Il était la révolution, une fois…

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Corneliu Porumboiu évoque avec humour le souvenir du renversement de Ceausescu, dans un 12 : 08 East of Bucharest renouant avec la meilleure comédie politique est-européenne

Le jury de la Caméra d’or récompensant le meilleur premier film présenté au Festival de Cannes ne s’est pas trompé en accordant le dernier trophée en date à Cornelu Porumboiu pour son irrésistible 12 : 08 East of Bucharest. Le jeune réalisateur roumain y renoue avec la meilleure tradition de la comédie politique est-européenne, telle que la pratiquait par exemple Milos Forman en Tchécoslovaquie, à l’époque du communisme. Le trait d’humour assassin, la verve satirique aiguisée, notre homme les possède d’évidence, avec un supplément d’humanité dû au fait qu’il aime ses personnages, fussent-ils bourrés de défauts. Eminemment critique mais jamais misanthrope donc, 12 : 08 East of Bucharest s’interroge avec humour sur la manière dont les habitants d’une petite ville roumaine vécurent la chute du dictateur Ceausescu, et plus précisément cette journée fatidique du 22 décembre 1989 où tout bascula. Le propriétaire et animateur d’une chaîne de télévision régionale y a l’idée de réunir en direct, face à la caméra, deux acteurs prétendument héroïques de l’assaut mené à l’époque contre la mairie, ultime symbole du pouvoir vacillant. Les révolutionnaires étant amenés pour l’occasion à évoquer des souvenirs peut-être moins glorieux qu’ils ne l’ont affirmé. De nombreux téléspectateurs intervenant dans l’émission par téléphone ne se priveront guère, en effet, de contester la mémoire des héros, soupçonnés d’avoir attendu l’annonce de la fin du régime pour se manifester, qui plus est dans un état d’ébriété avancé…

D’évidence, 12 : 08 East of Bucharest ne se borne pas à creuser le terreau d’un microcosme provincial, et son invitation à l’autocritique s’étend à l’ensemble d’une société roumaine où la portée de la révolution est encore aujourd’hui, dix-sept ans après les faits, sujette à polémique.  » J’avais 14 ans à l’époque, se souvient Cornelu Porumboiu, et je jouais dehors au tennis de table quand mes parents m’ont appelé, à midi huit, pour voir, à la télévision, la fuite de Ceausescu. Tout le monde était rivé au petit écran et, pour beaucoup de Roumains, c’est à travers la télévision que la révolution a eu lieu. Ils ne sont descendus dans la rue qu’une fois le chef du régime chassé du pouvoir…  »

Sens épanoui de l’absurde

L’idée de son film, le jeune réalisateur l’a conçue à la vision d’un débat télévisé, dans sa ville natale de Vaslui.  » Trois personnes s’y disputaient pour savoir comment s’étaient déroulés les événements, et si oui ou non notre ville avait réellement participé à la révolution. J’ai commencé à écrire une ébauche de scénario et, au bout d’un mois seulement, à ma grande surprise, j’avais terminé. Il me fallait dès lors très vite tourner ce film, tant j’étais devenu impatient de m’y confronter…  »

Autofinancé et doté d’un budget minuscule, 12 : 08 East of Bucharest s’attache à trois personnages principaux : le directeur de la station de télé, un professeur d’histoire alcoolique, et un vieux retraité, Père Noël d’occasion. Précédée d’un prologue déjà fort savoureux, la séquence de l’émission proprement dite est un pur régal de comique décalé, paradoxal, alliant réalisme minimaliste et sens épanoui de l’absurde.  » Mon humour est probablement lié à mon profond fatalisme « , sourit Cornelu Porumboiu qui affirme ne pas avoir voulu apporter de réponse, mais seulement poser de bonnes questions.  » Je ne serai jamais un juge « , conclut celui dont le  » petit film localiste  » fait aujourd’hui le tour du monde… pour notre plus grand plaisir.

Louis Danvers

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