Hip encore hop ?

Dans la masse de sorties actuelles, Eminem et la surdouée Missy Elliott tirent leur hip-hop du jeu. Avec un accessit au groove malin de The Roots

Niant que les années de gloire NTM/IAM soient l’affaire du millénaire dernier, des privés ont organisé le plus grand rassemblement rap européen le 21 septembre dernier, au Stade de France, devant 40 000 personnes. Chaude soirée qui n’a pas concrétisé les prévisions apocalyptiques face à ce rassemblement de « djeunes », mais confirmé que la musique issue du Bronx il y a vingt-sept ans a encore du jus. En fait, le principal argument de séduction d’ Urban Peace , Le Double Album live (Universal), est de zapper entre les tchatcheurs sans leur laisser le temps de nous lasser. Exemple: deux titres (c’est la norme) de Lord Kossity et nos oreilles saignent agréablement, deux chansons de Neg’Marrons et on danse le ragga, deux interventions de Kool Shen et cela nous fait des souvenirs. Tout est loin d’être impérissable, mais l’apparition de Joey Starr sur Comme des fous en chaviré total reste un moment « coloré » dans une entreprise qui sera la photo rap des années 2000.

A côté de ce mammouth parisien, le Black Album (Virgin) du Marseillais Akhenaton (d’IAM) ressemble à une « petite entreprise » qui essaie d’éviter la crise. Le mysticisme de son auteur tente de se frayer un chemin dans sa parabole sociopolitique toujours touffue: Dieu, Arafat, Salomon (et Akhenaton) dans le même bateau pour celui qui « déteste être présenté comme une véritable solution ». Ce disque, narratif à l’extrême, finit par ressembler à une grammaire de pensée un peu lourde, sauf quand elle va droit au but dans une description quasi journalistique de l’exploitation des filles dans la prostitution ( Nid de guêpes), ou se penche sur la médiatisation de la parano sécuritaire ( Ecoeuré).

Le nouveau Snoop Dogg commence par quelques mesures d’accordéon mélancolique et continue sa route avec le secours d’une flûte traversière ( Lollipop) et d’une chanteuse orientale ( Paper’D Up). Drôles de manières hip-hop pour exprimer son romantisme sauvage: pour Paid Tha Cost To Be Da Boss (EMI) – réalisé sans son mentor Dr Dre -, Snoop Dogg s’éloigne de ses habituels synthés couinants, emmêlant sa « soul profonde » dans l’esprit d’Isaac Hayes ou Curtis Mayfield. Mais toujours avec son langage street où toutes les femmes, sauf mother, sont forcément des handicapées de la vertu. Sûr qu’on n’écoute pas ce genre d’oiseau avant d’entrer chez les Chiennes de garde, mais ce serait vite oublier que les machos génétiques à la Snoop ont un quota de dérision ( Boss Playa) qui les sauve de l’exécution publique.

C’est forcément le cas d’ Eminem, dont le film 8 Mile triomphe au cinéma et dans les charts. Sur la BO Music From and Inspired by the Motion Picture 8 Mile (Universal), l’ex-cas social de Detroit raconte sa saga d’enfant blessé de l’Amérique « white trash ». La tonalité du disque est plus sombre qu’à l’accoutumée, et même si Eminem n’apparaît qu’à quatre reprises sur seize plages – aux côtés de Macy Gray, Gangstarr, Rakim ou Nas -, il laisse une profonde impression de mélancolie hip-hop ! Si le rap US continue à mener la danse mondiale, ce n’est pas uniquement une question de suprématie linguistique mais aussi de diversité et de richesse de sa production discographique. Deux illustrations de cela avec The Roots et Missy Elliott. Les premiers, un octet de Philadelphie, sortent Phrenology (Universal), une dissertation habile qui prend son tempo auprès du jazz ou même, via un second morceau, auprès de la chose punk. Sur ce cinquième opus, The Roots semblent moins interminablement bavards que par le passé et rassemblent leur swing balancé dans des fuseaux sonores plutôt doux, eu égard à l’habituel crachat rythmique américain. Au fond, The Roots proposent la concrétisation d’un rap adulte mais toujours prospectif. Ce dernier qualificatif est le minimum vital pour qualifier le travail de Missy Elliott dont le Under Construction (Warner) réunit des chansons accrocheuses et un sens profond de la recherche rythmique et harmonique. Sur ce quatrième album, plus léger, la reine du rap US survole un champ sémantique étourdissant où les mots résonnent le plus souvent comme des jouets sonores, répondant à des beats interminablement traficotés dans le studio où Missy passe ses jours et ses nuits. Dans Work It, par exemple, chaque fin de phrase se finit en « ya » et les rimes s’enchaînent dans un lien poétique digne d’un mantra. Mais Missy, ex-gosse paumée d’une famille désunie, n’a rien d’une mystique: c’est sa propre vision bizarrement reconstruite de la réalité qui en fait une des artistes les plus intéressantes du moment. Au-delà du hip-hop, bien entendu.

Philippe Cornet

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