Génération Baader

Face à une société bloquée et répressive, la contestation étudiante, partie de Berlin-Ouest, va se radicaliser. En 1968 naît la Fraction armée rouge, qui basculera dans le terrorisme.

De notre correspondante

C’est le 2 juin 1967 que Mai 68 a commencé en Allemagne. Ce soir-là, des étudiants se rassemblent devant l’opéra de Berlin-Ouest, pour protester contre la visite officielle du chah d’Iran. Accompagné de sa femme, celui-ci assiste en effet à une représentation de La Flûte enchantée, lorsque, peu après 20 heures, les forces de l’ordre chargent les manifestants. Un étudiant de 26 ans, Benno Ohnesorg, tombe sous la balle d’un policier. La photo du jeune homme, allongé à terre, les yeux fermés, a fait le tour du monde. A ses côtés, une jeune femme accroupie lui a glissé son sac en tissu sous la nuque. Ses yeux à elle expriment la colère et semblent chercher de l’aide. Le cliché est devenu aussi célèbre que celui du sourire de Daniel Cohn-Bendit défiant les CRS français, mais la version allemande de la rébellion étudiante est nettement plus dramatique que la version française.

Tous ceux qui avaient participé à la manifestation du 2 juin 1967 racontent avoir été profondément choqués de voir un étudiant  » descendu  » en toute impunité (le policier sera acquitté) alors qu’il n’avait rien fait d’autre que de protester pacifiquement. Ils vont dès lors s’engager en masse dans l’action politique, à l’image de la jeune femme accroupie sur la photo, Friederike Hausmann, qui déclare aujourd’hui :  » A partir de ce jour-là, je ne me suis pas politisée : je me suis radicalisée.  » La mort de Benno Ohnesorg, puis en avril 1968, l’attentat contre le leader étudiant Rudi Dutschke (il mourra des suites de cette agression en 1979) vont en effet marquer le début d’une confrontation sociale qui tournera à l’hystérie collective et culminera dix ans plus tard avec la vague terroriste de l' » automne allemand « .

En 1968, le rapport de force s’installe. D’un côté, les enfants du nazisme, persuadés de n’avoir aucune place dans une société obsédée par le miracle économique, paralysée par une morale sans faille et verrouillée sur la question de sa responsabilité passée. Ces jeunes se sentent le devoir politique de lancer le combat que leurs parents n’ont pas mené sous le IIIe Reich, dans un pays qui n’a pas été débarrassé de ses scories nazies. Ainsi, Gudrun Ensslin, future égérie de la RAF, le mouvement terroriste Fraction armée rouge, déclare dès le 3 juin 1967 :  » C’est la génération d’Auschwitz, avec eux, on ne peut pas argumenter.  » En face règne aussi la tolérance zéro : une presse Springer qui se déchaîne avec une rare violence contre des étudiants traités de tous les noms, une justice implacable, une police à des années-lumière de la gestion pacifique des conflits et un monde politique quasi fermé à double tour :  » La société allemande ne disposait ni des institutions politiques ni de la culture démocratique qui aurait dû lui permettre de digérer cette contestation, analyse Ulrich Preuss, professeur de droit public et de sciences politiques, qui participa à la défense d’Andreas Baader. En outre, l’Allemagne est alors dirigée, de 1966 à 1969, par une « grande coalition », ce qui a empêché le SPD, coincé au gouvernement, d’intégrer une partie de la révolte étudiante.  » Ancien ministre de l’Intérieur, de 1978 à 1982, membre du parti libéral FDP, Gerhart Baum reconnaît avoir mis lui-même des années à comprendre les  » graves erreurs  » de l’Etat allemand :  » Nous avons surréagi en permanence : SPD et CDU n’en finissaient pas de faire de la surenchère dans la répression policière. L’Etat a fini par donner de lui l’image odieuse que les jeunes de l’époque en attendaient. « 

Créée en 1968 autour d’Andreas Baader et de Gudrun Ensslin, la Fraction armée rouge (RAF) se structure au début des années 1970. Arrêtés en 1972, les militants de la  » première génération  » sont enfermés au quartier de haute sécurité de la prison de Stuttgart-Stammheim. Pour les faire libérer, la  » deuxième génération  » commet une vague d’attentats qui culminera à l’automne 1977, avec l’enlèvement du patron des patrons allemands, Hans-Martin Schleyer, dont la mort est annoncée le 18 octobre. Le même jour, Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Jan-Carl Jaspe se suicident – version officielle – dans leur cellule. C’est l’heure de la désespérance : des films comme Le Mariage de Maria Braun (1979), de Rainer Werner Fassbinder, ou Les Années de plomb (1981), de Margarethe von Trotta, racontent l’impossible recherche de l’identité allemande pour ces jeunes générations, prises entre culpabilité et lutte armée.

Mais, dans le même temps, un nouveau parti politique, créé en 1980, va réussir à fédérer la gauche contestataire autour de thèmes comme la défense de l’environnement, l’égalité des sexes et le pacifisme. Avec Die Grünen, la rébellion étudiante trouve enfin son expression politique et commence à s’installer dans la société allemande. A la tête des Verts, un leader charismatique : Joschka Fischer, ex-soixante-huitard accusé d’avoir tabassé un policier dans sa jeunesse, devenu ministre des Affaires étrangères en 1998 et qui a représenté l’Allemagne sur la scène internationale durant sept ans. Il vient de fêter ses 60 ans.

Blandine Milcent

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