Gare à l’addition !

A partir du 1er mars, la justice va serrer la vis sur la route. Amateurs de vitesse ou simples distraits : mieux vaut connaître les risques qui planent sur votre portefeuille et… votre permis de conduire

(1) Le chiffre exact de la mortalité routière pour 2002 n’est pas encore officiel.

L e 1er mars prochain n’est pas une date anodine pour les automobilistes. Après au moins un an d’effets d’annonce en tout genre, la nouvelle loi sur la sécurité routière va enfin entrer en vigueur. Son objectif : diminuer de moitié, en dix ans, les morts et les blessés graves sur le réseau routier. Certes, les premiers indicateurs semblent encourageants. Selon l’Institut belge pour la sécurité routière (IBSR), le renforcement des contrôles policiers, depuis 2002, aurait permis de réduire le nombre de victimes mortelles à environ 1 350 personnes (1), pour près de 1 500 l’année précédente. Mais il faut maintenir l’effort. Le renforcement des sanctions judiciaires est la nouvelle étape vers cet objectif chiffré, déterminé – et c’est une bonne chose – par les instances européennes.

Aveuglément répressives, ces réglementations ? C’est la qualification qu’on leur a donnée, tout au long de la gestation des arrêtés. On lira, dans les lignes qui suivent, que cette réputation appelle des nuances, selon les nouveautés envisagées. Et que de nombreuses zones d’ombre persistent quant à l’application concrète des règles.

En fait, la principale critique que l’on pourrait adresser au législateur (le poids des socialistes flamands fut déterminant, après l’impulsion initiale des écologistes, sous le précédent gouvernement fédéral), c’est d’avoir usé des mêmes vieilles ficelles répressives que par le passé, sans avoir cherché – sinon timidement – à innover et à s’inspirer d’expériences étrangères probantes. La France est pourtant là, à nos portes, pour démontrer qu’un pays aussi mal classé que l’Hexagone dans les statistiques de mortalité routière peut, en quelques années, renverser la vapeur.

Qu’un renforcement de la répression soit nécessaire en Belgique, cela ne fait aucun doute, au regard des mêmes statistiques. Encore faut-il que cet accent puisse être conforté, légitimé, par la crédibilité des nouvelles règles et l’adhésion du plus grand nombre. Or c’est là que le bât risque de blesser. Peu après les Etats généraux de la sécurité routière (la très salutaire grand-messe de tous les acteurs concernés, en 2002), on nous avait annoncé d’autres impulsions que l’accentuation de la répression. Or ils demeurent aujourd’hui très discrets, sinon introuvables, dans la réforme. Où est restée la refonte en profondeur des épreuves liées au permis de conduire ? Que deviennent les projets relatifs au permis probatoire pour les jeunes automobilistes (une sorte de permis à l’essai) et à l’agréation des centres de perfectionnement à la conduite ? Pourquoi le projet visant à aider financièrement les zones de police qui désirent s’investir dans la sécurité routière locale n’a-t-il toujours pas dépassé le stade des principes généraux ? De tels chantiers, annoncés à grand fracas il n’y a pas si longtemps, restent cruellement en léthargie pour le moment. Ils semblent pourtant indispensables pour atteindre l’objectif prévu en 2010. Et, pourquoi pas, l’améliorer.

Tarifs à la hausse. Globalement, le montant des amendes (prononcées par les tribunaux de police) augmente d’environ 10 %. Cette hausse pourrait paraître relativement modeste. Mais, du fait que certaines infractions sont classées dans une nouvelle catégorie ( lire plus loin), l’augmentation pourrait être nettement plus importante. Ainsi, le stationnement du véhicule sur une piste cyclable vaudra une amende 5,5 fois (au minimum !) supérieure que par le passé. Mais les transactions, proposées par les parquets (et qui forment l’essentiel des  » réponses judiciaires  » aux entorses au code de la route), sont, elles aussi, adaptées dans les mêmes proportions ! Si une infraction dite simple est  » facturée  » 60 euros par le parquet (au lieu de 52,5 euros auparavant), d’autres, répertoriées graves dès le 1er mars (notamment les excès de vitesse), seront donc nettement plus lourdement sanctionnées.

Néanmoins, l’annonce de l’augmentation généralisée des amendes est partiellement trompeuse. D’abord, parce que seuls les plafonds des amendes ont été augmentés. Or la plupart des juges de police, confrontés à une paupérisation importante de la population, ne prononcent que rarement les amendes maximales prévues par la loi. Ensuite, parce que la nouvelle loi permet au juge – c’est une autre nouveauté – de descendre sous le seuil minimum de l’amende lorsque la situation sociale et financière du prévenu le justifie, via la production d’un document  » quelconque  » l’attestant (sans autre forme de précision). Mais cela n’est valable qu’au premier degré, pas en appel : gare à l’appel des parquets, estimant les sanctions du juge de police trop clémentes !

Par ailleurs, le montant des amendes est d’office doublé lorsque deux infractions graves, quel que soit leur degré, sont commises dans la même année.

Davantage d’infractions graves. Là où l’ancien système ne prévoyait que des infractions  » ordinaires  » et  » graves  » (ces dernières étaient au nombre de 14), la nouvelle grille distingue un niveau d’infractions  » simples  » (passibles d’amendes de 55 à 1 375 euros, dont l’utilisation du GSM au volant et l’oubli du port de la ceinture) et trois degrés d’infractions graves (environ 80 cas visés).

Le 1er degré est passible d’une amende de 275 à 1 375 euros (décimes additionnels compris) et d’une déchéance éventuelle du droit de conduire. Quels cas sont-ils visés ? L’excès de vitesse compris entre 10 et 20 kilomètres-heure (moindre dans les zones 30), le-non respect des distances de sécurité, l’arrêt ou le stationnement sur un passage pour piétons (mais aussi sur le trottoir, un arrêt de bus, une piste cyclable, une aire pour personnes handicapées), etc.

Le deuxième degré est passible d’une amende de 275 à 2 750 euros et, éventuellement, d’une déchéance du droit de conduire. Quelques exemples : l’excès de vitesse entre 20 et 40 kilomètres-heure, le franchissement d’une ligne blanche continue, le non respect des règles de priorité ou de l’interdiction de dépassement, le non-respect des feux orange et rouge, etc.

Le troisième degré est, lui, passible d’une amende de 550 à 2 750 euros et d’une déchéance obligatoire du droit de conduire. Dans quels cas ? L’excès de vitesse de plus de 40 kilomètres-heure, le dépassement interdit par la droite, la man£uvre de demi-tour ou de marche arrière sur autoroute, le refus d’obtempérer aux forces de l’ordre, le non-respect des distances de sécurité pour les poids lourds, etc. Dans les trois cas, la déchéance varie entre 8 jours et 5 ans.

La perception immédiate des amendes : une mini-révolution. Le terme  » immédiat  » est ambigu. Il ne signifie pas que le règlement des amendes se réalise en liquide au bord de la chaussée. En fait, la perception immédiate (c’est-à-dire le paiement des amendes de police via des timbres fiscaux, dans les deux jours) se pratique déjà dans trois cas : pour les infractions simples, à l’égard des conducteurs étrangers (luxembourgeois, français, etc.) ou lors d’une intoxication alcoolique  » légère  » (entre 0,5 et 0,8 pour mille) sans lésion causée à autrui. Dorénavant, ce mode de paiement (un délai de cinq jours est prévu) s’applique également pour les infractions graves des 1er et 2e degrés. Dans le cas des infractions ordinaires, le montant perçu passe de 25 à 50 euros (c’est le cas du GSM utilisé sans dispositif  » mains libres « , par exemple). Dans les autres cas, le montant s’élève respectivement à 150 et 175 euros (300 euros pour un étranger, pincé pour une infraction de 3e degré). Mais, curieusement, lors d’une intoxication alcoolique grave, le montant passera d’office à 137,5 euros.

Ces montants restent nettement moins élevés que les montants de l’amende judiciaire correspondante et ne laissent aucune trace dans le casier judiciaire. Le renforcement du paiement immédiat a pour but de contribuer au désengorgement des tribunaux. Rien de tel qu’une sanction rapide, juste après l’infraction, estiment par ailleurs beaucoup de criminologues. Mais certains y voient la négation du traitement judiciaire et du droit sacré à la défense. D’autres – ou les mêmes – critiquent l’offre d’un véritable bonus aux conducteurs insouciants et… riches.  » A l’égard du conducteur qui veut faire Liège-Bruxelles à 180 kilomètres-heure et qui est prêt à payer, ce principe du paiement immédiat s’assimile à une sorte de  » Tu paies et tu te casses » « , regrette Thierry Papart, juge de police dans la Cité ardente.

A noter, enfin, que la perception immédiate sera bientôt possible au bord de la route, par carte bancaire ou de crédit, dès qu’une circulaire du ministre des Finances sera publiée.

Exit la prison ! L’emprisonnement, peu ordonné dans la pratique par les juges de police, est supprimé. Mais il reste en vigueur dans les cas  » lourds  » : conduite en état de déchéance ( lire ci-après), délit de fuite, récidive d’imprégnation alcoolique grave ou de conduite sous l’influence de drogues ou de médicaments, coups et blessures involontaires et conduite sans assurance. La fin de la prison entraîne en tout cas un effet fort dommageable. Ainsi, dans les cas d’ivresse (c’est-à-dire le manque de maîtrise de soi et du véhicule, à distinguer du dépassement du taux d’alcoolémie autorisé), les tribunaux n’auront plus la possibilité d’avoir recours à la médiation et de prononcer des peines alternatives, comme la visite d’un centre de revalidation pour les accidentés de la route.

La déchéance du droit de conduire : le nouveau maître mot. Pour les peines les plus graves, cette déchéance devient la sanction de référence. Le principe de base : écarter de la circulation les conducteurs trop dangereux. Elle est facultative dans les cas d’infractions graves des 1er et 2e degrés, d’ infractions simples entachées d’une triple récidive dans l’année, de délit de fuite, mais aussi en cas d’imprégnation alcoolique ou de conduite sous l’effet de drogues, etc. Elle est obligatoire, et sans aucune possibilité de sursis, pour punir les infractions graves du 3e degré. Pour certaines de celles-ci, l’automobiliste ne peut être réhabilité dans son droit de conduire qu’après la réussite d’un examen psycho-médical. Dans les cas d’ivresse en récidive, pas moins de 4 examens (dont l’examen théorique et pratique) sont imposés. Ici se pose un problème pratique : le délai d’attente pour passer les examens psycho-médicaux est parfois, aujourd’hui, de trois ou quatre mois. Celui qui se voit suspendu, par le juge, du droit de conduire pendant 8 jours risque bien, dans la pratique, d’être immobilisé pendant plusieurs mois.

Autre nouveauté de taille : le  » permis blanc « . Comprenez : la possibilité, pour le magistrat confronté à un automobiliste fautif qui possède son permis de conduire depuis moins de cinq ans, d’ordonner une déchéance uniquement du vendredi (20 heures) au dimanche (20 heures). Le jeune responsable d’un accident grave, par exemple, pourra ainsi être privé du droit de conduire son véhicule pour ses sorties du week-end, tout en continuant à l’utiliser pendant la semaine pour son travail. Des questions se posent quant à la mise en pratique d’une telle mesure, notamment au niveau des greffes des tribunaux.

A noter, enfin, une importante modification concernant le retrait immédiat du permis de conduire. D’une façon générale, il est ordonné par le magistrat de garde à la suite d’une interpellation par les forces de l’ordre, dans les cas d’alcoolémie, d’ivresse, de délit de fuite, de conduite sous l’effet de drogues, de coups et blessures, etc. Ce retrait passe dorénavant de 15 jours à 1 mois. Cette mesure, assez controversée quant au respect des droits de la défense, pourrait donner lieu à des recours.

Le stationnement : chères communes… La non-alimentation d’un parcmètre, le non-respect du temps de stationnement ou le parking à un endroit réservé aux riverains sortent dorénavant du champ pénal, au profit d’un simple traitement administratif. Les communes, dont certaines confient la surveillance des horodateurs à des sociétés privées, ont l’habitude de proposer aux contrevenants une taxe incluant le coût d’un stationnement d’une demi-journée. Mais attention : dès qu’il est jugé gênant, le stationnement devient une infraction grave de 1er degré et, à ce titre, réintègre la sphère pénale : le juge (et/ou le parquet) intervient. Problème : bien intentionné, le législateur a voulu sortir l’énorme contentieux lié aux infractions de stationnement du cham pénal, pour soulager les juges de police. Mais, en cas de litige en matière de taxes communales, c’est… le juge de police qui reste compétent. Moralité : sortez les problèmes de parkings par la porte du prétoire, ils rentrent par la fenêtre !

Philippe Lamotte

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