Funestes cartes Visa

Tout commence par une banale querelle entre les officiers qui dirigent la plus importante police locale du pays (2 104 agents). Luc Lamine, le chef de corps de la police d’Anvers, est ouvertement contesté par deux de ses commissaires en chef. Le 7 février, un policier anonyme fait état, dans la Gazet van Antwerpen, du traitement de faveur accordé par Lamine à sa garde rapprochée, sous la forme de cartes Visa délivrées au nom de la police. Lui et/ou certains de ses adjoints en auraient fait un usage abusif dans le cadre du service ou, pis, à des fins privées. A la demande du ministre de l’Intérieur, Antoine Duquesne (MR), et de l’échevin de la Sécurité, Dirk Grootjans (VLD), une information est ouverte, le même jour, par le parquet d’Anvers. Alors que, à la Chambre, la tête de Lamine est réclamée par Hugo Coveliers, chef du groupe VLD, et à Anvers, par le Vlaams Blok, la bourgmestre Leona Detiège (SP.A) lui maintient sa confiance.

Dans la foulée, le nom du secrétaire communal d’Anvers, Fred Nolf, est de plus en plus cité. C’est lui qui, au début de 2002, a mis au point cet ingénieux système de cartes de crédit (il en possède lui-même deux, ainsi que son adjoint et le receveur communal). Le Tout-Anvers bruit de ces dépenses de vêtements et autres frivolités qui auraient fait craquer d’imprudent(e)s échevin(e)s auxquels la même  » facilité  » avait été offerte. Le 11 mars, le Vlaams Blok exhibe les preuves de ces dérapages. La machine s’emballe : le13 mars, le Collège démissionne, reléguant à l’arrière-plan la démission de Fred Nolf, présentée ce soir fatal du 11 mars…

Or il en a lourd sur les cornes, l’ami Nolf, monument du socialisme de papa et véritable patron de la cité portuaire, où il se vantait de diriger une  » entreprise  » de près de 9 000 fonctionnaires. En ce qui le concerne, l’opération  » Mains propres  » a commencé le 25 février, lorsque le conseiller communal Patrick Janssens (SP.A) interpelle rudement Leona Detiège sur l’addendum au contrat passé par la Ville d’Anvers avec la firme française de mobilier urbain JCDecaux. Depuis qu’une instruction a été ouverte le 18 février, de lourds soupçons de corruption planent. Le 5 mars, le bureau et le domicile de Fred Nolf sont perquisitionnés par l’Office central de lutte contre la corruption. Malgré cela, le collège échevinal, en sa réunion du 10 mars, couvre encore le secrétaire communal. Plus pour longtemps.

L’autre agent (visible) de l’opération  » Mains propres  » û en réalité, le parquet était déjà sur la brèche û, l’échevin des Affaires sociales, Tuur Van Wallendael (SP.A), dénonce à la justice des faits d’usage douteux de l’argent de l’ASBL communale Soma (alimentée principalement par le Fonds d’impulsion à la politique des immigrés) : air conditionné dans les cabinets d’échevins (libéraux), ameublement privé chez Fred Nolf, fourniture d’une voiture à la collaboratrice de son adjoint, Freddy Vandekerckhove, achat d’une caméra video et d’un système GPS pour le receveur communal Roger Bekaert. Le même trio, assorti de quelques responsables du CPAS (Centre public d’aide sociale), est également soupçonné d’avoir touché des arrhes pour leur participation fantôme à un conseil consultatif de l’ASBL communale Telepolis (équipements informatiques) qui ne s’est plus réuni depuis juin 2002. En outre, des achats suspects ont été effectués sur le compte de celle-ci. On ne prête qu’aux riches : le secrétaire communal aurait été  » récompensé  » pour s’être entremis dans le contrat de location d’une vingtaine de voitures de société (des BMW) destinées à des  » top managers  » communaux. Quant à son adjoint Vandekerckhove, étiqueté CD&V, il intéresse aussi la justice : il aurait peut-être tiré profit de ses contacts avec l’ASBL communale Haven- en Vaarinitiatie pour équiper son yacht, acheté, dit-on, à un prix anormalement bas.

L’abondance des faits litigieux dénoncés par des anonymes ou détectés par la justice anversoise est telle qu’un juge d’instruction est maintenant en charge de deux dossiers : l’un pour corruption active et passive dans le contrat JCDecaux, l’autre pour abus de confiance et concussion (malversation commise dans l’exercice d’une fonction publique, en particulier dans le maniement des deniers publics) dans les dossiers  » Police  » et  » Ville « . Le 19 mars, le chef de corps de la police anversoise, Luc Lamine, a été inculpé pour faux en écriture, détournement de fonds et concussion û il a été suspendu de ses fonctions par la bourgmestre û, ainsi qu’un de ses adjoints pour les deux premières préventions seulement. Une chose est certaine : une telle marée d’informations nauséeuses ne se serait pas produite sans la présence de  » taupes  » bien incrustées dans le système. Seule, à présent, la justice est en mesure de faire le tri entre ce qui est pénalement répréhensible et ce qui est déontologiquement condamnable. Marie-Cécile Royen

Philippe Engels

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