Gazon béni

Décidément, rien ne semble pouvoir arrêter la marche en avant du Faux, et c’est tant mieux : le jour où l’imitation aura enfin fait disparaître l’authentique, notre vie sera, sans l’ombre d’un doute, plus commode.

On se rappelle encore avec émotion comment, l’année dernière, Bush avait exhibé devant les caméras une fausse dinde de Thanksgiving. Pourquoi avait-il choisi cet animal de synthèse, alors qu’un vrai aurait aussi bien fait l’affaire ? Parce que le faux gallinacé était bien plus impressionnant. Et sûrement plus facile à plumer.

Miracle de la démocratisation : aujourd’hui, le Faux et l’usage de Faux n’est plus limité aux happy few et autres présidents de la première puissance du monde. Tout le monde y a droit et tout le monde en redemande. Regardez le succès de la télé-réalité, où tout est bidon, à commencer par le titre. Dégustez cette excellente cuisine industrielle où, depuis longtemps, on ajoute d’appétissants  » correcteurs d’acidité  » et des arômes de fraise qui ne doivent rien à Wépion et tout aux progrès de la chimie.

Dans cet ordre d’idée, il nous faut féliciter l’initiative intéressante, quoique encore trop peu connue, des autorités d’Anaheim, en Californie du Sud. Elles s’apprêtent à offrir des primes aux habitants qui remplaceront la pelouse de leur jardin par du gazon synthétique. Elles ont en effet constaté que plus de la moitié de la facture d’eau des résidents de la ville servait à arroser la pelouse. Et, comme l’eau est rare dans la région, elles ont trouvé ce truc, simple, efficace et beau, pour économiser le précieux liquide.

Cinq familles ont fait le test, et en sont enchantées. Elles ajoutent que voisins et passants s’arrêtent pour admirer et caresser leur gazon de synthèse. Certes, le surimi de pelouse coûte jusqu’à sept fois plus cher que son bête équivalent en herbe naturelle. Mais c’est tellement plus pratique ! Quant aux fabricants du bidule, ils se présentent comme des libérateurs du genre humain :  » Plus besoin de passer son week-end à arroser et à tondre sa pelouse. Imaginez tout ce que vous pourriez faire avec ce temps libéré.  » Connaissant les passions des Américains, certains profiteront de ce temps pour battre leur femme ou tirer sur tout ce qui bouge. En tout état de cause, on sait qu’ils en feront un usage intelligent.

Chez nous, on n’en est malheureusement pas encore là. La pénurie d’eau n’étant pas exactement un risque imminent en Belgique, il en coulera encore pas mal sous les ponts avant que, enfin, une quelconque de nos nombreuses autorités locales ne se décide à subsidier l’installation de cette herbe en plastique. Mais on n’arrête pas le progrès et, un jour, sûrement, nos compatriotes pourront à leur tour se payer le plaisir de fouler un gazon artificiel.

Evidemment, ce jour-là, il ne sera plus question de fumer l’herbe : ça risquerait de provoquer des émanations nocives. Mais que ceux qui craindraient la disparition de la délicieuse odeur du gazon fraîchement coupé se rassurent. Elle sera sûrement bientôt disponible en flacon vaporisateur. A base d’arômes de synthèse, bien entendu.

Isabelle Sweerts, Falisolle

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