Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

De nombreuses tendances, parfois contradictoires, ont déferlé sur l’assiette en 2015. Au bout du compte, une certaine nostalgie prévaut. Un goût de paradis perdu… jamais vécu.

Il y a peu, dix ans à peine, les lendemains chantaient pour la gastronomie. Au son du clairon, elle s’annonçait comme un vaste territoire en fusion à découvrir, expérimenter et réinventer. En Espagne, Ferran Adrià, chef d’El Bulli, agitait les castagnettes de la cuisine moléculaire à coups d’espuma,  » texture comestible la plus légère au monde après l’air que nous respirons « , devant nos yeux ébahis. Dans les éprouvettes du docteur Thys, physico-chimiste préféré des cuisiniers, la nourriture allait être disséquée, livrant son ADN cartes sur table pour une reconstruction simple comme un jeu de Lego. En Grande-Bretagne, on parlait neurogastronomie, une science décortiquant comment l’expérience gustative pouvait être modifiée en prenant en compte d’autres facteurs que le goût et l’odorat. Pour preuve, au Fat Duck, le restaurant de Heston Blumenthal, on s’amusait à déguster une préparation aux contours iodés avec en arrière-fond sonore le clapotis des vagues et le cri de goélands diffusés sur iPod. Il ne manquait plus que le sable sous les pieds. Les chefs nous le promettaient : la table allait devenir une scène de théâtre total.

Coup d’arrêt

Tout cela, c’était avant. Avant qu’un coup de frein magistral stoppe ce grand carnaval. La crise ? Sans doute. Mais pas seulement. On invoquera plutôt la situation globale, ce cocktail explosif de menaces écologiques, de crises alimentaires à répétition, de rigidifications politiques, de peurs diffuses… Pour répondre à tout cela, la gastronomie s’est mise à regarder dans le rétroviseur, histoire de mieux faire machine arrière toute. C’est flagrant en 2015, année qui a érigé en guise d’horizon indépassable la cuisine bourgeoise des Trente Glorieuses. Si jusqu’ici l’époque évoluait sur un socle de plaisirs raffinés hérités de la nouvelle cuisine, la frange la plus pointue des foodies réclame désormais d’interminables gueuletons avec trou normand et plats en sauce. Ce phénomène porte un nom :  » foodstalgie « . Boudin aux pommes, veau Orloff, petit salé aux choux, boeuf gros sel, cassoulets, pot-au-feu, navarin d’agneau, daube, paris-brest, chariot de fromages, religieuse au chocolat, homard Thermidor, poulet chasseur, baba au rhum, pâtés en croûte… tels sont les chapitres incontournables de ce nouveau bréviaire alimentaire. Il est d’autant plus paradoxal que nombre de nostalgiques d’une  » bouffe comme avant  » sont nés après 1975.

Les établissements qui s’ouvrent brossent ce penchant rétro dans le sens du poil. Qu’il s’agisse de restaurants, de bars à cocktails ou même de simples cantines. Les détails de ce culte qui font mouche auprès des intéressés ? Les comptoirs en étain, si possible en provenance des Ateliers Nectoux à Puteaux ; les trancheuses Berkel sur lesquelles le patron vous coupe la salaison du jour ; les bocaux à l’ancienne où marinent des cornichons tradition ; les saucières en porcelaine ; les nappes à carreaux ; les plaques émaillées ; les mottes de beurre bien jaunes ; les oeufs durs posés négligemment sur le zinc ; les vieux pichets d’anisette… Bref, tout un attirail passéiste dégainé en guise de rempart contre la modernité. Bien sûr, les maisons d’édition se mettent au diapason et déversent à la pelle les ouvrages d’artisans, de père en fils et de préférence  » depuis le siècle passé « . Ici, c’est un boucher qui raconte son quotidien, de l’abattoir à la découpe. Là, c’est un agriculteur qui emmène le lecteur derrière la charrue tirée par son cheval de trait. Ailleurs, ce sont les arômes d’un café fraîchement torréfié qui s’échappent d’un livre sur les producteurs résistant à la mondialisation du goût. Sans parler de la bière, boisson en pleine ascension, dont on redécouvre les acteurs traditionnels, là où il y a peu il n’y en avait que pour la pils industrielle.

Retour aux cavernes

Certains ne se satisfont pas de ce voyage dans le passé qu’ils jugent trop restreint. Ils souhaitent communier avec une vérité première plus lointaine, ancestrale, voire quasi préhistorique de la nourriture. Ceux-là agitent le régime  » paléo  » comme solution à tous nos maux. Késako ? Il s’agit d’une diète, générant un nombre croissant d’adeptes, qui fait référence à une époque où l’agriculture n’existait pas. L’homme, alors chasseur-cueilleur, se rassasiait exclusivement de protéines animales, de fruits et végétaux pauvres en amidon, ainsi que de noix et de graines. En filigrane ? Le principe discutable que notre système digestif ne serait pas conçu pour les céréales. A prendre ou à laisser, mais le message est une fois encore sans ambiguïté : le meilleur est définitivement derrière nous.

Michel Verlinden

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