Hun Sen s’accroche

Six mois après les législatives, le pays est enfermé dans une impasse et le Premier ministre semble céder à la violence politique pour se maintenir au pouvoir

A Phnom Penh, le matin du 22 janvier, Chea Vichea, 36 ans, lisait un quotidien près d’un étal de presse lorsqu’il s’est effondré, mortellement atteint de trois balles tirées par un inconnu, qui s’est enfui à l’arrière d’une moto sans être inquiété. A la tête d’un syndicat ouvrier indépendant, le plus important du Cambodge avec près de 40 000 adhérents, le jeune homme était révéré par tous ceux dont il défendait les droits sans relâche. Des milliers de travailleurs du textile, première industrie exportatrice du pays, ont suivi le cortège de ses funérailles. Ce meurtre alourdit la liste des assassinats, dont le roi Norodom Sihanouk dénonce le caractère  » indéniablement politique « , et la multiplication û flagrante depuis un an, avant et après les législatives de juillet 2003. Proche du parti royaliste (Funcinpec), Touch Sunnich, 24 ans, une star de la chanson, a, lui, survécu aux balles, mais il reste paralysé. Les tueurs, à une exception près, n’ont jamais été arrêtés ni traduits en justice. Toutes les victimes se situent dans la mouvance ou les rangs de l’opposition, tels ces trois représentants locaux du Parti de Sam Rainsy (PSR) abattus ce mois-ci. L’été dernier, sur l’écran de son téléphone portable, Chea Vichea avait reçu un message de mort û sans autre signature que le numéro de l’expéditeur. Vérification faite, il s’agissait d’un haut gradé de la police. Avant d’organiser la lutte dans les usines, Chea Vichea fut l’un des fondateurs, avec Sam Rainsy, du Parti de la nation khmère, rebaptisé PSR après le coup d’Etat de 1997.

Cette recrudescence de meurtres intervient sur fond de crise politique aiguë. Six mois après les législatives, le pays n’a toujours pas de gouvernement. Héritier du système totalitaire des années 1980, le Parti du peuple cambodgien (PPC), qui soutient le Premier ministre, Hun Sen, garde une forte emprise sur l’électorat, mais sans majorité suffisante pour former seul l’exécutif. Il lui faut un partenaire. Jusqu’en 2003, bon gré, mal gré, les royalistes se sont montrés dociles. Atterrés, la fraude aidant, par l’érosion de leur audience, ils ont désormais rejoint le PSR, fer de lance de l’opposition, au sein de l’Alliance des Démocrates (AD), formée en août 2003 û qui dispose de 50 sièges à l’Assemblée contre 73 pour le PPC.

Au pouvoir depuis bientôt vingt ans, Hun Sen entend s’y maintenir. Mais, selon la règle en vigueur, sa candidature au poste de Premier ministre doit être approuvée par les deux tiers des députés. Il se trouve donc dans l’impasse. Un temps sceptiques sur la cohésion de l’Alliance, les observateurs ont constaté qu’elle tenait bon. Malgré les pressions et les tentatives de corruption. En décembre 2003, selon l’organisation indépendante Khmer Intelligence, Hun Sen aurait chargé deux ministres royalistes du gouvernement sortant d’offrir 30 millions de dollars au prince Norodom Ranariddh, président du Funcinpec, en échange de son ralliement à une coalition avec le PPC. Peine perdue. Le roi lui-même a tenté de pousser les  » démocrates matamores  » au compromis. Le 19 janvier, il a quitté Phnom Penh pour un traitement médical de plusieurs mois à Pékin.

Jusqu’ici, Hun Sen a concédé le principe d’un gouvernement tripartite, en exigeant d’en rester le chef.  » Nous sommes opposés non à sa personne, mais à ce qu’il représente en termes de mauvaise gouvernance « , explique une élue du PSR. Préalable à toute discussion, l’Alliance réclame des garanties précises en faveur des réformes : justice, loi électorale, lutte contre la corruptionà Elle attend des clarifications, que le pouvoir renâcle à fournir, sur l’immigration illégale et les traités frontaliers inégaux imposés par le Vietnam au temps de l’occupation.

Compte à rebours : si le Cambodge veut accéder à l’Organisation mondiale du commerce, il a jusqu’au 11 mars pour ratifier son adhésion. Encore faut-il qu’il sorte de l’impasse. Au-delà, sans avoir formé un gouvernement, comment pourrait-il prétendre à l’aide des pays donateurs, qui lui fournissent près de la moitié de son budget ? Signe de restriction, l’allocation mensuelle de 800 dollars versée aux épouses d’ambassadeur vient d’être supprimée, mais, officiellement, cela n’aurait  » aucun rapport  » avec la crise en cours.

Au lendemain des obsèques de Chea Vichea, un militant royaliste a été assassiné. Incapable de concevoir un compromis démocratique, le régime, comme par le passé, recourt à la terreur pour éliminer ses opposants.

Sylvaine Pasquier

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