Hamas : feu vert pour le business

Les hommes d’affaires palestiniens ne s’alarment guère de la victoire des islamistes. Ils ont déjà commencé à les convertir à l’économie de marché

Alors que la communauté internationale hésite sur l’attitude à adopter face au Hamas, la bourse de Naplouse a tranché. L’indice Al-Quds (Jérusalem), qui avait chuté de 20 % au lendemain du triomphe électoral des islamistes, a retrouvé en quelques jours le rythme de croissance irrésistible qui l’a fait bondir de 300 % l’an dernier. Visiblement, les menaces de boycottage brandies par l’Occident n’impressionnent pas les milieux d’affaires palestiniens.  » Cela prendra du temps, mais, au bout du compte, les Etats-Unis paieront, l’Union européenne paiera et même Israël versera à l’Autorité palestinienne l’argent qu’il lui doit, prédit Tarek Shakaa, patron de l’agence de courtage Lotus, à Ramallah. La communauté internationale ne peut pas se permettre de jeter à la rue les 150 000 fonctionnaires dont elle a la charge. Elle a besoin d’acheter la stabilité dans la région.  »

Dans l’isoloir, Tarek Shakaa, comme une grande partie de ses pairs, a choisi la liste de Salam Fayyad, ex-ministre des Finances, plébiscité par les chancelleries occidentales pour sa rigueur budgétaire et sa modération feutrée. L’avènement au pouvoir des tribuns islamistes ne faisait pas vraiment partie du business plan des entrepreneurs locaux.  » Le lendemain de l’élection, j’ai reçu beaucoup d’appels de clients inquiets, qui me demandaient s’ils ne devaient pas revoir leur projets à la baisse « , raconte Sam Bahour, un consultant de Ramallah. Bien que laïque et plutôt de gauche, il voit dans la victoire du Hamas un électrochoc salutaire.  » C’est l’occasion de rompre avec ce cycle de négociations stériles où le processus importait plus que le résultat, de casser ces monopoles qui ont fait la fortune des courtisans du Fatah et de mettre en place un gouvernement propre et efficace. Ce ne sera pas facile, mais le Hamas est le mieux placé pour mener ces réformes.  »

Conscients de la nécessité de rassurer les investisseurs, les islamistes se sont pliés de bonne grâce à un tour de passe-passe imaginé par le roi de l’économie palestinienne, Abdel Malek Jaber. En compagnie de Tarek Shakaa, le PDG de l’omnipotent groupe de télécommunications Paltel est allé rendre visite à Mahmoud Ramahi, un anesthésiste, élu sur la liste Hamas à Ramallah.  » Pendant deux heures, nous lui avons expliqué les rudiments de l’économie de marché, raconte Tarek Shakaa. Il a pris des notes avec beaucoup d’application. Puis nous avons rédigé une déclaration de soutien à la bourse qu’il a faxée à Ismaïl Haniyeh, le chef du Hamas à Gaza.  » Une heure plus tard, Haniyeh répétait le texte mot pour mot sur les écrans d’Al-Jazira.  » Les gens du Hamas n’ont pas eu besoin de consulter le mufti pour vérifier si le communiqué était halal, sourit Tarek Shakaa. Ils ont écouté et ils ont agi. Ce sont des disciples d’Adam Smith. Ils adhèrent à la vision américaine de l’économie de marché !  »

Conservatisme social

Hassan Barghouti, dirigeant d’une ONG de formation syndicale, partage cette analyse.  » Le Hamas avait envoyé certains de ses activistes suivre des sessions chez nous. Au bout de quelques mois, ils sont partis, car leurs chefs estimaient que nous développions trop leur esprit critique.  » Cette discipline de fer et ce conservatisme social mâtiné de pragmatisme ne sont pas pour déplaire à de nombreux hommes d’affaires. D’autant que le Hamas entend poursuivre le cessez-le-feu en vigueur depuis un an et qu’il distille ici et là des gages de modération politique. Notamment en entamant un dialogue avec la Russie de Vladimir Poutine. Parmi les personnalités pressenties pour le poste de Premier ministre figurent, outre Ismaïl Haniyeh, deux entrepreneurs dont les sympathies vertes sont notoires : Mazen Sinokrot, actuel ministre de l’Economie, ex-PDG d’un conglomérat agroalimentaire, et Jamal Khodari, président du conseil d’administration de l’Université islamique, qui règne sur le marché du matelas dans la bande de Gaza.

La réputation de sérieux de ce dernier est d’ailleurs telle que l’Université islamique, pourtant un bastion du Hamas, n’a pas souffert du boycottage des institutions islamistes par les donateurs étrangers. Le géant américain de l’informatique Intel a déboursé 1 million de dollars pour financer l’équipement internet de la fac. Même pour ses voisins juifs, le Hamas peut être un partenaire commercial. En décembre 2005, des émissaires de la Compagnie israélienne d’électricité ont rencontré le maire islamiste de Qalqiliyya. Les négociations se sont déroulées dans une voiture à la sortie de la ville. Qui a dit que l’argent n’avait pas d’odeur ? l

Benjamin Barthe

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