Génétique à la sauce belge

Nous sommes tous porteurs de mutations génétiques diverses. Certaines peuvent être identifiées, d’autres le seront bientôt. Mais peut-on affronter seul de telles informations ?

(1) Grâce à l’appui de la Fondation Roi Baudouin, la faculté de droit de l’UCL a organisé les 4 et 12 mars un colloque intitulé :  » Tests génétiques : confidences pour confidences. Le recours aux tests : régulation et contrôle « .

Ce n’est pas bien compliqué : il suffit d’une adresse Internet. Le kit arrivera à domicile. Un léger prélèvement, indolore, des sécrétions dans la bouche de l’enfant, la même chose dans la sienne… Pierre saura alors, par courrier et au plus tard dans les dix jours, si Martin, 8 ans, est bien son fils. Ce dont il doute. Mais ce diagnostic sans conseil ni prise en charge psychologique est-il vraiment une aubaine pour le père  » supposé « , son  » fils  » et l’intérêt de cet enfant, sans parler de la mère ? De même, que dire de ces laboratoires d’outre-Atlantique qui proposent contre monnaie sonnante un dépistage des gènes porteurs du cancer de sein, assorti, si nécessaire dans la foulée, d’une ablation et d’une reconstitution mammaire, grâce à une sorte de programme  » clés sur portes  » ?

 » Franchement, l’exploitation de consommateurs poussés à se tester pour de multiples maladies, alors qu’il n’y a pas de véritable indication, est loin de me paraître souhaitable « , estime Rudy Demotte (PS), ministre de la Santé. En Belgique, logiquement, les tests génétiques doivent se pratiquer dans un des centres agréés de génétique médicale,  » loin des publicités qui traînent sur le Net et pas sans un encadrement adéquat « , précise le ministre. Mais aucune loi ne réglemente encore les trafics parallèles sur Internet…

En revanche, ce que la loi interdit formellement, explique le Pr Geneviève Schamps, de l’Unité de droit pénal (UCL),  » c’est tout examen génétique prédictif de maladies que souhaiteraient faire passer un employeur ou bien un assureur  » (1). On imagine, en effet, l’exploitation qui pourrait être faite de telles données. Sur le terrain, cet interdit semble respecté, assure le ministre de la Santé. De fait, les centres de génétique médicale reçoivent peu de demandes de consultants expliquant qu’ils auraient besoin d’une attestation prouvant qu’ils sont indemnes de telle ou telle maladie.  » De toute manière, nous refusons tout certificat de ce type, même lorsqu’il est favorable au demandeur. A défaut, l’absence d’un tel sésame en dirait bien trop long ! Sur une matière aussi sensible et lourde de répercussions pour la personne et pour ses proches, la confidentialité fait partie de nos missions majeures. Il faudrait néanmoins donner les moyens à nos services de s’organiser pour la préserver « , rappelle le Pr Christine Verellen, généticienne au centre de génétique médicale aux cliniques universitaires Saint-Luc (UCL, Bruxelles).

Les généticiens et spécialistes des centres belges de génétique médicale ne se la racontent pas. Ils savent à quel point les espoirs placés en eux sont souvent demesurés, combien leur tâche est difficile, compliquée et, comme l’explique le Pr Marc Abramowicz, du centre de génétique médicale d’Erasme (ULB, Bruxelles),  » liée à des matières û la biologie, la génétique, les mathématiques (pour appréhender les notions de risques) û encore insuffisamment enseignées et comprises du grand public « .

 » Les généticiens médicaux sont les médecins de l’exceptionnel, du complexe, souvent aussi du désespoir mais, avant tout, de la prévention « , rappelle le Pr Yves Gillerot, du centre de génétique médicale de Loverval. En tout cas,  » nous ne sommes pas de simples labos de dépistage et notre importance ne se mesure pas aux rentrées financières fournies par la somme des examens que nous faisons passer, insiste le Pr Christine Verellen. Dans notre système de valeurs, le consultant se trouve au centre de nos préoccupations et de nos intérêts.  » Une immense différence avec certains laboratoires privés développés à l’étranger…

Les grands remèdes

L’expérience acquise par les généticiens leur permet, également, de prendre du recul et de poser des limites aux tests qu’ils pratiquent ou qu’ils accepteront de pratiquer. Il y a quelques années, une étude avait montré que les hommes chez lesquels on détectait une prédisposition héréditaire au cancer de la prostate avaient, en moyenne, une espérance de vie de quinze ans. Pour cinq ans seulement à ceux dont on détectait la maladie une fois déclarée. Aux hommes dépistés positifs, les grands remèdes ! Y compris, donc, l’ablation de la prostate, avec les problèmes d’impuissance et d’incontinence qui en découlent parfois. Résultat ? Pour la plupart, ils ont vécu une quinzaine d’années encore, mais leur qualité de vie a été incontestablement amoindrie, comparé à ceux chez qui la maladie n’a été découverte qu’une fois déclarée. Le tout pour un âge de mortalité finalement identique dans les deux groupes…

Cette réflexion constante des généticiens sur l’intérêt des tests à proposer au grand public tombe bien : les possibilités de prédictions vont se développer et cela risque de coûter très cher à la sécurité sociale.  » Avec l’évolution des techniques, certains tests ne sont plus aussi onéreux qu’auparavant et il faudra réorienter les sommes disponibles afin de les utiliser au mieux « , propose déjà le ministre. De plus, ainsi qu’il le préconise aussi, les centres commencent à se spécialiser : tous continueront sans doute à effectuer les dépistages prédictifs de base,  » mais, déjà, certains recherchent spécifiquement certaines pathologies « , précise le Pr Christine Verellen.  » Dans certains cas, ajoute le Pr Marc Abramowicz, nous faisons également appel à d’autres équipes européennes.  » De manière encore un peu anarchique, une Europe des labos du génome se met donc en place.

Néanmoins, ces mesures de rationalisation ne suffiront probablement pas. Le financement des centres repose toujours en grande partie sur les actes techniques pratiqués. Pas sur l’expertise dans l’analyse des données médicales ou sur l’encadrement psychologique. Or,  » nous sommes confrontés à des cas complexes, rappelle le Pr Abramowicz. Dans 80 à 90 % des cas, les résultats des tests nécessitent une interprétation de la part de l’équipe ou du généticien, afin de juger, par exemple, de la gravité de la situation ou de l’imminence de la maladie. Hors consultation, cela peut prendre de quatre à huit heures « p. Mais, pour cette expertise, essentielle, il n’existe encore… aucun code de remboursement.

P.G.

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