Idi Amin Dada

En 2003, l’ex-président de l’Ouganda Idi Amin Dada disparaît dans son exil doré, en Arabie saoudite. En réalité, il est mort une première fois en 1979, après sa fuite piteuse. Et depuis plus longtemps encore, les bouffonneries de ce soudard inculte et sanguinaire ne font plus rire. A commencer par son peuple, sa première victime.

L e 16 août 2003, Son Excellence le conquérant de l’Empire britannique, le maréchal-docteur Idi Amin Dada,  » plus grand chef d’Etat du monde  » et  » dernier roi d’Ecosse  » autoproclamé, président à vie de la république d’Ouganda, commandant en chef des forces armées, président du conseil de la police et des prisons, etc., s’éteint à 80 ans environ, après plusieurs semaines de coma à l’hôpital du Roi-Fayçal de Djedda. Il laisse derrière lui 4 femmes et 48 enfants reconnus.

L’ancien homme fort de Kampala avait quémandé auprès des autorités de son pays natal le droit de revenir y mourir après vingt-quatre ans d’exil. En vain. Le tyran, responsable selon Amnesty International du massacre de 300 000 Ougandais (sur une population de 10 millions d’habitants à l’époque) et du chagrin de 800 000 orphelins, doit  » expier ses péchés  » ou  » être jugé pour ses atrocités « , lui avait répondu en forme de non-recevoir le chef du gouvernement, Yoweri Museveni.

Surnommé  » Ubu noir « , il n’a rien d’un clown !

Acteur burlesque involontaire du documentaire de Barbet Schroeder ( Général Idi Amin Dada, 1974), personnage tragique interprété par le génial Forest Whitaker dans Le Dernier Roi d’Ecosse (2006), de Kevin Macdonald, Idi Amin Dada incarne jusqu’à la caricature le drame de l’Afrique  » mal partie  » : indépendances confisquées par des dictateurs ; conflits tribaux exacerbés ; faillites économiques d’anciennes régions prospères ; aveuglement de l’idéologie tiers-mondiste – l’historien Jean Chesneaux ne célèbre-t-il pas  » le génie de la dérision  » du chef d’Etat ougandaisà ? Mais là où Amin Dada surpasse ses pairs, c’est dans les frasques et les petites phrases , qui lui valent le surnom d' » Ubu noir « . Hélas, le maître de Kampala n’a rien d’un clown. C’est un psychopathe qui n’a de cesse de dévorer ses propres enfants, son peuple.

Sa première arme, c’est un culot sans bornes. Qui d’autre que lui aurait osé s’adresser avec une telle goujaterie à Elisabeth II ?  » Ma chère Reine, j’aimerais que vous arrangiez pour moi une visite de l’Ecosse, de l’Irlande et du pays de Galles pour me permettre de rencontrer les chefs des mouvements révolutionnaires qui combattent votre oppression impérialiste.  » Ce jour-là, l’ancien engagé du 4e bataillon du King’s African Rifles, troupe coloniale britannique de l’Afrique orientale, prend sa revanche sur l’ancien colon qui l’acceptait pour son gabarit de première ligne dans les équipes de rugby, mais lui interdisait l’accès au club pour la troisième mi-temps. Parce que noir.

Pendant plus de quinze ans, Idi Amin Dada aura été un bon supplétif de Sa Gracieuse Majesté. Aide-cuisinier, puis soldat d’active, il commet ses premiers crimes dans l’écrasement de l’insurrection nationaliste des Mau-Mau, au Kenya voisin, en 1952. De retour en Ouganda, il participe à la répression dans le Karamoja, dans le nord-est du pays, toujours sur ordre du colonisateur. Sa spécialité : trancher d’un coup de machette le pénis des frondeurs. Malgré son zèle, ce colosse – molosse ? – de 120 kilos pour 1,90 mètre ne dépasse pas le grade de sergent-chef, le plus élevé décerné à un indigène par l’armée britannique. Faute d’opérations militaires, le tirailleur s’entraîne sur les rings, où il excelle. Il est neuf fois champion de son pays dans la catégorie poids lourds.

L’indépendance de 1962 est un formidable ascenseur social. Appuyé par le Premier ministre et futur chef d’Etat Milton Obote, le soudard inculte devient en quelques années général, puis chef d’état-major. Les deux hommes s’entendent comme larrons en foire. Le trafic d’armes organisé au profit de rebelles congolais leur vaut le surnom de  » jumeaux à la poudre d’or « . Jumeaux ou crocodiles ? L’un des deux est de trop dans le marigot. Profitant d’un voyage du président à une conférence du Commonwealth, à Singapour, le général prend le pouvoir, le 25 janvier 1971. Sans effusion de sang. La population acclame ce soldat débonnaire qui libère les prisonniers politiques et promet des élections. Les milieux d’affaires se félicitent de voir s’éloigner les mesures  » socialistes  » promises par Obote. Et l’ex-puissance coloniale pense pouvoir manier à sa guise celui qu’un de ses anciens officiers avait qualifié de  » splendid chap « ,  » plutôt faible en matière grise « .

Tous déchantent très vite. A commencer par les opposants, systématiquement passés par les armes ou torturés à mort dans les sous-sols du State Research Bureau, la police politique, dominée par les Kakwas – l’ethnie du nord du pays, celle du président – et les  » Nubiens « , descendants des supplétifs soudanais de l’armée britannique. Les médecins, professeurs, hauts fonctionnaires, hommes d’Eglise sont liquidés en priorité, mais les proches du dictateur ne sont pas à l’abri, en particulier ses épouses, démembrées en cas d’infidélité supposée ou réelle.

Vengé des ex-colons britanniques, vengé des tribus du Sud, qui fournissent les élites du pays, l’ancien gardien de chèvres règle – sur un ordre de Dieu apparu en songe – leur sort aux 50 000 Indiens et Pakistanais détenteurs de la totalité du commerce et d’une bonne moitié de l’industrie : la valise ou le cercueil dans les trois mois. Nom de l’opération : Mafuta mingi,  » beaucoup de fric  » en français. La mesure est aussi populaire que catastrophique. En quelques années, la  » perle de l’Afrique  » (Winston Churchill), l’ex-colonie modèle productrice de café, de thé et de canne à sucre, dotée d’usines et de centrales hydroélectriques, devient exsangue. En 1978, l’inflation explose et la misère progresse à grands pas.

Chaque fois qu’il est en difficulté en Ouganda, Idi Amin Dada s’aventure à l’extérieur. Classique. Coupé de ses anciens alliés britanniques, américains, israéliens et se souvenant de sa foi musulmane – dans un pays à 95 % chrétien -, il sollicite l’appui et les pétrodollars de Kadhafi et s’enflamme pour la cause palestinienne. En juillet 1975, il accueille à Kampala la conférence de l’Organisation pour l’unité africaine (OUA), qu’il préside pour un an. Son triomphe est de courte durée. En 1976, il vit une terrible humiliation : la libération des otages d’un avion d’Air France, détourné par des Palestiniens et accueilli par les autorités ougandaises à l’aéroport d’Entebbe, par un commando de l’armée israélienne. A sa tête, le lieutenant-colonel Jonathan Netanyahou – philosophe de formation et frère aîné du futur Premier ministre de l’Etat hébreu, seule victime israélienne de l’opération.

La situation de l’Ouganda ne cesse de se détériorer, entre pénurie et exécutions. En octobre 1978, le tyran joue son va-tout en lançant un raid en Tanzanie, pour reprendre la Kagera, un lopin de terre confisqué lors de la décolonisation et du tracé des frontières. L’armée de son ennemi juré, Julius Nyerere – le seul dirigeant africain qui le traite de  » fasciste noir  » -, lance une contre-offensive victorieuse. Le 11 avril 1979, l’ogre de Kampala prend la fuite. Après une escale à Tripoli, il est finalement accueilli, nourri et blanchi par l’Arabie saoudite.

 » Je n’ai pas de remords, juste de la nostalgie « 

En 1997, le journaliste italien Riccardo Ozio rencontre l’ex-dictateur chez lui, à Djedda. Quelques minutes à peine : les autorités astreignent leur invité à un devoir de réserve.  » Je suis un bon musulman. Tout ce qui m’intéresse aujourd’hui est en rapport avec l’islam « , confie le dictateur déchu. Il récite le Coran, mais il joue aussi de l’accordéon, nage et pêche en mer Rouge. Chaque jour ou presque, vêtu d’une djellaba blanche et de grandes bottes, une calotte vissée sur le chef, il conduit sa Cadillac jusqu’à l’aéroport. Il prend livraison des sacs de manioc, de mil et de bananes vertes envoyés par des amis pour la préparation du matoke, le plat national ougandais.  » Je n’ai pas de remords, juste de la nostalgie « , précise-t-il. Le reste du temps, il regarde les actualités et les émissions sportives à la télévision. Il prend ses repas dans les grands hôtels internationaux, où il est un habitué des salons de massage. Il se félicite de mener  » une vie paisible « , mais il s’inquiète de sa virilité déclinante. Il tente de la ranimer en absorbant jusqu’à 30 oranges par jour. Son inclination pour les agrumes lui vaut le surnom de  » Docteur Jaffa « . Il aurait pu l’ajouter à l’impressionnante liste de titres et de distinctions – y compris la médaille des moniteurs de ski suisses – qu’il ne se lasse pas d’exhiber.

EMMANUEL HECHT

A PROPOS DE NIXONA  » son cadet « , Amin Dada propose de venir en Ouganda pour  » se remettre des affaires du Watergate « . 1976

A PROPOS DE HITLER » Hitler et tout le peuple allemand savaient que les Israélites ne sont pas interessés par ce qui peut arriver à l’humanité, et c’est pour cela qu’ils les ont envoyés dans les chambres à gaz.  » 1972

A PROPOS DES DROITS DE L’HOMME » Depuis que je suis parti, les droits de l’homme ne sont plus respectés en Ouganda.  » 1982 LE RÈGNE DE SON SUCCESSEUR (ET PRÉDÉCESSEUR), MILTON OBOTE, FUT, IL EST VRAI, SANGLANT.

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