Aventurier culturel et épicurien persistant, Jo Dekmine aura propulsé les turbulences de son Théâtre 140 pendant plus d'un demi-siècle. © philippe cornet

hey jo

 » On prendrait bien un dessert, non ?  » Après des champignons copieux en entrée et un plat de pâtes saucées, la fourchette Dekmine se ravissait maintenant d’une glace avalée d’un sourire repu. La scène, vécue quelques fois et toujours dans des restaurants italiens proches du 140, mettait d’emblée la température personnelle de Dekmine à table : sans plaisir, il n’y aurait ni cuisine, ni culture. La première fois qu’on croise l’oiseau -mitan des années septante – le style Dekmine déconcerte : un quadra à la coiffure de  » Beethoven fâché  » qui jette une veste étudiée sur les épaules d’une fine silhouette, vous scrutant d’un oeil bizarre. Celui d’un hibou susceptible, vite déridé d’un sourire qui hoquète un ah ah ah tout aussi déconcertant. Au fil des décennies, on s’y habitue alors que l’histoire de Dekmine s’apprend et s’étoffe. Il y a d’abord les événements amplement documentés sur les mirifiques sixties du Théâtre 140, que Jo invente dès l’ouverture du lieu, en 1963, une salle appartenant à la paroisse. Les concerts d’un Gainsbourg d’avant la gloire, les résidences d’un Pink Floyd expérimental à la sortie psyché de 1968, le Living Theatre, Barbara, Ferré et la longue liste d’autres grands-messes officieuses d’une contre- et nouvelle culture. Y compris lorsque le ministre de la Justice Vranckx condamne Jo pour  » pornographie  » après les représentations du Play-House of the Ridiculous new-yorkais en avril 1971 dans la salle de l’avenue Plasky. Comme il le raconte en 1983 dans Le Décalage horaire, Jo part sans cesse en shopping culturel, d’Avignon à New York, heureux des hasards comme des promesses de fragrances inédites, vues sur le terrain de représentation originale. Celui qui sera longtemps président de la Commission danse de la Communauté française, avait d’ailleurs sa propre chorégraphie, qui consiste à cuisiner pour les artistes de passage -favorisant le waterzooi – et à offrir un plateau de fromages aux spectateurs après la représentation. Jo Dekmine (19 février 1931 – 23 septembre 2017), merci pour tout.

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