Flic ou voyou

Comment le médian défensif du Stade Rennais fait tourner son équipe et les Bleus de Laurent Blanc.

L’ascension sportive de cet essuie-glace ne laisse personne indifférent. A 20 ans, Yann M’Vila, la dynamo de Rennes est citée un peu partout en Europe et surtout au Real Madrid qui envisagerait de consacrer 15 millions d’euros pour boucler ce transfert.  » Il est armé pour vivre au top européen mais, moi, je préférerais qu’il reste encore une saison ou deux chez nous « , note Frédéric Antonetti, le truculent coach corse du club breton.  » Cela lui permettrait de roder encore un peu plus son potentiel. Yann joue simple, récupère, distribue les bons ballons comme il respire. Sa maturité technique et tactique est étonnante : il a le sens du jeu.  »

Pour abonder dans le sens d’Antonetti, on précisera tout de suite que son protégé lave impeccablement ses ballons. Il y a quelques semaines, les médias ont souligné que ce métronome avait calibré 75 % de ses… 700 passes en championnat. Ce fils de policier règle donc parfaitement la circulation. Etonnant bonhomme, étonnante trajectoire. Flic des pelouses, ce milieu de terrain aurait pu, si on croit ses propos, devenir un voyou. Il y a deux ans à peine, Yann avait failli tout plaquer, la Bretagne, ses embruns et le centre de formation de Rennes. Et, dans ce cas-là, il aurait rejoint l’immense peloton des espoirs qui n’ont pas su tout donner pour y arriver.

Yohan, son frère, a craqué. Arrivé à Rennes en même temps que Yann, il a fracassé ses ambitions avant que la moutarde ne lui monte au nez à Dijon, en L2. Yohan chôme tandis que Yann est attendu sous les ors et les lambris des salons les plus cossus. L’échec et la réussite se côtoient dans la même famille.  » Pourtant, Yohan est bien plus doué que moi, plus créatif : j’ignore pourquoi les gens ne remarquent pas son potentiel « , dit-il comme pour s’excuser. Est-ce une question d’ambition, d’envie, de travail ? Ou simplement de caractère ?

Rennes, la chance de sa vie

Yann est une forte tête. Il a déjà sa légende, lui, l’enfant des quartiers difficiles. Le refrain est connu comme si les gosses de ces coins-là ne pouvaient que voler. Il dit  » tout devoir au football sans lequel sa vie n’aurait pas été différente de celle des autres « . A Mantes-la-Jolie, près de Paris, il aurait pu dériver à jamais :  » Sans le sport, je ne vois pas pourquoi j’aurais fait mieux que les autres. J’ai volé des scooters, j’aurais pu tirer des bagnoles « , déclare-t-il dans So Foot. Cela fait un peu image d’Epinal, qui embellit son affirmation sur les terrains de L1.

Mais tous les garçons des cités ne chipent pas des bagnoles. A Bruxelles, Vincent Kompany, lui aussi enfant d’un papa congolais, n’a pas versé dans la violence alors qu’il a grandi près de la Gare du Nord. Yann insiste parfois sur son regard, acquis dans la banlieue parisienne où seuls les peureux baissent les yeux, qui lui permet d’impressionner les autres avant le coup d’envoi. En fait, si Yann a réussi, il le doit surtout à son talent. Sa prime enfance se déroule à Amiens. Yann et son frère usent leurs premiers crampons dans un petit club, Saint-Fuscien, avant de filer chez leur grand-mère, à Mantes-la-Jolie. Rennes les repère au FC Mantes. C’est la chance de sa vie. Yohan la rate, Yann pas. Pourtant, deux ans s’écoulent entre la signature de son premier contrat professionnel et ses galons de titulaire à part entière. C’est long : que se passe-t-il alors dans la tête de ce gamin ?

Rennes compte sur ce leader qui a gagné la Coupe Gambardella, épreuve ouverte aux U18 des clubs français. En 2008, Rennes prend la mesure des Girondins de Bordeaux (3-0) avec un but de Yann M’Vila à la clef. Ses atouts sont évidents mais il doit mûrir, se gérer, être patient. Rennes a l’habitude de bien bosser avec les jeunes. En charge de l’équipe fanion, Guy Lacombe a son équipe. Lui qui adore le blé en herbe fait patienter Yann qui s’enfonce dans les doutes. Il mange comme un junkie, grossit à vue d’£il, se blesse régulièrement, disjoncte. Lacombe ne peut forcément pas lui faire confiance. Yann doute, cogne en CFA, songe à trouver du temps de jeu en L2.

Antonetti le lance dans le bain

Le départ de Lacombe change totalement la donne. Antonetti bat le rappel des jeunes et lance M’Vila. Le jeune homme monte au jeu en cours de match le 16 août 2009. Et, depuis lors, Laurent Blanc a fait appel à lui après les événements de la dernière Coupe du Monde. M’Vila démarre sa carrière internationale en Bosnie où les Bleus retrouvent leur football :  » Je n’étais pas stressé et j’ai abordé cette rencontre comme une autre.  » Ses galons de Bleu plein d’avenir le pousseront encore plus vite vers l’étranger :  » Je suis à l’écoute. Quand on me dit qu’un club comme le Real Madrid s’intéresse à moi, cela me fait plaisir. En équipe nationale, je progresse au contact des joueurs qui évoluent à l’étranger. Je partirai un jour. Je ne sais pas quand : demain ou plus tard. Je n’ai pas de plan de carrière.  » Même s’il affirme qu’il peut encore péter un câble et a même parfois peur de lui-même, plus personne ne flique l’ancien petit voyou de Mantes-la-Jolie.

PAR PIERRE BILIC – PHOTO: REPORTERS

 » Sans le sport, je ne vois pas pourquoi j’aurais fait mieux que les autres. J’ai volé des scooters, j’aurais pu tirer des bagnoles. « 

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