Frappons l’Etat sauvage au portefeuille

Christine Kerdellant

Sur 10 600 frappes de la coalition, 196 seulement ont visé les infrastructures pétrolières de Daech. Il faut cibler le nerf de la guerre.

Depuis cet été, Daech bat monnaie. Pour s’émanciper du  » système monétaire tyrannique imposé aux musulmans « , il fabrique des dinars d’or et des dirhams d’argent frappés de la mention  » Etat islamique  » et ornés d’un planisphère qui témoigne de ses ambitions territoriales. Dans une vidéo de propagande, il affirme naïvement posséder  » la monnaie la plus forte du monde « , son dinar d’or valant 139 dollars. Le billet vert, qu’il honnit tant, lui sert toujours de référence ! L’organisation n’a pas créé de monnaie papier, sous prétexte d’obéissance stricte au Coran, en réalité parce que l’embargo financier international dissuaderait tout fournisseur étranger d’accepter ses billets. Les pièces, les commerçants indélicats peuvent toujours les faire fondre… Mais le cours de cette monnaie dépend de celui de l’or et de l’argent, fixé sur le marché de Londres par des traders impies. Les terroristes ne sont pas près de se libérer de l’emprise des  » banques sataniques « , encore moins de gagner la guerre monétaire.

Le pétrole non consommé sur place est exporté en contrebande

La puissance économique de cet Etat qui revendique l' » administration de la sauvagerie  » (son Mein Kampf) n’est pourtant pas négligeable. Avec 10 millions d’habitants sous sa férule, sa richesse est estimée à plus de 2 000 milliards de dollars, pour un budget annuel de 2,5 milliards de dollars. Un rapport américain remis au Congrès en avril dernier affirme qu’une petite part de ses ressources provient toujours de ses donateurs historiques : l’Arabie saoudite, le Qatar, les Emirats arabes unis et le Koweït – nos propres partenaires ! Comment peut-on encore accepter ce double jeu ?

La manne principale de Daech – de 1 à 3 millions de dollars par jour – est le pétrole, puisqu’il contrôle 7 puits en Syrie (60 % de la production syrienne) et 13 en Irak. Ce qui n’est pas acheté et consommé localement (y compris par le régime de Damas) est exporté en contrebande, acheminé par des camions jusqu’en Turquie, et vendu à presque moitié prix, entre 25 et 30 dollars le baril. L’ambassadrice de l’Union européenne en Irak, Jana Hybaskova, a laissé entendre que des Etats membres de l’Union en achèteraient, sans donner de noms. Difficile de croire que des compagnies européennes pratiquent ce jeu dangereux, car le pétrole est traçable. Mais il est possible de maquiller son origine en le mélangeant avec du pétrole officiel. Ce procédé était déjà utilisé, le long de la frontière turque, au temps de Saddam Hussein. Le brut de contrebande déguisé en pétrole turc, jordanien ou kurde est alors écoulé via le port de Ceyhan (Adana), en Turquie, un grand hub utilisé aussi pour acheminer l’or noir des pays du Golfe.

Pourquoi la coalition ne s’attaque- t-elle pas davantage à ce trafic vital pour l’Etat islamique ? Les frappes aériennes visent les oléoducs ou les raffineries, mais éviteraient soigneusement les puits, prétendent les Russes. Lesquels ont décidé de changer les choses : leurs avions de combat viseraient clairement les stations de pompage.

Daech exporte aussi du coton de contrebande, que l’on retrouve probablement dans des textiles européens. Mais il vit de plus en plus du commerce illégal d’antiquités, qui, selon la CIA, lui aurait déjà rapporté entre 6 et 8 milliards de dollars. Les djihadistes sont passés de l’artisanat au pillage organisé. Pour cette  » guerre des ruines « , ils disposeraient désormais de leurs propres archéologues et d’outils d’extraction sophistiqués. Les images satellites montrent que, depuis 2011, des pans entiers des vestiges archéologiques de Syrie et d’Irak ont été transformés en gruyère. Les oeuvres d’art transitent par le Liban, la Turquie et la Jordanie, et sont écoulées en Europe. Qui sont, en bout de chaîne, les collectionneurs véreux qui les achètent ?

On sait comment Daech dépense ses millions : une grande partie finance ses opérations militaires. Chaque soldat reçoit, par exemple, entre 400 et 600 dollars de solde. L’argent reste le nerf de la guerre, même quand elle est sainte. Finissons-en avec l’hypocrisie : c’est au portefeuille qu’il faut frapper Daech.

Christine Kerdellant

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