Flamands et Wallons :la bataille pour du beurre

Nos disputes communautaires se poursuivent-elles jusque dans le réfrigérateur ? Un bref rappel historique de nos différences  » culturelles  » en matière… grasse !

A la fin du xixe siècle, la riche Wallonie vivait sur un grand pied par rapport à la Flandre agraire. Les Wallons aimaient tartiner leur pain de  » vrai  » beurre, tandis que les Flamands se contentaient de margarines bon marché. Les années 1960 virent arriver dans la commerce une margarine végétale plus riche en acides gras polyinsaturés, dont on découvrait les avantages par rapport aux graisses saturées. Le nord du pays adopta fort volontiers cette nouveauté, et la consommation de graisses saturées diminua considérablement en Flandre…, tandis que la Wallonie restait attachée à  » son  » beurre. Des études menées dans les années 1970 auprès de 4 000 cheminots belges révélaient que 69 % des Wallons prenaient du beurre sur leurs tartines, pour seulement 28 % de leurs collègues flamands. Les épidémiologistes ne manquèrent pas de faire un lien avec l’écart observé dans les chiffres des maladies cardio-vasculaires, plus fréquentes dans le sud du pays que dans le nord.

Plus tard, au début des années 1980, fut lancée dans notre pays une grande étude épidémiologique qui portait sur plus de 10 000 personnes. Pression sanguine, poids et taille se révélèrent fort similaires dans les deux parties du pays, ainsi que les habitudes tabagiques : 49 % des Flamands et 46 % des Wallons se déclaraient fumeurs (un chiffre impressionnant en regard de ceux d’aujourd’hui !). Mais la consommation de beurre s’avéra, là encore, bien supérieure au sud du pays, avec 36 g versus 18 g par jour. La consommation de margarine polyinsaturée était trois fois plus élevée en Flandre qu’en Wallonie.

Bien entendu, comme le souligne le Pr Jean Ducobu (ULB), spécialiste bien connu du cholestérol, une telle comparaison est forcément réductrice. En effet, la différence de mortalité cardio-vasculaire doit aussi tenir compte du reste de l’alimentation (notamment, la quantité de fruits et légumes consommés), du tabagisme, de la sédentarité, du niveau de formation scolaire, de l’emploi et, surtout, du sous-emploi, bref, des conditions socio-économiques. Il n’empêche que cette différence dans les chiffres de l’époque est interpellante, d’autant plus que les habitudes contractées jadis portent sans doute encore à conséquence aujourd’hui. Qu’en reste-t-il donc, près de trente ans plus tard ?

En 2004, une nouvelle enquête alimentaire nationale a été réalisée par l’Institut scientifique de santé publique (1). Incontestablement, il y a progrès ; les habitudes alimentaires du Belge moyen, ainsi que son activité physique, se rapprochent des valeurs recommandées, avec des différences entre régions qui vont en diminuant. Les Wallons consomment en moyenne 16,6 % de graisses saturées, et les Flamands, 14,9 % (les recommandations préconisent un maximum de 10 %). Mais la Wallonie n’est pas sortie du bourbier pour autant. Car, comme le fait remarquer le Dr Luc Berghmans, directeur de l’Observatoire santé du Hainaut, si les différences s’amenuisent entre les deux régions du pays, c’est systématiquement la Wallonie qui est à la traîne.  » Quelques pour cent dans l’alimentation, quelques pour cent dans le tabagisme, la sédentarité, le stress psychosocial, sans oublier une dimension tout récemment ajoutée, celle de la pollution de l’air… Bref, nous accumulons le retard, et la crise économique actuelle risque bien d’accentuer encore cette spirale négative.  » Luc Berghmans est pessimiste et ne s’en cache pas.  » Il s’agit de problèmes profondément ancrés dans notre environnement socioculturel. Les habitudes d’hygiène de vie sont prises dès le plus jeune âge, comme le confirment tous nos chiffres (2). C’est donc très tôt qu’il faut agir. Je regrette de constater que, dans les  » plans santé fédéraux « , ces différences régionales et subrégionales ne sont jamais prises en compte. « 

Le n£ud du problème reste donc bien socio-économique. Aujourd’hui, la différence de prix entre le beurre et la margarine ne joue sans doute plus un si grand rôle, mais c’est toute l’alimentation bon marché, grasse et calorique qui est en cause. La part de beurre ou de margarine ajoutée ne compte que pour une petite proportion des apports de graisses saturées néfastes, dont l’essentiel provient de la viande grasse, des charcuteries et des produits dérivés. A côté de cela, le prix des fruits et des légumes reste proportionnellement fort élevé, sans parler du poisson, inaccessible pour la plupart des ménages.

(1) S. Devriese, I. Huybrechts, M. Moreau, H. Van Oyen, Enquête de consommation alimentaire Belge 1, 2004, Service d’Epidémiologie, 2006 ; Institut scientifique de santé publique. Peut être obtenu gratuitement sur demande à l’adresse : vcpeca@iph.fgov.be

(2) Tableau de bord de la santé 2006. Santé en Hainaut, n° 6, 2006

Par Patrick Mullie et Karin Rondia

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