Frères d’armes

Pierre Miquel et Jean Vautrin publient chacun une vaste fresque romanesque sur la Grande Guerre. Regards croisés

Quand Dumas père invite au mariage de l’Histoire et de la littérature, Pierre Miquel et Jean Vautrin sont toujours à la noce. Mieux : ces vaillants héritiers d’Alexandre le grand garnissent la corbeille, chacun, d’une suite romanesque û La Poudrière d’Orient pour Miquel, Adieu la vie, adieu l’amour pour Vautrin û dans le goût des Trois Mousquetaires. Leurs héros sont quatre, eux aussi, et, comme d’Artagnan, Porthos, Aramis ou Athos, de tous milieux : l’aristo tutoie le paysan, l’artiste le métallo, le sergent-chef le cambrioleur. La devise de ce double quatuor est la même : un pour tous, tous pour la France. Sauf qu’on n’est plus sous Louis XIII, mais à la guerre. La guerre de 14-18. Spécialité, territoire, ligne de c£ur de Miquel, nouveauté pour Vautrin.

 » Je suis de Lorraine, incarnation de la terre du sang et du chagrin, explique le romancier Prix Goncourt 1989 pour Un grand pas vers le Bon Dieu. Deux oncles colonels, une grand-mère ont enfiévré mon enfance de leurs récits, en français mêlé de patois allemand. Mais, à force d’ingurgiter la promotion des gants blancs et des hauts faits, peu à peu, j’ai pris le parti des laissés-pour-compte, des anonymes, des mutins. Le bouquin aura attendu longtemps, avant de sortir très vite, comme une salve.  » Adieu la vie, adieu l’amour, feuilleton en cinémascope et en trois livres, ne rate pas sa cible. C’est du roman dur et dru, violent, chahuté, célinien. Le 16 avril 1917, l’offensive Nivelle est lancée contre la ligne Hindenburg. Le chemin des Dames ? La route de l’horreur plutôt que les sentiers de la gloire pour Ramier l’ouvrier, Raoul le viticulteur, Arnaud la particule et Boris le rapin.

 » Les officiers qui aboient, les poilus qui hurlent, la boue, la boucherie, le peloton pour les réfractaires, on y est ! Vautrin est un grand peintre de la folie des hommes ! Chagall pour les couleurs, Rabelais pour la musique !  » apprécie, en connaisseur, Pierre Miquel. La Poudrière d’Orient, sa saga à lui, en quatre volumes, se déploie sous d’autres cieux, en apparence moins flamboyants.

 » Fleur au fusil, tripes au soleil  »

 » Après mes Enfants de la patrie, j’ai eu envie de retracer le destin des poilus d’Orient, une destinée faite de bravoure et de camaraderie. L’enfer des Dardanelles, ce sont des jeunes hommes qu’on envoie au casse-pipe et qui tombent, sans avoir su exactement pourquoi, fleur au fusil, tripes au soleil.  » On suit, haletant, fourbu, halluciné, Paul Raynal, le fils du chapelier et ses trois compagnons de souffrance dans l’expédition navale décidée par Churchill contre les Turcs. Neutralité de façade des Grecs, amis des Allemands, cynisme des états-majors, sacrifice du troufion de base. Tout Miquel, chroniqueur de Verdun, vibre dans cette fresque d’une barbarie moderne, de la Canebière à Istanbul, de Sofia à Bakou. Pourquoi ce goûteur d’Histoire et d’histoires, ce chaleureux collectionneur d’instantanés s’est-il sur le tard risqué au roman ?

 » Risqué ? Une libération, au contraire. Le temps et l’espace, je les ai enfin tout à moi, je joue du véridique et du vrai, et puis, il y a les femmesà Miquel sourit. Il y en a plusieurs, dans La Poudrière d’Orient. Une seule est inventée. Lucia Signorelli, cantatrice italienne et espionne.  » Sa reine Margot à luià Sur le roman, miroir de l’amitié, de la solidarité, de la compassion, les deux lascars sont d’accord. Sur la construction aussi.  » J’ai la trajectoire, les personnages secondaires, certains deviennent principaux, le reste vient, ou pas « , dit Vautrin.  » L’indispensable, dans le roman, c’est la part d’incertitude, approuve Miquel. Je la découvre avec voluptéà  » Nos héros reviendront-ils dans le soulagement ou dans un linceul du bourbier lorrain et de la fournaise des Balkans ? Rendez-vous aux prochains épisodes. Avec des surprises pour eux, lors des permissions. Ils aspirent au repos du guerrier, ils trouvent une société qui change et s’agite. Cri du ch£ur Miquel-Vautrin :  » Vive la sociale !  »

Adieu la vie, adieu l’amour. Tome I : Quatre Soldats français, par Jean Vautrin. Robert Laffont, 318 p.

La Poudrière d’Orient. Tome I : L’Enfer des Dardanelles, tome II : Le Vent mauvais de Salonique, par Pierre Miquel. Fayard, 430 et 408 p.

Michel Grisolia

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