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Génération Z

Ils sont nés dans les années 90 et au début du XXIe siècle. Contrairement à leurs frères aînés, ils ont opté pour le futsal plutôt que pour le football classique. Dans le capitale, le football en salle fait fureur.

Tout le monde est Schaerbeek ! Fin mai, le Stadium Kinetix, l’une des plus grandes salles omnisports d’Europe, était trop petite lorsque l’AS City Façade Schaerbeek a remporté le titre de champion de Belgique de futsal à l’ABFS. L’ARB Hamme a donc quitté l’ABFS par la petite porte (voir encadré). A Bruxelles, tout le monde a poussé un grand soupir de soulagement, depuis l’Atomium au nord de la ville jusqu’au quartier populaire de La Roue à Anderlecht. Car, après un demi-siècle d’attente, une équipe de la capitale a enfin été couronnée.

Si on joue contre cinq des meilleurs footballeurs de Jupiler Pro League, on gagnera à tous les coups.  » Antoine Lemaire, capitaine d’Hoboken

En 2013, le Barça Picardie Bruxelles – qui deviendra le Picardie Koekelberg à partir de la saison prochaine – était passé tout près de l’exploit, mais s’était incliné en finale des play-offs contre Koersel.  » Je trouve hallucinant qu’il ait fallu attendre aussi longtemps pour voir un club bruxellois remporter le titre « , affirme Georges Tsoras, qui au cours d’une carrière de manager/entraîneur du LART Bruxelles longue de 20 ans, a fait monter le club de 5e Provinciale jusqu’en première division.  » Au niveau du talent pur, Bruxelles produit les meilleurs joueurs du pays. Ce sont des footballeurs d’instinct, qui s’intègrent parfois difficilement dans un collectif. Dans le passé, nous avons fourni de grands noms aux clubs de Flandre ou de Wallonie et le titre de Schaerbeek constitue une récompense pour le football en salle bruxellois dans son ensemble.  »

Le joueur bruxellois de futsal est devenu incontournable à l’ABFS. Il n’y a pas si longtemps, les 12 clubs de la plus haute division nationale avaient au moins un Bruxellois dans leurs rangs. Chacun se servait dans le vivier, sauf les clubs bruxellois eux-mêmes. Les joueurs écoutaient poliment les propositions des entités bruxelloises, mais au final, ils émigraient vers d’autres contrées pour des raisons financières. Ils pouvaient gagner jusqu’à dix fois plus ailleurs.

La présence d’une offre de joueurs trop abondante a cependant déclenché un effet pervers. Certains joueurs percevaient – certes en noir – des salaires et/ou des primes pouvant aller jusqu’à 1.500 ou 2.000 euros par mois. Mais, pour chaque joueur qui empochait de grosses sommes, il y en avait quatre qui gagnaient 50 euros ou moins. Le sujet reste tabou.  » Certains présidents sont assaillis par des joueurs qui sont prêts à jouer gratuitement « , affirme Antoine Lemaire, le capitaine de Hoboken.  » Ils ont disposés à investir dans leur carrière pendant un an afin de se faire un nom dans le milieu. Dans le passé, les clubs devaient gratter pour avoir suffisamment de joueurs. Dans l’intérêt de tout le monde, nous devrions former un front. Et celui à qui l’on demande de jouer gratuitement devrait refuser. Mais nous sommes impuissants si ce sont les joueurs eux-mêmes qui font la demande.

SPORT À PART ENTIÈRE

Il y a une dizaine d’années, un autre phénomène étrange s’est produit : quelques kets de Bruxelles ont franchi la frontière pour aller jouer en Division 1 et Division 2 française. Au niveau du futsal, les Français accusaient un retard historique et ont profité de la crise au Portugal et en Espagne – deux pays qui possèdent une énorme tradition en futsal – pour attirer des entraîneurs pour une bouchée de pain. En plus de cela, ils se sont lancés dans une course aux talents en Belgique. Ils ont notamment attiré Abdess El Hafid, qui jouait à Schaerbeek la saison dernière, et qui a porté les maillots de Roubaix, Douai, Laval et – d’aoùt à décembre de l’an passé – du champion, Toulon.

Adam Zriwil (La Hestre, en jaune) au duel avec Hamid Bouyfoulkitne (Schaerkbeek, en bleu).
Adam Zriwil (La Hestre, en jaune) au duel avec Hamid Bouyfoulkitne (Schaerkbeek, en bleu).© BELGAIMAGE

 » Je combinais souvent les deux : jouer en France et au sein de la Fédération belge de football en salle « , explique El Hafid.  » Durant ma période à Roubaix, je dormais à Bruxelles et je me déplaçais le samedi dans le Nord de la France pour le match. A Laval, je devais m’organiser différemment pour un match à domicile : je jouais mon match le vendredi en Belgique, et après la douche, je partais directement pour Laval. Seul, avec des amis ou accompagné par quelques équipiers. C’était un trajet de plus de 600 kilomètres. J’arrivais sur place vers 5 heures du matin, je me reposais jusqu’à 13 heures à l’hôtel et je jouais mon match à 16 heures. Après, je devais de nouveau me farcir les 600 kilomètres. Il fallait être vraiment motivé et passionné pour parcourir autant de kilomètres sur un week-end. Pour moi, cela coulait de source : mes frères aînés m’avaient initié au futsal et ce sport a toujours fait partie de ma vie. Dans le quartier où j’ai grandi, on jouait plus au futsal qu’au ‘grand’ football.  »

L’époque où le futsal était utilisé comme un refuge pour des footballeurs trop moyens sur gazon, est révolue depuis un certain temps. Même si, à Bruxelles, tout le monde connaît quelqu’un qui, après une expérience ratée en football, s’est rabattu sur le futsal. En 1986, ce fut notamment le cas pour un jeune Congolais qui était actif chez les U16 d’Anderlecht. Le racisme était encore très présent à Neerpede et on lui avait fait comprendre que sa présence était tout juste tolérée.  » Tiens-toi à carreau, car tu ne recevras pas une seconde chance « , lui a-t-on fait remarquer. Lorsque le club a appris que l’adolescent avait volé un survêtement dans le vestiaire, il a été renvoyé sur-le-champ. Il a arrêté le football et a fait carrière dans le football en salle.

En comparaison avec cette époque-là, le futsal commence tout doucement à être considéré comme un sport à part entière, sans lien avec le football sur gazon. Certes, des situations comme on en voit au Brésil, où les enfants commencent presque systématiquement avec le futsal, ne sont certainement pas courantes chez nous. Il faut d’abord faire abstraction des clichés.  » Le football en salle et le football sur gazon sont deux sports différents « , affirme Lemaire.  » Mais il faut aussi être en bonne forme physique pour jouer en salle au plus haut niveau. Sur un grand terrain, les footballeurs en salle n’ont aucune chance. Mais l’inverse est vrai aussi : un footballeur sur gazon se sentira perdu lorsqu’il évoluera en salle. Sur le plan tactique, surtout. Si on joue contre cinq des meilleurs footballeurs de Jupiler Pro League, nous gagnerons à tous les coups. Ce sera un travail d’usure. Il faut défendre à quatre, et à un moment donné, l’un de ces footballeurs, au moins, commettra l’erreur.  »

LUTTER CONTRE LES PRÉJUGÉS

En comparaison avec le passé, la popularité du futsal à Bruxelles s’est accrue de façon exponentielle. C’est, par excellence, un sport pour les Bruxellois. Grâce au développement spectaculaire de l’AS City Façade Schaerbeek, du Basic-Fit Brussels et du LART Bruxelles en première division de l’ABFS, ce sport attire de plus en plus de jeunes de moins de dix ans. Mais, pour l’une ou l’autre raison, les clubs bruxellois continuent à pêcher dans le même étang. Ce n’est pas un hasard si les champions de Schaerbeek s’appellent : Mustapha Benali, Adnan Larchi, Soufiane Tigra, Nabil Hammas, Zakaria Aibour ou Arber Shkodra. Ce sont tous des joueurs issus de l’immigration, et à l’une ou l’autre exception près, ils ont tous leurs racines dans le Maghreb.  » Les joueurs maghrébins aiment les petits espaces. C’est ancré en eux « , explique Iabkrima Hazzis, manager sportif de l’AS City Façade Schaerbeek.  » Ils se sentent mieux en salle que sur un grand terrain. Et, dans le football belge, il n’y a pas assez de modèles auxquels ils peuvent s’identifier. Un joueur qui, à 18 ans, ne parvient pas à s’imposer, devra se contenter de l’anonymat du football provincial. En futsal, un joueur qui débarque de la rue peut jouer en première division.  »

Schaerkbeek (en bleu) a conquis le premier titre bruxellois de XXIe siècle.
Schaerkbeek (en bleu) a conquis le premier titre bruxellois de XXIe siècle.© BELGAIMAGE

A cause de la forte présence de la communauté maghrébine sur le terrain et dans les tribunes, le futsal de l’ABFS doit lutter contre certains préjugés. Les mauvaises langues vont jusqu’à affirmer que le futsal est un sport pour racailles.  » Nous sommes un sport relativement propre « , se défend Jean-François Vandenheede, le président du CB Futsal Jette BXL Cap qui est passé, il y a deux ans, de l’ABFS à l’Union belge.  » Le nombre d’incidents est insignifiant. Nous ne devons pas faire face à des parents qui hurlent sur leurs enfants le long de la ligne et nous ne sommes pas confrontés à des paris sur nos matches. Une certaine frange de la population est, en effet, surreprésentée. Mais il y a des raisons à cela. Les premières victimes des problèmes socio-économiques sont les minorités. Pourquoi les Afro-Américains sont-ils aussi présents en NBA ? Pas parce qu’ils sont génétiquement mieux adaptés à la pratique du basket, mais parce que c’est un sport très accessible. On trouve un panneau dans chaque quartier noir et cela ne coûte pas très cher d’y jouer. C’est la même théorie qui prévaut pour le futsal et les Maghrébins. Le football en.salle est un dérivé du football de rue, et les cotisations sont jusqu’à trois fois inférieures à ce qu’elles sont dans un club de football. C’est dommage que nous devions lutter quotidiennement contre des stéréotypes stupides.  »

REPORTER DE GUERRE

La chaîne de télé locale BX1 fait la promotion du futsal à Bruxelles. Il y a trois ans, le magazine hebdomadaire FOUtsal a été lancé. Il est consacré à 100% au futsal bruxellois. Le succès a dépassé toutes les espérances et le programme fait désormais office de référence pour tous les amateurs de futsal. A Bruxelles et même loin au-delà. Certaines émissions ont été regardées dans le nord de la France, en région parisienne, en Provence et même au Québec. Les audiences et le nombre de visites sur le site internet dépassent celles du hockey et du football sur gazon.

 » Je ne veux pas me comparer à un reporter de guerre en Afghanistan ou en Irak, mais les conditions dans lesquelles nous devons travailler sont très rudimentaires « , rigole Pierre-Alexis Matton, qui commente le magazine FOUtsal tous les lundis.  » Mon caméraman doit parfois filmer le match depuis une chaise d’arbitre de volley. Ou, alors, on installe en toute hâte un échafaudage qui avait servi pour des travaux de réparation quelques heures plus tôt. Mais, partout, nous sommes accueillis très chaleureusement. Des joueurs de Liège ou de Halle-Gooik m’ont déjà demandé quand nous comptions passer chez eux. Ils se rendent compte que notre présence est positive pour leur discipline.  »

Matton est devenu une star dans la capitale en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Si vous prononcez le nom de Pierre-Alexis et le mot futsal dans un taxi, il y a de grandes chances que le chauffeur vous offre une réduction.  » A Molenbeek, je suis souvent assailli par les gens. Continue comme cela, Alexis. Nous apprécions ce que tu fais pour nos quartiers. Ces personnes habitent des quartiers qui ont mauvaise réputation et ils en souffrent. Je n’ai pas de recette-miracle, et je ne fais certainement pas de la politique, mais elles méritent d’apparaître sous un meilleur jour. Certains quartiers défavorisés regorgent de talents et méritent qu’on s’y intéresse.  »

Union belge vs ABFS

Au début des années 90, l’Union belge de football (URBSFA) a dû créer son propre championnat sous la pression de l’UEFA et de la FIFA, et cela a conduit à une séparation avec l’Association belge de football en salle (ABFS) qui organisait, jusque-là, le championnat national. Plus d’un millier de clubs et 25.000 membres sont passés de l’ABFS à la section futsal de l’Union belge. Les conséquences ont pris progressivement des proportions absurdes : à côte d’un championnat qui leur est propre, chaque fédération organise son propre tournoi de coupe et envoie sa propre équipe nationale à sa compétition continentale respective. Alors que la première division de la section futsal de l’Union belge s’est dirigée vers le professionnalisme – avec Halle-Gooik comme meilleur représentant – l’ABFS est restée au stade de l’amateurisme. La ligue est la section amateur du football en salle. Avec ses carences et ses charmes.

Tous les protagonistes sont d’accord : les deux fédérations se font plus de mal que de tort. Une compétition unifiée serait la solution la plus évidente pour promouvoir encore davantage le futsal.  » Pourquoi ne pas créer une superligue avec les meilleures équipes des deux championnats ? Cela offrirait plus de visibilité au football en salle « , suggère Antoine Lemaire.

Il y a une quinzaine d’années, un projet de fusion avait été déposé sur la table. La section futsal de l’Union belge aurait eu la responsabilité de la première division et de l’équipe nationale. L’ABFS aurait géré le reste.  » Mais le projet a échoué in extremis « , soupire Jean-François Vandenheede.  » Au dernier moment, l’ABFS a posé une exigence supplémentaire : elle voulait être partie prenante dans la gestion de l’équipe nationale. C’était hors de question pour l’Union belge.  »

Au printemps 2017, la section futsal de l’Union belge est passée à l’attaque en appelant les 12 clubs de l’élite de l’ABFS à la rejoindre. Le CB Futsal Jette BXL Cap, entre autres, a franchi le pas. GS Beobank Hoboken était aussi sur le point de déménager, mais la direction s’est finalement ravisée. La majorité des clubs a refusé la main tendue, de crainte d’être confronté à des conditions plus strictes pour l’obtention de la licence et d’avoir des obligations financières plus contraignantes.

La saison prochaine, l’ARB Hamme rejoindra à son tour la section futsal de l’Union belge. Mais les Flandriens devront débuter en deuxième division. Les équipes qui entreront dans la compétition durant la saison 2020-2021 commenceront, elles, en troisième division.

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