HergÉ a son musÉe, mille sabords !

Les tintinophiles sont gâtés : le bel écrin édifié à Louvain-la-Neuve pour mettre en valeur les multiples talents du créateur du petit reporter a ouvert ses portes en juin dernier. Le contenu du musée, essentiellement des dessins originaux, séduira-t-il aussi bien le public familial que les passionnés ? Embarquement immédiat pour un étonnant parcours.

Avertissement préliminaire : ceci n’est pas un musée Tintin. Fanny Rodwell, la seconde épouse d’Hergé et son héritière, a voulu célébrer, dans le paquebot blanc échoué à Louvain-la Neuve, le génie du créateur, pas les aventures de sa créature.  » Les albums de Tintin sont lus dans le monde entier, remarque-t-elle, mais tous les admirateurs d’Hergé ne connaissent pas ses talents d’illustrateur, de graphiste et d’affichiste, ou encore ses autres bandes dessinées, comme Quick et Flupke et Jo, Zette et Jocko.  »

Le superbe écrin contemporain dessiné par l’architecte français Christian de Portzamparc renvoie au goût d’Hergé pour l’art moderne. Il abrite une partie du fabuleux trésor de Moulinsart : des planches originales, des documents d’époque, des pièces des Studios Hergéà Mais la scénographie des lieux, élégante, sobre, un peu austère (le visiteur est plongé dans une semi-pénombre afin de protéger les dessins exposés), se démarque complètement du concept des expos grand public montées ces dernières années : pas de décors en trois dimensions, pas de bornes interactives ludiques, peu d’objets dérivés en vitrine.

Un musée construit en vingt-deux mois

Financé entièrement par Fanny Rodwell (15 millions d’euros, hors taxes, coût de la scénographie inclus), le musée Hergé a ouvert ses portes le 2 juin dernier, soit vingt-deux mois après le démarrage du chantier. Une performance. Les dernières semaines avant l’inauguration, ses responsables ont vécu un stress digne de celui des ingénieurs de la base syldave au moment du décollage de fusée lunaire. Peintres, électriciens et autres corps de métiers ont multiplié les heures supplémentaires pour que tout soit prêt à temps.

 » Nous fonctionnerons sans subsides publics, mais espérons tout de même atteindre la barre des 200 000 visiteurs par an, lâche Laurent de Frobertville, le directeur du musée, ancien gestionnaire du château de Cheverny, le domaine des bords de Loire qui a inspiré Moulinsart. Mon premier défi sera de faire en sorte que cet espace d’exception soit à la hauteur de la réputation d’Hergé.  » Un pont de bois relie le bâtiment de 3 600 mètres carrés au c£ur de Louvain-le Neuve, en attendant l’installation, par la ville, d’une passerelle définitive.

 » Adossé au bois de la Source, ce musée tombé du ciel me fait penser au bateau transporté par les Indiens à travers la forêt amazonienne dans Fitzcarraldo, le film de Werner Herzog, confie de Portzamparc. J’ai voulu de grandes baies vitrées pour que l’on puisse voir le ciel et la forêt de l’intérieur du hall central, conçu comme un espace d’accueil onirique propice à une plongée dans le monde d’Hergé. « 

Du rouge fusée au noir  » frais et joyeux « 

Comme au musée Magritte inauguré récemment à Bruxelles, la visite du  » navire  » commence par le pont supérieur. On y accède par une tour d’ascenseurs qui aurait dû rappeler, par ses couleurs, la fusée des albums Objectif Lune et On a marché sur la Lune. Mais Fanny Rodwell n’a pas voulu du damier rouge et blanc, jugé trop clinquant et explicite. De Portzamparc a alors proposé de remplacer le vermillon par un noir  » frais et joyeux « . Plus réussi est néanmoins le subtil jeu de passerelles de liaison entre les quatre espaces colorés qui composent le musée.

L’ascenseur conduit au troisième niveau. On y découvre une présentation chronologique de la vie d’un artiste engagé dans une £uvre monumentale. La deuxième salle est consacrée à l’héritage graphique très diversifié d’Hergé : créations publicitaires, gravures, illustrationsà Puis vient la  » famille de papier  » : c’est la galerie des principaux personnages des aventures de Tintin. Leur origine, leur aspect physique et leurs traits de caractère sont évoqués. Pour écrire le scénario de ses histoires, Hergé s’est souvent inspiré des faits marquants de l’actualité de son époque. De même, la mise en scène de ses récits doit beaucoup aux principes du septième art. Voilà pourquoi une salle entière, avec grand écran, est dédiée à l’influence du cinéma sur l’£uvre d’Hergé.

La science et les voyages exotiques

Un niveau plus bas, on rejoint les deux salles les plus spectaculaires du musée : le  » laboratoire « , où trônent le sous-marin requin de Tournesol et le Supercolor Tryphonar, la télé pas très au point du professeur ; et un espace  » ethnographique « , où Hergé nous invite aux voyages exotiques. Ses récits ne foisonnent-ils pas de temples secrets, de grottes mystérieuses et de palais orientaux ? Le portrait du chevalier de Hadoque y retient l’attention, tout comme le fétiche Arumbaya. La visite se poursuit dans les Studios Hergé, institution vouée à la défense et, surtout, à l’illustration de la  » ligne claire « . La quarantaine affirmée, le dessinateur solitaire s’est en effet orienté vers le travail en équipe. Enfin, une salle à la gloire d’Hergé rassemble les hommages de personnalités comme le général de Gaulle ( » Mon seul rival international, c’est Tintin « ), le philosophe Michel Serres ( » C’était un génie, je l’ai beaucoup aimé « ) et le cinéaste Alain Resnais ( » La Belgique appartient au fantastique, je l’ai découvert dans Tintin « ).

 » On ne peut tout montrer aux visiteurs, reconnaît Joost Swarte, l’illustrateur et bédéiste néerlandais, qui a imaginé la scénographie du musée et est aussi l’inventeur de l’expression ligne claire. Il a fallu faire des choix parmi les £uvres et relever le défi de salles aux parois souvent obliques. Mais le plus important, ce sont les dessins, qui ont un pouvoir d’attraction étonnant. Quand les gens verront ce musée, ils comprendront comment est né l’univers d’Hergé. « 

MusÉe HergÉ. Adresse : 26, rue du Labrador (l’adresse de l’appartement bruxellois de Tintin dans les albums !), À Louvain-la-Neuve (sortie 8A de l’autoroute E411). Parkings Grand-Place et Charlemagne. Ouvert de 10 À 18 heures, fermÉ le lundi. Renseignements : +32 (0)2 626 24 21 et +32 (0)10 48 84 21 ; info@museeherge.com ; www.museeherge.com.

par O. Rogeau

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