HOLLANDE – VALLS QUI TUERA L’AUTRE ?

Entre le président, qui semble décidé à se présenter envers et contre tout, et le Premier ministre, qui multiplie les transgressions, l’affrontement a viré à l’inédit. Un couple exécutif, ça ne devrait pas faire ça…

Il faut que l’heure soit grave pour qu’on se décide à réveiller le président. C’est Julien Dray, l’ami et le confident, qui s’en charge, dans la nuit du 24 au 25 novembre. Il compose le numéro du portable de François Hollande.  » Manuel Valls sort, demain, une interview dans Paris-Normandie, où il tape fort sur toi.  » Un entretien où le Premier ministre français pointe le  » défi d’incarnation et de vision  » et la nécessité d’un débat collectif pour la candidature à la présidentielle… Le chef de l’Etat, à qui le travail de sape du locataire de Matignon pour le faire reculer depuis quelques semaines n’a pas échappé, marmonne :  » Ouais… et alors ?  » Le président n’est plus à une mauvaise nouvelle près. Mieux vaut se rendormir. La nuit porte conseil.

Quelqu’un l’aura-t-il réveillé, deux jours après seulement, dans la nuit du 26 au 27, pour l’avertir que son Premier ministre montait encore d’un cran ? Dans Le Journal du dimanche, cette fois, Manuel Valls, qui a délaissé l’impératif de loyauté pour le devoir de franchise, n’exclut même plus de se présenter à la primaire contre le président. Jusque tard dans la soirée du 26, François Hollande, en déplacement à Madagascar, avait devisé à messes basses à la résidence de France, où il était hébergé. Une présidentielle, ça se prépare partout, tout le temps, même dans les fauteuils club d’une maison du bout du monde… Le lendemain, et malgré la transgression inédite de son Premier ministre dans le JDD, le chef de l’Etat ne paraissait pas plus abattu que cela.  » C’est le chaos. Mais François Hollande est persuadé qu’une des choses qu’il sait le mieux faire, c’est se replacer dans le chaos « , souffle un compagnon de route.

Le chaos. La capilotade. La chienlit. Comment a-t-on pu en arriver là ? Même s’il a depuis mis beaucoup d’eau dans sa ciguë – en faisant dire qu’il écartait toute confrontation avec l’hôte de l’Elysée -, comment un Premier ministre peut-il envisager de se présenter contre son président ? La situation – une première sous la Ve République française, hors cohabitation – en dit long sur l’autorité chancelante du chef de l’Etat, et plus seulement auprès de l’opinion publique (où il est tombé à 9 % d’intentions de vote aux derniers pointages).

 » De manière objective, le président est politiquement « empêché ». Il l’est par sa faiblesse insigne dans l’opinion publique, qui traduit une rupture irréversible avec les Français, analyse l’ex-conseiller élyséen Aquilino Morelle, congédié en 2014 après la parution d’un article dans Mediapart. Qui plus est, son livre de confidences,  » Un président ne devrait pas dire ça…  » de Gérard Davet et Fabrice Lhomme (Stock), a créé un choc dans le pays, mais surtout au sein même de son carré de fidèles, dont plusieurs membres importants plaident désormais pour qu’il renonce. Mais, quelle que soit la situation politique, François Hollande considère que cette décision lui appartient exclusivement. Et il la prendra sur des critères exclusivement personnels.  »

Face à cet indifférent en chef, Manuel Valls ne ménage ni les coups de pression ni les coups de menton. Le Premier ministre, qui a fait de son os mandibulaire l’incarnation de son autorité, multiplie les interviews transgressives et les déplacements pyromanes. A Rouen, le 25 novembre, dans la ville natale du président, il avait convié une douzaine de responsables locaux du PS au restaurant de l’hôtel Mercure. Il y avait là des députés, le premier secrétaire fédéral, des conseillers départementaux. Le déjeuner tourne vite au canardage. L’un des convives lâche :  » On peut dire tout ce qu’on veut aux gens, plus personne n’écoute dès qu’il est question de François Hollande. Il y a un problème d’émetteur.  » Un autre :  » Le président va prendre sa décision seul, c’est préoccupant.  » Un troisième renchérit :  » Si c’est un frondeur qui l’emporte dans la désignation, comment va-t-on défendre notre bilan ?  » Manuel Valls, qui ne s’attendait pas à un tel accueil, boit du petit-lait.

C’est peu dire que, pour la garde rapprochée du président, novembre 2016 restera un mauvais souvenir. Le chef de l’Etat est plus mutique que jamais à l’approche des échéances.  » Tout le monde lui met dans la tête que ça va être dur, et il en devient fébrile, déchiffre un historique. Ses conseillers sont fragiles. Son Premier ministre veut le fracasser du matin jusqu’au soir. Ses ministres arrivent avec des mines de chien battu. Sa famille n’est pas exaltée par l’idée d’une campagne, qui peut laisser des traces.  »  » Il a toujours dit qu’il pouvait renoncer, si les conditions n’étaient pas réunies « , ajoute un soutien. Mise en scène d’une introspection de façade, destinée à camper un futur candidat obnubilé avant tout par la conduite de l’Etat, ou vrai dilemme ? Une chose est sûre : depuis l’été, un nombre incalculable de réunions publiques, de projets d’appels et de déplacements ont été planifiés, organisés, puis… annulés in extremis par le chef de l’Etat. Comme si le doute s’était puissamment installé au sommet de l’exécutif français.  » Dès qu’on l’amène sur une pente irrévocable, il bloque tout « , note un proche. Et d’ajouter :  » Penser qu’il y a un plan prêt à l’emploi pour 2017 et une équipe constituée pour se lancer dans la présidentielle est un mythe.  »

Ce président, si exigeant avec les autres, caracole dans le flou quand il s’agit de la trame de sa campagne

Tout le cabinet élyséen est désormais sollicité pour la rédaction de discours, dont le destin est de finir bien souvent à la poubelle. Hollande n’est pas tendre avec les auteurs, à qui ses secrétaires renvoient les textes annotés de la main du président. Dans la marge, on peut lire des appréciations agacées, comme celles d’un professeur tatillon. La plus redoutée :  » Tout est à reprendre « … Ce président, si exigeant avec les autres, caracole dans le flou quand il s’agit de la trame de sa campagne. Derrière les interrogations liées à son impopularité se cache une méthode bien particulière, rodée au fil de sa carrière. C’est ce que François Hollande appelle, selon son expression favorite,  » laisser dégorger les escargots « . En clair : cacher son jeu, brouiller les pistes, et attendre jusqu’au dernier moment pour pousser ses rivaux à sortir de leur silence, à abattre leurs cartes. Voire à s’épuiser. Nous y voilà.

 » Manuel Valls fait tout ce qu’il peut pour empêcher le président de se présenter, et il a raison, estime Aquilino Morelle. Il fait pression de toute part sur lui, mais quand vous faites pression sur un édredon, le seul résultat que vous obteniez, c’est de s’enfoncer. Reste toujours au Premier ministre l’arme de dissuasion massive – et nous saurons rapidement ce qu’il en est. Mais l’essentiel pour Manuel Valls est ailleurs : prendre à témoin les Français de sa prise de distance avec le président.  »

Roi de l’esquive, François Hollande met hors de lui l’entourage du Premier ministre.  » Les fondamentaux de François Hollande sont mauvais, pour ne pas dire exécrables. Mais pourquoi s’encombrer des faits, quand on passe son temps à reconstruire la réalité en fonction de ce qui vous arrange ? se désespère un proche de Manuel Valls. Au départ, le président avait choisi Nicolas Sarkozy comme meilleur adversaire. Puis, quand il a été à peu près sûr que Sarko serait sorti, François Hollande a fait dire qu’Alain Juppé, c’était finalement plus favorable. Et maintenant, il prétend qu’en termes d’adversaire stratégique, mieux que Fillon tu meurs !  » Après la parution du fameux livre, Manuel Valls, ulcéré, s’est répandu à l’envi auprès de ses amis sur  » le déni  » du président, incapable de reconnaître les ravages causés par l’ouvrage.

Ouais, et alors ?, comme dirait l’intéressé…  » Pourquoi les journalistes, prompts à s’en prendre au chef de l’Etat, oublient toujours de souligner que le Premier ministre a longuement reçu à son domicile, et à plusieurs reprises, les deux enquêteurs du Monde, auteurs du livre ? Dans le bouquin, 19 pages sont tirées de ces entretiens…  » glissent les grognards hollandais à la presse. Dans le dernier carré, on affûte les armes.  » Valls ne comprend que les coups de pied dans la gueule « , lâche un parlementaire. Parallèlement, on active les soutiens potentiels. Signe des temps : Martine Aubry est chouchoutée.  » C’est une femme d’Etat, qui a exprimé, certes, des critiques envers la politique menée, mais qui sait l’importance du rassemblement « , apprécie le député Kader Arif. Autour du président, trois hommes clés se sont rapprochés, pour former une sorte de bouclier protecteur. Ils ont reconstitué l’équipe qu’ils formaient à Solferino pour conseiller l’ancien premier secrétaire lors des congrès socialistes : le stratège Julien Dray, le fidèle parmi les fidèles, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, et le maire de Dijon et homme de réseaux, François Rebsamen.

Dans le dernier carré des fidèles, on n’a pas de mots assez durs contre  » M. Loyal devenu Brutus  » ni contre les déserteurs, tels que le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui, le 26 novembre, a lancé devant ses camarades estomaqués l’idée d’une primaire opposant le président Hollande et son Premier ministre.  » Manuel Valls accélère, car il a bien compris, comme tout le monde, qu’il y a un espace politique depuis la victoire de François Fillon, plus libéral et conservateur « , commente un soutien de François Hollande.

Le Premier ministre, qui tient à sa stature d’homme d’Etat, sait qu’aller trop loin le mue en félon

Chacun exploite les failles de l’autre. François Hollande sait jouer sur l’ambition crispée du Premier ministre. Lequel connaît la peur de trancher de son président. Mais chacun, dans ce tandem qui aura tenu sans craqueler pendant deux ans et demi, est miné par ses propres failles. Le Corrézien est obsédé à l’idée de laisser une trace dans l’histoire et ne veut pas passer pour le président qui aura été éliminé honteusement. Quant au Premier ministre, qui tient à sa stature d’homme d’Etat, il sait qu’aller trop loin le mue en félon…  » Il déteste Emmanuel Macron, car celui-ci a fait ce qu’il rêve en fait de faire : trahir « , balance un proche du président. Et reprendre sa liberté. Attendre passivement une défaite risque, en effet, de coûter cher au locataire de Matignon. Car la bataille de l’après-2017 est déjà lancée.  » Manuel sera replié sur sa circonscription en Essonne, sans grands moyens pour faire de la politique, pendant qu’Anne Hidalgo, à la tête d’une armée de collaborateurs à la mairie de Paris, pourra préparer la suite « , s’inquiète un parlementaire vallsiste.

La situation semble à la fois explosive et enlisée. Autour de François Hollande, certains – comme le commissaire européen Pierre Moscovici – suggèrent d’enterrer cette fichue primaire, recroquevillée sur le PS (même le Parti radical de gauche (PRG) annonce la candidature autonome de l’ancienne ministre Sylvia Pinel) ou de ne pas y participer. Tout le monde n’est pas convaincu.  » Cette solution serait plus coûteuse que d’affronter la primaire « , estime un proche du président, qui craint que ce soit interprété comme un refus d’obstacle. Reste une autre option, le tabou suprême : renoncer. Une expérience de la frustration qu’il a déjà connue.

C’était en 2006. L’envolée de Ségolène Royal dans les sondages et dans le parti cloue au sol le premier secrétaire.  » Elle avait la faveur de l’opinion, écrira-t-il. Je me suis effacé sans aucune réserve.  » Autres temps… Certains, enfin, lui recommandent une campagne éclair pour la désignation, à arpenter des salles de 200 places, en se livrant à un seul débat télévisé – celui de l’entre-deux-tours, à la fin de janvier.  » Putain, si on gagne la primaire et la présidentielle, on va rester dans les livres d’histoire pendant cinquante ans « , se motivent les hollandais.

Le président ne peut renouer la confiance des Français que s’il reconnaît, au moins, quelques erreurs. Un exercice qu’il déteste. Au fil des livres de confidences auxquels il s’est prêté, avec le succès qu’on connaît, le chef de l’Etat aura plus épaissi le mystère autour de son action qu’éclairci ses ressorts intimes, ses convictions. Dans Changer de destin, le livre publié pendant la campagne victorieuse de 2012, il s’était raconté (déjà), en se plaçant sous le signe de Montaigne. Qu’il citait, dès les premières pages :  » Je veux qu’on me voie dans ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans recherche ni artifice : car c’est moi que je peins.  » Hollande n’avait pas jugé bon d’aller jusqu’au bout de la citation :  » Mes défauts s’y liront au vif.  » Affronter le scrutin, ce sera accepter ce miroir. Sortir du  » ça va mieux « . Comme il le confiait à la journaliste Elsa Freyssenet, dans  » Ça n’a aucun sens  » (Plon) :  » Si j’ai voulu être élu avec cette obstination, si précoce, c’est sans soute pour être aimé… Mais j’ai appris à être désaimé.  » u

PAR MARCELO WESFREID, AVEC ANNE ROSENCHER

 » François Hollande est persuadé qu’une des choses qu’il sait le mieux faire, c’est se replacer dans le chaos  »

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