» Il faut réinstaurer un service citoyen obligatoire « 

Le député Georges Dallemagne (CDH) préconise un financement et un encadrement 100 % belge des mosquées pour éviter les phénomènes de radicalisation. Entretien.

Le Vif/L’Express : Le gouvernement a adopté une attitude protectrice et prudente à l’égard des jeunes musulmans belges partis se battre en Syrie. En revanche, il fait peu de commentaires sur la légitimité ou non de tels engagements aux côtés d’Al-Qaeda…

Georges Dallemagne : On a besoin d’un message à la fois préventif et normatif. De nombreuses mesures ont été prises mais certaines doivent encore l’être. La proposition de la ministre de l’Intérieur, Joëlle Milquet (NDLR : CDH), d’interdire les groupes radicaux tels Sharia4Belgium est bloquée au gouvernement et au Parlement. La Sûreté de l’Etat recommande cette interdiction : elle enverrait un message clair. Même si l’on peut penser que ce n’est pas la panacée et que d’autres groupes renaîtront sous d’autres noms, cette initiative fait partie du nécessaire rappel à la norme. En entendant le témoignage de certains parents de jeunes en recherche d’identité partis en Syrie, je suis frappé par leur manque de repères. Je pense qu’il faut réinstaurer un service citoyen obligatoire. L’ancien service militaire avait le mérite de mettre en contact des jeunes très différents, de repérer les problèmes d’analphabétisme, d’assuétude ou de comportement violent et de proposer des formations, ce qui rendait quand même possible la réintégration dans la société. La question identitaire tient au fait qu’on ne propose pas assez, collectivement, un ensemble de normes et de valeurs qui créent du lien entre les citoyens. Avec un service militaire ou civil dans la fonction publique, les associations ou les corps de secours, les jeunes apprendraient quelque chose sur leur pays. On doit y réfléchir.

Faut-il, comme l’a suggéré le député Denis Ducarme (MR), réactiver l’article de la loi de 1979 qui réprime l’engagement individuel au sein de troupes régulières ou irrégulières en territoire étranger ?

Je suis favorable à une initiative. Je note que lorsque la ministre de l’Intérieur vient avec une proposition d’arrêté royal, Monsieur Reynders relativise l’intérêt de cette proposition… J’attends du MR un peu de cohérence et moins de jeux politiciens ! Par ailleurs, cette problématique est en partie couverte par la loi sur le terrorisme ; des jeunes partis se battre en Somalie sont déjà inculpés sur cette base-là.

La position peu claire de la Belgique sur le conflit syrien ne donne-t-elle pas à croire aux jeunes combattants qu’ils sont soutenus par leur pays ?

Pendant la première année du conflit syrien, j’étais favorable à la livraison d’armes aux rebelles (lire en page 36). Malheureusement les vétos russes et chinois ont eu des conséquences catastrophiques sur l’évolution du conflit. J’ai révisé ma position quand le conflit s’est radicalisé et internationalisé. J’ai indiqué qu’il fallait éviter de donner des armes à une opposition tout sauf unie, sans que l’on en connaisse les destinataires finaux et alors que le niveau de violence, quelle que soit l’issue du combat, va vraisemblablement rester élevé, compte tenu de la présence de djihadistes passant d’un conflit à l’autre. Une contradiction est apparue chez les libéraux, certains, comme Louis Michel, prônant le soutien actif de la rébellion, d’autres, non. La Belgique doit être très, très prudente à l’égard de l’Arabie saoudite et du Qatar. Le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, est responsable de l’application du code de bonne conduite européen en matière de livraison d’armes à des pays qui seraient susceptibles de soutenir les rebelles syriens, en l’occurrence, l’Arabie saoudite et le Qatar. Au Parlement, Didier Reynders a soutenu qu’il n’avait pas la preuve que des armes belges vendues à ces deux pays avaient été distribuées aux rebelles. Or le code de bonne conduite européen ne parle pas de  » preuves  » mais de  » risque « . Ce risque, à mon sens, existe bel et bien.

Que pensez-vous de la proposition franco-britannique de formation contrôlée des insurgés ?

Je suis favorable à la proposition de la France et du Royaume-Uni de former les groupes rebelles syriens non radicaux à l’usage des armes antichar et antiaériennes qu’ils ont récupérées auprès de l’armée de Bachar el-Assad car, là, on contrôle l’usage de la force. Je pense aussi que, dans les zones libérées, le système de sanctions internationales qui s’applique aujourd’hui à l’ensemble du pays devrait être levé pour permettre à la rébellion de percevoir les revenus pétroliers et de nourrir sa population. Mais par rapport à la livraison d’armes, il faut être très prudent. Cette position, nous, les parlementaires, devrions pouvoir aller l’expliquer dans les quartiers pour décourager les jeunes de se rendre en Syrie.

Ce qui se passe en Syrie est plus qu’une guerre de libération, c’est une guerre civile religieuse. L’université Al-Azhar, au Caire, la plus haute autorité sunnite, vient encore de condamner le chiisme. Faut-il s’attendre à une importation du conflit en Belgique ?

On ne dit pas assez que le conflit syrien s’inscrit dans un champ de tensions internationales opposant les deux grands courants de l’islam presque partout où il y a des musulmans, Belgique comprise. L’Iran agit de manière très volontariste pour convertir les sunnites au chiisme. Dans notre pays, 40 000 sunnites sont devenus chiites. Je dis que, là aussi, chez nous, les actes de violence ou de haine entre les deux courants sont intolérables. Heureusement, on n’est plus dans le déni de ces problèmes, comme du temps de Philippe Moureaux, où l’on nous serinait qu’il s’agissait d’une toute, toute petite minorité sur l’air de Tout va très bien, Madame la Marquise… La loi anti-terrorisme vient d’être renforcée, un plan contre la radicalisation est en préparation, les bourgmestres prennent conscience de leurs responsabilités au niveau local… Tout cela est très bien, il faut le mettre en oeuvre.

Certains observateurs comparent l’engagement des djihadistes étrangers en Syrie à celui des Brigades internationales pendant la guerre civile d’Espagne (1936). D’accord ?

Si l’on parle de la guerre civile en Espagne, ce qui ne me gêne pas, on peut aussi évoquer l’engagement de jeunes Wallons dans la légion Wallonie de Degrelle pendant la Seconde Guerre mondiale. Une forme de recherche d’idéalisme n’est pas toujours recommandable. Les mobiles de ces jeunes peuvent constituer un danger pour nos valeurs et la démocratie s’ils reviennent du front radicalisés. S’ils ont un syndrome de stress post-traumatique, ils seront d’abord un danger pour eux-mêmes

On vous sait attentif aux chrétiens d’Orient. Ne sont-ils pas menacés si la Syrie tombe aux mains de la rébellion ?

La Syrie est un pays multiconfessionnel qui a toujours réussi à faire coexister ses minorités. Le risque existe qu’en cas de changement de régime, la situation devienne encore plus précaire pour les minorités. Mais envisager le conflit sous cet angle est difficilement audible dans notre pays… J’ai été l’auteur, en 2009, d’une résolution votée au Parlement qui, au départ, aurait dû exprimer notre soutien à l’égard des chrétiens d’Orient mais les collègues n’ont pas voulu qu’elle se limite à eux. Cette question reste insuffisamment prise en charge. On est à chaque fois caricaturé, voire moqué. Un jour, à la Chambre, à une question que je posais spécifiquement sur le sort des minorités chrétiennes dans ces pays, Olivier Chastel (NDLR : MR) a lu une réponse du ministre des Affaires étrangères de l’époque, Karel De Gucht (NDLR : Open VLD), qui réussissait le tour de force de ne pas prononcer une seule fois le mot  » chrétien « . Nous sommes dans une société où le clivage philosophique est important et certains oublient que la défense des minorités chrétiennes est une simple et grave question de droits de l’homme. Le sort de ces communautés présentes sur leurs terres depuis des siècles, parfois avant l’islam, est tragique. Il pourrait avoir des conséquences sur les relations interreligieuses en Europe, où la population sera de moins en moins encline à des solutions de vivre-ensemble si les minorités chrétiennes sont persécutées ailleurs. C’est notre propre avenir qui est en jeu.

Pour la Sûreté de l’Etat, le salafisme constitue un danger pour notre démocratie parce qu’il pousse les gens à vivre dans des sociétés séparées…

Ce risque existe, non seulement dans les pays majoritairement islamiques, où il détruit la diversité religieuse, mais aussi en Belgique. Il faut mettre les points sur les i : l’Arabie saoudite est un pays dangereux, même si c’est un grand partenaire commercial.

Comment envisagez-vous la lutte contre le radicalisme ?

Le Plan contre la radicalisation de la ministre de l’Intérieur, en discussion au gouvernement, évoque la détection plus précoce de la radicalisation, la prévention, la répression, la déradicalisation (NDLR : programme visant à réinsérer les extrémistes), la mise en place de contre-discours pour s’opposer aux discours radicaux qu’on trouve sur les réseaux sociaux, une plus grande implication des autorités locales, des normes pour les mosquées… J’ai été montré du doigt par Denis Ducarme parce que j’évoquais le rôle d’une mosquée dans l’envoi de combattants en Syrie mais j’ai reçu des confidences qui vont bel et bien dans ce sens. Il faudrait, par exemple, que les mosquées soient financées uniquement sur fonds belges, que les imams ne soient formés que dans des universités belges… Je connais, par exemple, un prédicateur dans une mosquée bruxelloise qui a été formé pendant huit ans en Arabie saoudite. Comment voulez-vous qu’il ne dispense pas un enseignement salafiste ? Ces mesures doivent être mises en oeuvre de toute urgence.

ENTRETIEN : MARIE-CÉCILE ROYEN

 » Heureusement, on n’est plus dans le déni de ces problèmes, comme du temps de Philippe Moureaux  »

 » Dans notre pays, 40 000 sunnites sont devenus chiites  »

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