Gens qui rient…

Hygiène de l’intestin, par Alain Dantinne. Labor, 120 p.

Le Prose en 555 variations, par Patrick Virelles. Le Grand Miroir, 195 p.

Le Grand Procès, par François Jongen. Versant Sud, 159 p.

Gens qui pleurent, gens qui rient… La vie, quoi. Si souvent noire, et pour cause, diluée aux larmes, l’encre des écrivains peut aussi s’iriser de sourires ou de rires. De toutes venues : insinuants, perfides, drolatiques ou franchement dingues. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner qui a inspiré Alain Dantinne pour son très parodique Hygiène de l’intestin, qu’il définit lui-même comme un  » cabinet d’amateur « . Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un pastiche selon la tradition. Ce que propose ce prof de philo et de français serait plutôt, dans la lignée û clairement avouée û de Perec, une sorte d' » Amélie Nothomb, mode d’emploi « . Sur un scénario improbable, dopé aux amphétamines de l’imaginaire nothombien et qui louche de loin vers Le Sabotage amoureux, ce  » puzzle littéraire  » est abondamment lardé de textes volés aux différents livres de la romancière belge. Bien que riche en ruse(s) et malice(s), cet exercice qui s’occupe d’Amélie relève plus du clin d’£il amusé que d’une critique malintentionnée. Avec, en prime, des numéros de voltige, comme ces trois pages où le disciple de Perec a sucré le  » e  » comme dans La Disparition. Et, pour que nul n’en ignore, Dantinne, en queue d’ouvrage, fournit au lecteur un  » cahier des charges  » qui oriente sa démarche et précise les passages piochés dans l’agrégat romanesque de la féconde Amélie.

Changement d’azimut : cap sur la linguistique. L’excellent poète et romancier Patrick Virelles publie, avec la complicité éclairée de Jean-Pierre Verheggen, un livre à tous égards  » fondamental  » : Le Prose en 555 variations. Etant bien entendu que le prose n’est pas cette concurrente roturière du vers, qui aurait changé de sexe, mais un des noms dédiés à ce blason du corps souvent décrié à tort et plus communément appelé  » derrière « ,  » postérieur  » ou encore  » cul « , terme que les jeunes filles d’autrefois n’appliquaient qu’au sac ou à la bouteille. Travail de bénédictin dont, chemin faisant, l’auteur, au nom de l’honnêteté intellectuelle, se résigne à braver l’honnêteté tout court. Et qui de  » l’alliance  » (l’anneau) au  » zigoto « , en passant par le  » gondoleur  » ou le  » fouettard « , justifie de ses sources les plus diverses et les plus autorisées. En invoquant Villon, Céline, Apollinaire et bien d’autres. Sans oublier l’énorme inventivité du populaire, plus inspiré par ce double lobe-là que par celui du c£ur qui, selon l’auteur, n’alignerait que vingt variantes au compteur.

Avec la farce û ou la fable û de François Jongen (alias Nicolas Blanmont, le plus  » élisabéthain  » des critiques musicaux et, au demeurant, prof de droit et ancien avocat), le divertissement est d’un autre tonneau. Ici aussi, quelques derrières sont virtuellement présents, mais c’est pour la fessée, et le rire ne cache ni le bouillon d’une colère ni l’importance de l’enjeu. On devine quelle actualité évoque Le Grand Procès qui, sous les dehors d’une sottie parfaitement surréaliste et déjantée, épingle tous les désarrois et les dérives des mondes judiciaire, politique et médiatique dans la foulée des drames que l’on sait. Journaliste à La Torpille, Julienne Lingue est chargée de retrouver la Justice (la dame aux yeux bandés qui joue du glaive et de la balance), dont le pays semble avoir le plus urgent besoin s’il ne veut pas susciter  » la risée internationale « . Toutefois, au c£ur de la vaste frayère politico-judiciaire (où tout le monde, du reste, porte des noms de poissons), et en particulier dans le Palais de la Place Poularde, personne û magistrats, avocats, ministres ou écuyers des chevaliers blancs û ne sait ce qu’elle a pu devenir. Quête ubuesque dans la monumentale Babylone où des portes secrètes, ouvertes une à une, cachent des misères insignes, des zombies pathétiques ou d’étranges débordements. Comme ces partouzes, salades de corps en rut qui pourraient assez bien évoquer la confusion des genres dans un contexte où l’émotion, en soi légitime, mais devenue seule conseil- lère et  » instrumentalisée  » par les acteurs (et parfois les intérêts) les plus divers, a, révérence parler, fichu le bordel dans le temple du droit. Enfin découverte après d’innombrables impasses, la Justice se récuse : elle n’est pas un ministère ni une juridiction, mais une déesse et une vertu. Et c’est donc à ses filles qu’il faut s’adresser : la Loi, la Force et la Clémence pour rendre au mieux la justice avec un petit  » j « . Bref, elle n’assistera pas au Grand Procès : aux hommes de prendre leurs responsabilités. Voilà qui est clair, mais, ce qui l’est peut-être moins, c’est la position même de l’auteur face aux thèses en présence et qui n’émerge que par sous-entendus (volontairement ?) ambigus. Bien entendu, on enregistre au passage de troublantes ressemblances avec les authentiques protagonistes de l’Affaire, mais comme en prévient Jongen,  » ceux qui croiront se reconnaître ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes : ils n’auraient été ici s’ils n’avaient été ce qu’ils sont « . C’est comme ça, la farce. Ça tue, mais ce peut être aussi un salutaire remède de cheval. La thérapie par le rire… On en parle beaucoup ces derniers temps.

ghislain cotton

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