Huppert kinétique

L’actrice illumine le nouveau film de Mia Hansen-Love et témoigne d’une curiosité toujours aussi aiguisée, qui la conduira prochainement devant la caméra du cinéaste belge Bavo Defurne.

Par un curieux effet miroir, Asphalte, le dernier film de Samuel Benchetrit, confrontait, le temps d’une scène mémorable, Isabelle Huppert à son image dans La dentellière, le drame de Claude Goretta qui la révélait en 1976. Entre les deux, quarante ans d’une prodigieuse carrière se déclinant en une filmographie-voyage ayant arpenté jusqu’au moindre recoin de la planète cinéma, et au-delà. Ainsi, l’actrice a-t-elle pour l’heure une double actualité : sur les planches d’une part, où elle joue trois Phèdre(s) au théâtre de l’Odéon, à Paris, dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski, avec qui elle avait déjà monté Un tramway, d’après Tennessee Williams ; à l’écran, d’autre part, où sa présence illumine L’avenir, le nouveau film de Mia Hansen-Love, réalisatrice, entre autres, d’Un amour de jeunesse.

Réactive à la beauté

On a beau l’avoir vue dans des films par dizaines, Isabelle Huppert réussit toujours à étonner, qu’elle arpente, tout récemment, l’imaginaire cinéphile en compagnie de Gérard Depardieu dans Valley of Love, de Guillaume Nicloux, ou qu’elle expédie dans la foulée le Louder than Bombs de Joachim Trier dans la stratosphère par la grâce d’un gros plan irriguant son mystère. L’avenir la distribue aujourd’hui sous les traits de Nathalie, une philosophe d’âge mûr confrontée au choc de la séparation et à la perspective de la solitude.  » Je n’ai pas hésité un instant à la lecture du scénario. On n’a pas si souvent l’occasion de faire le portrait d’une intellectuelle. Ce genre de personnage ne se retrouve guère dans les films, et en tout cas pas sous un jour si attrayant. Tant de gens semblent considérer que les intellectuels sont des gens à abattre (rire), mais on peut être intellectuelle, charmante, et faire la vaisselle. Mia Hansen-Love a eu l’intelligence de s’élever contre les catégorisations stupides et de ne pas la réduire à une caricature. La façon dont Nathalie envisage les livres et la philosophie la rend aussi très réactive à la beauté, aux sensations et à la transmission. Elle n’est pas qu’une philosophe isolée dans sa tour d’ivoire, elle enseigne et est connectée à la réalité des gens, et doit composer avec les circonstances de la vie. J’y ai vu un personnage formidable, en raison de sa multiplicité. C’est vraiment le genre de rôle où une comédienne peut s’épanouir.  »

Isabelle Huppert l’embrasse avec autorité mais aussi ce qu’il faut d’ironie. Elle assortit cette dernière d’un mélange de détermination discrètement farouche et de douceur, une qualité qu’on ne la voit plus guère explorer à l’écran.  » Mia m’y a incitée, et j’ai été ravie d’aller dans cette direction. D’instinct, je ne l’aurais peut-être pas rendue aussi douce, mais je pense que cela apporte au film, comme au personnage, une part de légèreté, ainsi qu’une dimension optimiste. Après tout, ce film s’intitule L’avenir, un titre tellement beau, laissant entendre que ce futur soit ouvert…  » De là à partager la philosophie de son personnage ?  » Disons que j’ai tendance à voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Antonioni a dit que tous les films étaient des autoportraits, et je pense que tous les rôles en sont, en un sens, la plupart en tout cas.  »

Mouvement paradoxal

Privilège d’une comédienne à la curiosité toujours aiguisée, le sien, d’avenir, fourmille de projets. Le temps, à l’évidence, n’a pas entamé son envie, et Isabelle Huppert continue à enquiller trois, quatre, cinq films par an sans craindre apparemment la lassitude.  » Ce sont des films fort différents, et il s’agit parfois de simples participations « , observe celle que l’on a vu se multiplier ces dernières années sur les terrains les plus divers, en effet, de la comédie décalée comme le Tip Top de Serge Bozon au drame pudique à la Amour de Michael Haneke ; de la Corée de Hong Sang-soo pour In Another Country, à l’Amérique de Ned Benson dans The Disappearance of Eleanor Rigby.  » Le pays du cinéma est immense, et j’ai toujours aimé aller un peu partout. Mais cela n’a rien d’expériences exotiques pour autant. Que l’on aille en Corée ou plus loin encore, on se retrouve dans un environnement familier parce que c’est le pays du cinéma. C’est lointain et proche à la fois. En un curieux mouvement paradoxal, aussi loin que l’on aille, on reste toujours chez soi.  » Et même avec soi, à l’en croire :  » Chaque fois que je tourne, j’ai l’occasion de me retrouver seule. Faire un film est un travail collectif, bien plus qu’écrire par exemple, mais on peut facilement créer sa petite île de solitude. Et c’est la meilleure façon d’être seule, parce qu’on l’est sans l’être…  »

Excellente intuition

Les prochains mois la verront donc à l’affiche de Tout de suite maintenant, de Pascal Bonitzer, et d’Elle, du réalisateur néerlandais Paul Verhoeven :  » Je connais tous ses films depuis Turkish délices, que j’ai vu quand j’étais encore étudiante. C’est l’un de mes films préférés de tous les temps ; si on m’avait dit à l’époque que je travaillerais un jour avec lui !  » s’enthousiasme-t-elle. Après quoi, ce seront Serge Bozon, à nouveau, pour Madame Hyde, et puis Michael Haneke, qu’elle rejoindra pour un quatrième film en commun, Happy End –  » Un titre plutôt amusant pour lui « , une histoire de famille se déroulant dans le nord de la France.

Haneke, c’est, avec Benoît Jacquot et Claude Chabrol, l’un des piliers de sa filmographie. Une collaboration fructueuse –  » travailler avec Michael est exigeant mais facile, la meilleure configuration pour un comédien  » – qui aurait pu avorter avant même d’avoir commencé puisque l’actrice avait refusé à l’époque de jouer dans Funny Games.  » Ce film tenait surtout de l’expérience : il voulait le tourner pour éclairer l’exploitation de la violence à l’écran, et les acteurs n’étaient plus des personnages, ils se trouvaient placés dans des situations tellement réelles qu’il n’y avait plus de place pour l’imagination. Or, cette dernière est le carburant principal pour un comédien. Je n’ai donc pas souhaité faire le film. Mais Michael n’est pas le genre à se formaliser d’un refus.  »

Tourné trois ans plus tard, La pianiste en apportera la démonstration, valant à Isabelle Huppert le prix d’interprétation à Cannes, l’un des temps forts d’une carrière qui en compte de nombreux. A croire qu’elle jouit d’un sixième sens qui la met à l’abri des mauvais choix. Elle préfère évoquer sa chance d’être dans le radar des réalisateurs :  » Il n’y a pas de grand mérite à décider de travailler avec Michael Haneke ou Paul Verhoeven, leur talent est indiscutable. Pourquoi devrais-je me poser des questions ?  » Tout au plus concède-t-elle avoir une  » excellente intuition  » quand il s’agit de débusquer ces cinéastes (quasi) débutants avec qui elle travaille régulièrement, manière de toujours se réinventer et de rester dans ce mouvement qui est aussi le nerf de sa longévité, Alexandra Leclère pour Les soeurs fâchées, Ursula Meier pour Home ou encore Joachim Lafosse pour Nue propriété. Une liste à laquelle s’est ajouté dernièrement Bavo Defurne, le jeune réalisateur belge de Noordzee, Texas, dont elle vient de terminer le second long-métrage, Souvenir.  » Je suis enchantée d’avoir fait ce film. Comme chez la plupart des artistes flamands, dans la danse ou dans la mode, on trouve chez lui un sens de la poésie et une façon de tourner le réalisme en quelque chose de peu réaliste. Je ne pense pas m’être trompée…  » En quoi elle est assurément digne de confiance.

Lire la critique de L’avenir et l’interview de Mia Hansen-Love dans Focus Vif, page 18.

Par Jean-François Pluijgers

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