Grande pagaille dans les comptes de campagne

Mystérieuse  » note blanche  » sur les dépassements des dépenses du candidat Sarkozy, factures écartées, documents détruits… Les juges d’instruction sont allés de surprise en surprise. Révélations.

C’est  » plutôt la pagaille  » entre les comptes de l’UMP et ceux du candidat Nicolas Sarkozy. Et c’est l’ex-chef de l’Etat lui-même qui l’a dit devant le juge Serge Tournaire, le 16 février, lors de son interrogatoire, d’où il est ressorti mis en examen pour  » financement illégal de campagne électorale « . Ce n’est pourtant pas faute d’avertissements. Dès le 7 mars et le 26 avril 2012, des notes d’alerte sont censées prévenir le candidat UMP que ses comptes de campagne menacent d’exploser. Sauf que c’est, là aussi, la pagaille, avec l’apparition d’une très mystérieuse  » note blanche  » supplémentaire, en date du 6 mars, dont personne ne veut assumer la paternité.

Ce fameux 7 mars 2012, Pierre Godet, l’un des deux experts-comptables du candidat Sarkozy, remet à Guillaume Lambert, le directeur de campagne, une note l’informant que les dépenses budgétées vont provoquer un dépassement de 642 000 euros du plafond maximal autorisé, fixé par la loi française à 22,5 millions d’euros. Avec son document en forme de signal d’alarme, Godet glisse à Lambert une  » note blanche « , c’est-à-dire non signée, donnant des détails sur la dramatique situation financière.

L’expert-comptable est agacé

 » Les investigations n’ont pas permis de déterminer l’auteur de la note blanche « , lance le juge Tournaire à Lambert, lors de sa confrontation, le 19 janvier 2016, avec Fabienne Liadzé, ex-directrice des ressources de l’UMP, Philippe Blanchetier, avocat, Philippe Briand, ex-trésorier de la campagne, Marc Leblanc et Pierre Godet, les experts-comptables de la campagne, tous mis en examen, et Eric Gonzalez, comptable de l’UMP entendu comme simple témoin. Aucun des six ne reconnaît être l’auteur de cette mystérieuse note blanche…

Pagaille ou désordre ? Nicolas Sarkozy soutient devant le juge Tournaire que la  » note d’avertissement  » du 7 mars, celle-ci signée Godet, a été transmise à son directeur de campagne, mais étonnamment pas à lui. Le magistrat instructeur lui expose que le suivi budgétaire de sa campagne était effectué par le comptable de l’UMP, Eric Gonzalez, qui mettait régulièrement à jour un document intitulé  » certificat administratif  » avec les dépenses décidées et celles facturées.  » Ces documents ont été détruits « , souligne le magistrat devant l’ex-chef de l’Etat. Réaction de ce dernier :  » Je m’interroge sur les raisons pour lesquelles des documents ont été détruits à l’UMP.  » Encore une énigme.

L’opiniâtre juge instructeur a cherché à percer d’autres mystères. A commencer par l’organisation qui a conduit les experts-comptables à ne pas intégrer de nombreuses factures au compte de campagne. Lors de la confrontation du 19 janvier dernier, le juge Tournaire en a cité pour plus de 9 millions d’euros sur un total de plus de 28 millions d’euros, jugé problématique par les investigateurs. Le juge a ainsi présenté aux personnes entendues des factures aux intitulés limpides : le meeting de Villepinte (pour 2 907 490 euros), celui de la Concorde (289 923 euros) ou le QG de campagne (311 780 euros). Or aucune d’entre elles n’a été ajoutée au compte de campagne, en contravention avec la règle.

D’autres documents de même type paraissent inexplicables, même s’ils portent sur des sommes plus modestes.  » Qui est en mesure d’indiquer la nature des prestations fournies par Mystère de Paris ?  » a ainsi interrogé le juge au sujet de factures de captation d’images d’un montant de 11 057 euros. Chacune des sept personnes face à lui est demeurée muette, y compris Marc Leblanc.

Cet associé du cabinet d’expertise-comptable de Pierre Godet, Akelys, a été l’objet des attentions du juge. C’est lui qui était au centre du dispositif technique. Pendant des heures, le 30 novembre 2015, le magistrat l’a donc interrogé sur les raisons pour lesquelles il n’a pas porté ces factures au compte de campagne.  » Je ne les ai pas reçues, je n’ai comptabilisé que celles qui m’ont été transmises « , a-t-il répété, toujours fidèle à cette ligne. Sauf qu’Eric Gonzalez, le comptable de l’UMP, fournissait régulièrement aux experts-comptables ses  » certificats administratifs « … reprenant toutes les factures. Lors de son interrogatoire, Leblanc s’est agacé de ces  » certificats administratifs  » de Gonzalez :  » Je vous ai dit qu’on les a vu passer, mais on ne s’en servait pas. Il ne s’agit pas de documents faisant foi. Ce ne sont pas des documents comptables. Ce n’est rien du tout.  »

46 cartons de factures

Rien du tout ? Le juge Tournaire a comparé les documents envoyés par le comptable de l’UMP et ceux déposés à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.  » Les deux séries de documents présentent de fortes similitudes, a indiqué le juge. Il semble donc que votre document ait été élaboré sur la base de celui élaboré précédemment par M. Gonzalez.  » En faisant sauter quelques lignes afin de ne pas crever le plafond de 22,5 millions d’euros ?  » Je le réfute, a répondu encore une fois l’expert-comptable Leblanc. Notre document a été élaboré uniquement sur la base des factures qui nous étaient transmises.  »

L’argument ne semble pas avoir convaincu le juge :  » (Le certificat administratif de M. Gonzalez) est pourtant bien plus sincère à bien des égards que votre compte de campagne, puisqu’il comptabilise des factures payées par l’UMP, qui avaient manifestement vocation à être intégrées dans le compte de campagne et qui n’y figuraient pas « , insiste Serge Tournaire.

L’ancien candidat UMP soutient que ce n’était pas à lui mais aux experts-comptables – qu’il a rémunérés, pour le traitement de la campagne, 200 000 euros – d’analyser les 46 cartons de factures entassées au siège du parti.  » Comment pouvais-je être au courant qu’il manquait une ou plusieurs factures, si on ne me le dit pas ? a réagi, le 16 février, Nicolas Sarkozy devant le juge. La signature que j’ai apposée sur mon compte de campagne est obligatoire. J’ai fait confiance au trésorier, aux experts-comptables, à l’avocat. Ils m’amènent le compte en me disant que tout va bien, et je signe. Mais la vérité c’est que je n’ai rien lu.  »

P. C. et F. K.

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