Guy Theunis,  » missionnaire en prison « 

Le Père blanc accusé d’incitation au génocide rwandais est enfin rentré en Belgique. Toutefois, suite aux accords passés entre le gouvernement belge et Kigali, une longue et minutieuse information judiciaire a démarré à Bruxelles

Après deux mois et demi passés à la prison centrale de Kigali, Guy Theunis a retrouvé les siens et sa famille spirituelle, les Pères blancs.

Une force tranquille et un sourire intérieur éclairent le visage de l’homme, qui savoure un chocolat belge, assis au milieu de ses frères et s£urs. L’un d’eux le taquine amicalement :  » On dirait que tu reviens de safari, tu as l’air si relax ! «  Et pourtant, le témoignage reconnaissant écrit par un compagnon d’infortune, le jour de son départ, ne trompe pas : il évoque  » la vie souffrante du calvaire menée avec nous dans la prison centrale de Kigali « .

Malgré le privilège d’une cellule individuelle, Guy Theunis a souffert des mauvaises conditions d’hygiène et a dû être hospitalisé suite à une grave surinfection bactérienne. Mais il avoue avoir, malgré tout, gardé le moral en permanence.

Le Vif/L’Express : Qu’est-ce qui vous a permis de tenir pendant votre détention ?

Guy Theunis : Les innombrables témoignages et visites, comme celles d’un représentant de l’ambassade, qui venait quasiment tous les jours et les passages des Pères blancs qui m’ap-portaient la nourriture. Mais, avec eux, la rencontre était limitée à trois minutes maximum. J’ai aussi été très bien accueilli par les détenus comme par les responsables de la prison. Beaucoup me connaissaient et je me suis entendu dire :  » Padiri, si tu es ici, c’est parce que tu as une mission particulière . » Invité à prendre la parole face à la communauté chrétienne, je leur ai dit : ne vous étonnez pas de voir un prêtre emprisonné. Jésus aussi a été arrêté et a connu la prison. Je les ai tous remerciés – ceux enfermés à cause de leur propre faute et ceux enfermés à cause de la faute des autres – , pour leur accueil et de leur gentillesse. Avec eux, je me suis senti comme un curé de paroisse. J’ai visité les différents blocs où logent les prisonniers, j’ai dit la messe et confessé. Un des responsables de la prison s’est étonné. J’ai rétorqué que j’étais prêtre, que j’avais aussi mes lois et le droit de confesser n’importe où.

Comment avez-vous vécu votre arrestation le 6 septembre ?

Je n’étais normalement qu’en transit à Kigali, après avoir donné des sessions sur la non-violence au Congo voisin. J’étais loin d’imaginer une arrestation pour incitation présumée au génocide de 1994 ! Quelqu’un de haut placé a dû intervenir pour obtenir si rapidement un mandat d’arrêt, alors qu’il n’existait aucun dossier à ma charge.

D’où venaient les accusations ?

Face au gaçaça (tribunal populaire), les arguments invoqués provenaient presque tous de la revue française Golias et des écrits de J-P. Gouteux, proche des accusateurs les plus virulents comme Jean-Damascène Bizimana, ancien séminariste des Pères blancs travaillant aujourd’hui pour l’ONG belge RCN Justice et Démocratie et le sénateur Antoine Mugesera. Il y avait des accusations grotesques comme celle d’un certain Christian Scherrer, qui m’accusait d’avoir collaboré à la traduction de Mein Kampf en kinyarwanda.

L’unique témoin à décharge, Alison Desforges, conseillère de Human Rights Watch, a déclaré :  » Je connais bien Guy Theunis et son engagement dans la défense des droits de l’homme.  » Elle a insisté sur le respect des lois et en particulier, celle instaurant les gaçaça :  » Le monde entier vous observe.  » Mais elle a été vite interrompue et n’a pas été invitée à signer sa déposition, contrairement aux autres.

Les négociations pour votre transfert ont été longues et difficiles. On parle de tensions au sein du gouvernement rwandais. …

C’est possible, les rumeurs vont bon train…

Quoi qu’il en soit, ajoute un proche du prêtre,  » lorsque la Belgique a demandé le transfert à la justice belge, les Rwandais ont été extrêmement surpris mais n’ont pu refuser. Je ne sais qui a eu cette idée mais elle était géniale « . Néanmoins, l’envoi du dossier d’accusation aux autorités judiciaires belges a été plus d’une fois retardé, mais se serait gonflé de nouveaux chefs d’accusation. Le tout ferait maintenant quelque 400 pages, dont une partie en kinyarwanda. Le rideau est donc loin d’être tombé. Serein et confiant, Guy Theunis envisage les mois d’interrogatoires à venir comme  » une nouvelle étape, après la prison, dans ma vie de missionnaire « .

Entretien : Béatrice Petit

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