FERNANDO ENRIQUE CARDOSO :  » LE PROBLÈME, C’EST LULA « 

Président du Brésil de 1995 à 2002 et sociologue, aujourd’hui âgé de 84 ans, l’homme est à l’origine de la stabilisation économique du pays. Il reçoit Le Vif/L’Express à São Paulo et juge la crise actuelle. Sans concession.

Le Vif/L’Express : La procédure d’impeachment se justifie-t-elle ?

Fernando Enrique Cardoso : Parfaitement. Mais il faut comprendre qu’il s’agit d’une procédure politique, non pénale, prévue par la Constitution brésilienne. Il s’agit de bloquer un président qui a perdu sa capacité de diriger le pays et qui, par conséquent, nuit à la nation tout entière. Initialement, j’étais réticent à l’égard de cette démarche. J’aurais préféré que Dilma Rousseff démissionnât d’elle-même. Cela aurait mieux convenu. Maintenant, je suis convaincu qu’elle doit partir.

A-t-elle eu raison de nommer Lula au poste de ministre de la Casa Civil (une sorte de secrétaire général de la présidence, avec des pouvoirs de Premier ministre ; la nomination a cependant été provisoirement suspendue par un juge) ?

En faisant cela, elle a reconnu elle-même qu’elle ne savait pas gouverner. Le message était :  » Je le nomme, parce que je n’y arrive plus.  » C’est terrible…

Des parlementaires notoirement corrompus qui votent pour éliminer une présidente qui ne l’est pas, ce n’est pas du meilleur effet…

Elle n’a rien volé personnellement, mais elle est politiquement responsable de ce qui s’est passé au sein de la compagnie pétrolière nationale Petrobras. Les flux d’argent vers sa campagne électorale de 2014 ne sont pas encore prouvés, mais c’est juste une question de temps.

Y a-t-il un  » problème Dilma  » ?

Le problème, c’est Lula. C’est lui qui, fort de sa popularité record, a mystifié tout le monde et fermé les yeux sur l’organisation d’un système de corruption. Une  » organisation criminelle au coeur de l’Etat « , selon l’expression de la Cour suprême. Lula, que je connais depuis toujours, m’a profondément déçu. Il a perdu le sens commun. La corruption a toujours existé au Brésil, y compris sous mon gouvernement, mais pas avec mon accord !

A-t-il eu tort de désigner Dilma comme successeur ?

Il est clair qu’elle n’a pas les capacités politiques nécessaires. Lula savait gouverner, Dilma, elle, en est incapable.

Assiste-t-on à une nouvelle lutte des classes au Brésil ?

Pas du tout. Rappelez-vous que, voilà peu, l’élite économique du Brésil considérait Lula comme un demi-dieu. Dans les sociétés, ce sont toujours les classes moyennes qui font bouger les choses. Elles sont représentées chez les proimpeachment, mais aussi chez les anti.

Que pensez-vous de l’utilisation du mot  » golpe  » (coup d’Etat) par Dilma Rousseff ?

Elle essaie de créer un mythe, afin de pouvoir dire, plus tard, qu’elle a été renversée arbitrairement. Les militaires n’ont rien à voir avec ça. Même les parlementaires ne peuvent être accusés d’avoir fomenté un coup parlementaire. Ce qui a bougé en premier dans la société brésilienne, c’est la rue. Spontanément.

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