Il était une fois en Italie

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Avec le saisissant Romanzo criminale, Michele Placido chronique l’ascension et la chute de jeunes bandits ambitieux, sur fond d’histoire italienne des années 1970

Les grandes sagas criminalo-politiques, traçant le portrait violent de gangsters parvenant au sommet du pouvoir par la force des armes, et illustrant à leur façon les dérives d’une certaine société, étaient depuis longtemps déjà l’apanage des grands réalisateurs italo-américains. Francis Coppola dans la formidable saga du Parrain (entamée en 1972), Brian De Palma dans son fulgurant remake de Scarface (1983) et Martin Scorsese dans l’ultra-réaliste Les Affranchis (1990) ont signé les sommets d’un genre qui eut pour point culminant le chef-d’£uvre de Sergio Leone Il était une fois en Amérique (1984). Italien travaillant aux Etats-Unis, Leone y signa ce film inoubliable tout comme son compatriote Francesco Rosi traversa l’Atlantique en 1973 pour y recréer de façon captivante la trajectoire de Lucky Luciano.

Ces films repassent dans nos têtes pendant que se déroule sous nos yeux l’excellent Romanzo criminale de Michele Placido. Acteur bien connu de films comme La Marche triomphale, Le Saut dans le vide ou Les Ailes de la colombe, celui qui passa derrière la caméra pour Pummaro, à la fin des années 1980, s’inscrit dans la tradition de ses glorieux aînés, mais en restant en Italie et en inscrivant sa chronique toute de bruit et de fureur dans l’histoire politique pas si lointaine des années dites de plomb. Certes, il n’a pas le flair visuel des grands cinéastes précités. Mais la force authentique de sa  » romance criminelle « , librement inspirée de faits réels et jouée par des comédiens épatants, offre au spectateur une expérience intense et en partie éclairante, à ne pas manquer.

Et les barbares prirent Rome…

Ils étaient quelques amis, mauvais garçons de méchants quartiers, herbes folles poussées sur un terreau de misère, de machisme, de cynisme et d’ambition matérielle. De petits voyous, ils voulurent devenir grands truands, et kidnappèrent (puis tuèrent) un riche bourgeois pour se donner les moyens d’un rêve qui allait tourner au cauchemar :  » Prendre Rome  » ! Investissant le magot de la rançon dans le trafic d’héroïne, terrorisant ensuite les caïds de la place et s’alliant à l’incontournable Mafia sicilienne, Dandy, le Froid, le Libanais et leurs complices allaient réussir leur coup. Au passage, ils allaient aussi nouer quelques contacts avec certaines officines des bas-fonds clandestins du pouvoir politique, et chercher des complices dans le  » milieu  » pour accomplir leurs plus basses besognes. C’est ainsi que l’attentat meurtrier contre la gare de Bologne, l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro s’inscrivent dans la trame violente et dramatique de Romanzo criminale.

Solidement adapté du roman éponyme de Giancarlo De Cataldo (éd. Métailié) par un Michele Placido saisissant son sujet à plein corps dans une approche on ne peut plus physique, le film nous entraîne dans une captivante plongée dans les entrailles d’un univers glauque et ambigu. Dans l’Italie que défie et défigure la petite bande de malfrats de fiction inspirée par celle – bien réelle – de la Magliana, la pègre et les services secrets, l’extrême droite et l’extrême gauche terroristes font parfois plus que se frôler. Fantasmes ou réalités, les implications dessinées par Romanzo criminale engendrent une vision très sombre d’un pays à l’heure des années de plomb. Des années qui recouvrirent de désespérants nuages les derniers accents de la dolce vita façon sixties. Ce regard dur et rétrospectivement horrifié, auquel la Belgique des tueurs du Brabant wallon et du meurtre d’André Cools ne saurait rester insensible, s’appuie sur l’interprétation remarquable de jeunes acteurs comme Kim Rossi Stuart, Pierfranco Favino et Claudio Santamaria, tous auteurs de performances marquantes.

Louis Danvers

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