mener les réformes structurelles que vous souhaitez avec les socialistes francophones ?
Tout d’abord, que ce soit clair : un gouvernement devant réaliser une réforme de l’Etat a besoin de davantage de sièges au Parlement. C’est mathématique. Idéologiquement, un gouvernement axé sur le socio-économique, avec une majorité simple, peut donc être plus consistant.
Ce n’est pas un secret : nous sommes davantage proche du CDH de Benoît Lutgen, aujourd’hui, voire même du MR que du PS. Mais nous ne verrons qu’après les élections les coalitions possibles en Flandre et en Wallonie.
Vous avez écrit un livre pour positionner votre parti au » centre courageux « . Un choix facile à porter en cette période de polarisation exacerbée ?
Nous disons qu’il faut tout faire pour relancer l’économie afin de pouvoir en répartir les fruits socialement. Tout est lié. On ne peut pas organiser un paradis économique sur un cimetière social. Nous nous distinguons clairement des socialistes, qui pensent surtout à répartir les richesses, ainsi que des libéraux ou des nationalistes néolibéraux. Il est facile d’affirmer que l’on peut facilement assainir le pays en coupant dans la sécurité sociale, mais on oublie que l’on parle des pensions, des allocations familiales, des soins de santé… La sécurité sociale n’est pas une donnée abstraite.
Les nationalistes sont des néolibéraux ?
Leur discours est nettement coloré d’accents néolibéraux.
Les Flamands ne le perçoivent pas assez ?
Ils commencent peut-être à le percevoir. Ce n’est pas en lançant des slogans faciles que l’on mène une politique socio-économique.
Par Olivier Mouton
» Qu’est-ce que cela signifie encore être de gauche ou de droite ? »
» On ne peut pas organiser un paradis économique sur un cimetière social »
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