Filière d’uranium à la moldave

A Chisinau, les trafiquants d’atome de l’ex-URSS sont particulièrement actifs. Comme le prouve une affaire récente avec un mystérieux acheteur soudanais…

Quatre trafics d’uranium et de matières radioactives démantelés en cinq ans… Le marché noir de l’atome se porte bien en Moldavie. Passons rapidement sur les 2 kilos d’uranium 238 que trois trafiquants ont tenté de vendre en 2010 pour 9 millions d’euros. Ils ne les valaient pas. L’uranium 238 n’est, en effet, guère  » intéressant  » pour des terroristes, car il est faiblement radioactif. L' » affaire Agheenco  » est en revanche plus significative. A l’été 2011, six malfrats sont arrêtés, alors qu’ils cherchaient à fourguer leur  » came  » : 15 grammes d’uranium 235. Un policier moldave, infiltré, se fait passer pour un acheteur.  » Les malfrats nous ont expliqué qu’il ne s’agissait que d’un échantillon et qu’ils en possédaient plusieurs kilos, raconte Maxim Ciubaciuc, chef de section au sein de la direction de Lutte contre la fraude économique. Ils en demandaient 32 millions d’euros et prétendaient qu’ils pouvaient aussi se procurer du plutonium.  » Placardés sur le mur de son bureau, à Chisinau, la capitale, les visages en noir et blanc des trafiquants. Parmi eux, un avocat moldave, un officier de police et un Soudanais, un certain Yosif Ibrahim.  » Celui-là est toujours en cavale, indique Maxim Ciubaciuc. C’est lui qui voulait acheter l’uranium. Mais nous n’avons pas pu l’appréhender, car il n’a jamais mis les pieds en Moldavie. Nous ne parlions avec lui qu’au téléphone, en russe.  » Il avait toutefois, sur place, un homme de main. A son domicile, les policiers ont retrouvé les plans d’une bombe sale, qu’il s’apprêtait à envoyer à l’acheteur soudanais.

Un certain Alexandr Agheenco, surnommé  » le Colonel  »

Le gang moldave avait-il réellement plusieurs kilos d’uranium en stock ?  » Ils ne bluffaient pas « , assure Cornel Bratunov, procureur en chef au sein du parquet de Chisinau, qui s’est occupé de l’affaire. Son seul regret : ne pas avoir arrêté le cerveau de la bande, un certain Alexandr Agheenco, surnommé  » le Colonel « . Ce Russo-Ukrainien aurait réussi à s’échapper par la Transnistrie, zone de non-droit située dans l’est de la Moldavie, d’où il aurait ensuite gagné la Russie. Plusieurs indices laissent penser qu’il avait eu lui-même accès aux matières nucléaires. Un journaliste moldave, qui tient à rester anonyme, a retrouvé des traces de son passé : ancien militaire, Agheenco aurait travaillé dans sa jeunesse sur une base de sous-marins nucléaires en Russie. Or, le rapport du labo qui a expertisé l’échantillon précise que cet uranium 235,  » enrichi à plus de 50 % « , était utilisé comme combustible nucléaire dans des sous-marins. Hypothèse de Maxim Ciubaciuc :  » Il est possible que ces sources aient été volées il y a longtemps et que les malfaiteurs aient estimé que le moment était venu de les revendre.  »

Dernière affaire en date, l’arrestation, dans le parc du Théâtre d’opéra et de ballet, à Chisinau, de deux Moldaves qui cherchaient à écouler 80 grammes de césium, scellés dans une fiole transparente. L’affaire est encore en instruction, mais une question se pose déjà : la justice moldave dispose-t-elle de moyens suffisants pour lutter contre ces trafics ? L’arsenal répressif semble particulièrement clément :  » Cinq ans d’emprisonnement au maximum « , précise Cornel Bratunov. Pour des méfaits qui pourraient mettre des vies humaines en jeu, ce n’est pas cher payé. La plupart des membres du  » réseau Agheenco  » ont, d’ailleurs, déjà été libérés.

De notre envoyé spécial Charles Haquet, avec Iulia Badea-Guéritée

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