Mathieu Kassovitz, acteur et réalisateur. © BELGA IMAGE

« Fermer les lieux culturels momentanément n’est pas une catastrophe »

Le cinéaste Mathieu Kassovitz ne comprend pas les gens qui se plaignent de la fermeture des lieux culturels si la situation sanitaire l’exige. L’ accès à un contenu culturel de qualité peut se faire à domicile, soutient-il.

Vous êtes l’une des rares voix, dans le milieu, à estimer que la fermeture des lieux culturels n’est pas un problème en soi lors d’une crise sanitaire.

En effet. Je dis simplement que dans un moment de crise sanitaire, où l’incertitude règne, les lieux culturels clos (cinémas, théâtres ou autres) sont des endroits où le risque de contamination est réel. J’entends certains dire, à juste titre d’ailleurs, que les métros et trains, où les gens sont entassés, sont des endroits beaucoup plus contaminants. Certes. Mais il faut bien réduire au maximum le risque et préserver la santé de nos concitoyens. Fermer les lieux culturels pendant une période n’est pas une catastrophe en soi. Quand les lieux culturels étaient fermés en France il y a quelques mois encore, des professionnels du métier se sont sentis outragés et ont interprété ces fermetures comme une manière de dire que la culture n’est pas essentielle. Ce à quoi j’ai répondu: oui, la culture est essentielle, mais personne ne vous empêche d’y avoir accès en regardant des films chez vous, de lire des livres, d’écrire, ou autre. Personnellement, je n’ai pas envie de rester pendant deux heures dans une salle pour me retrouver séparé de deux sièges de la personne la plus proche, avec, de surcroît, un masque qui m’empêche de respirer convenablement. Oui, la culture est essentielle pour toute société, autrement elle est paralysée, asphyxiée, ne peut pas réfléchir, mais en temps de crise, je suis désolé, on peut se priver momentanément des lieux culturels. Et à vrai dire, je ne comprends pas les gens qui se plaignent. J’y vois une sorte d’inconscience et de décalage par rapport au monde dans lequel on vit, avec les défis majeurs auxquels on doit faire face. En tant que cinéaste, je suis favorable à trouver d’autres moyens de distribuer et vendre des films, le temps de la crise, en espérant que les choses reprendront, d’ailleurs peut-être qu’elles ne reprendront jamais.

J’ai l’impression d’être dans le Titanic: l’iceberg est là, devant nous, on y fonce, et les gens se plaignent que le buffet soit froid.

Qu’entendez-vous par là?

J’ai l’impression d’être dans le Titanic: l’iceberg est là, devant nous, on y fonce, et les gens se plaignent que le buffet soit froid.

La métaphore est savoureuse mais pourriez-vous développer?

Le problème n’est pas que le buffet soit froid. Le problème c’est qu’on coule, et si le buffet est froid c’est justement parce qu’on coule. S’il y a un problème de virus, c’est parce qu’on a créé un monde propice à ce genre de virus, sachant que d’autres virus nous guettent. Donc la question vitale est: pourquoi on se bat? On se bat pour son propre confort ou pour une cause plus générale où l’on risque son propre confort? Visiblement, beaucoup préfèrent leur propre confort. Aller au cinéma, c’est important, mais en tant que cinéaste, j’aurais espéré que les gens se disent qu’il faut arrêter la surconsommation, revoir les modes de consommation, prendre une autre direction. Or, force est de constater que c’est le contraire qui se produit: nombreux sont ceux qui se montrent plus empressés de reprendre leur mode de consommation, d’acheter davantage, etc. Je trouve cela déplorable. Aujourd’hui, on a un monde à sauver. L’urgence est réelle. Je fais cette digression sur le réchauffement climatique pour faire remarquer que c’est déplacé de voir des gens se plaindre des lieux culturels fermés – je parle surtout du public, pas des employés du milieu – dans un monde qui est en crise. Si on était dans les années 1900, et qu’il n’y avait d’autres moyens de voir des films ou de lire des livres que dans le cinéma ou les bibliothèques, j’aurais compris cette protestation. Or, aujourd’hui, vous allumez votre télévision ou votre tablette et vous avez accès à tous les livres et tous les films du monde.

Il n’en reste pas moins que l’expérience d’accéder à une oeuvre dans un lieu culturel n’a strictement rien à voir avec celle d’en consommer chez soi…

Absolument. Mais est-ce qu’on peut être d’accord sur le fait qu’en temps de « guerre », on peut arrêter certaines activités où l’on se retrouve en grand nombre dans un endroit clos? C’est tout ce que je dis. En espérant qu’on se débarrassera de ce virus, qu’on se retrouvera, s’embrassera, mais l’ambiance n’est pas adéquate pour le moment.

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